Concurrence des pays de l'Est : le Sénat tire la sonnette d'alarme

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De plus en plus d'entreprises étrangères, en particulier des nouveaux Etats de l'Union européenne, détachent des salariés pour effectuer à bas prix et de manière frauduleuse des chantiers en France signale un rapport sénateur du Bas-Rhin Francis Grignon. Le syndrome du "plombier polonais aurait-il encore frappé ?

Dans ce rapport (lien ci-contre), diligenté suite à la polémique sur la "directive service", un chiffre frappe les esprits : dans le BTP, 95 % des travailleurs étrangers envoyés en détachement ne font pas l'objet d'une déclaration préalable à l'inspection du travail. Une proportion inquiétante pour l'auteur du rapport, l'UMP Francis Grignon : "Bien qu'elle ne constitue pas une fraude à proprement parler, l'absence de déclaration ouvre potentiellement la porte à tous les abus quant aux garanties protectrices que le droit communautaire reconnaît aux travailleurs détachés."

S'il existe d'autres cadres juridiques permettant à des étrangers de travailler en France – salarié d'une entreprise française, travailleur indépendant, intérimaire – le détachement (1) est la solution la plus fréquente dans le BTP. Selon l'étude 2005 de la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI), les travailleurs détachés en France seraient 100.000 dans le secteur, avec une augmentation de 35% par an depuis 2002. Le rapport constate également que si les problèmes de distorsions de concurrence nés de la formule du détachement existent depuis longtemps dans la construction, ils ont pris une plus grande acuité avec l'adhésion de dix nouveaux Etats le 1er mai 2004 (2). La République tchèque et, surtout la Pologne, sont particulièrement visées.

Outre des "distorsions légales" – salaire et charges sociales moins élevés, régime fiscal plus avantageux – le rapport constate toute une série de réelles violations des règles. Première fraude constatée : la non sincérité du détachement. "Alors qu'il suppose l'envoi par une entreprise d'une équipe en principe préconstituée pour exécuter un contrat à l'étranger, on assiste parfois à l'envoi de plusieurs ouvriers isolés, sans réel fonctionnement en équipe, sans encadrement, sans matériel en propre et in fine sans autonomie sur le chantier."

Deuxième type de fraudes : la non garantie des conditions d'emploi du pays d'accueil, à savoir le temps de travail, la sécurité des travailleurs et, surtout, le versement d'un salaire inférieur au Smic français. "Il est probable qu'un grand nombre de travailleurs acceptent [cette situation] dès lors que le somme effectivement versée dépasse largement le salaire habituel dans leur pays d'origine." Francis Grignon souligne la montée en puissance du problème depuis l'entrée dans l'UE d'un pays comme la Pologne. "En 1986, au moment l'adhésion de l'Espagne et du Portugal, le rapport Smic français/Smic du pays d'origine était de 1 pour 2. Avec la Pologne, il est de 1 pour 5."

Pour lutter contre ce fléau, le sénateur propose notamment "d'augmenter les contrôles sur les chantiers le dimanche et hors des heures de travail habituelles" , de "prévoir l'obligation pour les entreprises détachées de désigner un représentant officiel, intermédiaire avec les pouvoirs publics français" et "d'autoriser l'inspection du travail à contrôler la situation des travailleurs détachés au regard de la sécurité sociale et permettre les échanges de données entre les organismes de sécurité sociale et l'inspection du travail". Enfin, pour le donneur d'ordre, "assortir l'obligation de faire accepter par le maître d'ouvrage chaque sous-traitant d'une peine d'amende" et "rendre obligatoire l'affichage sur le chantier du nom de toutes les entreprises intervenants". Le rapport insiste enfin pour que la "directive service" ne supprime pas l'obligation de déclaration préalable, ce qui est le cas dans la dernière mouture du projet.

Ce texte a été transmis au ministre délégué à l'Emploi, Gérard Larcher, mais aussi aux fédérations professionnelles concernées. La FFB dit partager le constat du sénateur et agrée les solutions proposées. Reste que si ce rapport pointe justement du doigt les risques accrus de distorsion de concurrence entre entreprises françaises et étrangères, il ne donne pas de solution à la pénurie de main d'œuvre dans le BTP français, qui explique pour partie le recours au détachement. Dans ce contexte, une libéralisation de la législation à l'embauche directe des salariés originaires des nouveaux Etats membres par des entreprises françaises pourrait constituer la voie à suivre. Si les conditions se sont assouplies depuis le 1er mai 2005, notamment à la demande de la FFB, une procédure d'autorisation assez lourde est en effet toujours en vigueur dans l'Hexagone. Attention toutefois à ne pas aller trop loin. Le Royaume-Uni, qui a opéré une levée totale des restrictions à l'embauche, vient de faire un pas en arrière. Si les autorités britanniques soulignent que cet apport d'ouvriers qualifiés dans le BTP s’est révélé bénéfique à la construction du pays, elles notent également un nombre plus élevé d'accidents sur les chantiers (voir l'article dans le Bulletin européen du Moniteur du 30 octobre, p.8). Conséquence : la Grande-Bretagne envisage de limiter strictement l'accès des Roumains et des Bulgares, qui vont entrer dans l'UE le 1er janvier, à leur marché du travail.

Hugues Boulet

(1) Fixé par la directive 96/71 du 16 décembre 1996, le détachement concerne toutes les entreprises établies en Europe ou dans un pays tiers qui viennent effectuer une prestation de service de plus d'un mois pour un maître d'ouvrage (public ou privé) ou pour une entreprise, dans le cas d'un contrat de sous-traitance. Pour les entreprises européennes, la durée de ce détachement ne peut excéder deux ans.

(2) Chypre, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République slovaque et Slovénie.

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