L’urgence climatique déteint sur l’agenda de l’Autorité de régulation des transports. Compétente sur les concessions autoroutières depuis 2016, l’instance de conseil avait rendu son premier rapport quinquennal sur le sujet en 2020. « N’attendons pas 2025 ! », s’est exclamé son président par intérim Philippe Richert, en présentant les 172 pages du second opus, ce 26 janvier.
Planification en berne
Entre 2031 et 2036, l’échéance des sept concessions qui couvrent 90 % du réseau ne suffit pas à justifier l’accélération. « 10 ans pour préparer l’après, c’est peu, compte tenu d’une part des incertitudes macroéconomiques et des problèmes d’acceptabilité des péages, mais surtout en raison des enjeux de transition écologique », rappelle Patrick Vieu, vice-président.
Alors que le réseau concédé pèse lourd dans un bilan carbone qui place le transport comme le plus mauvais élève de la classe climatique, l’ART souligne l’impréparation de l’Etat : « La planification écologique des autoroutes reste à construire. Il existe très peu d’éléments tangibles, tant sur les choix technologiques que sur les enveloppes et le calendrier », assène le vice-président.
Etat d’urgence
L’absence de vision à moyen terme se cumule avec un manque criant de réponse à une question basique et urgente : comment définir le bon état de l’infrastructure ? Le chiffrage des travaux associés à la fin des concessions en dépend. « Tout commence par un état des lieux et s’achève par un temps de contrôle. Plus on attend, plus ce sera difficile », prévient Patrick Vieu.
Ces failles révèlent la faiblesse structurelle et croissante du concédant, au fur et à mesure des avenants et des prolongations de contrats. L’ART établit un diagnostic d’asymétrie, dans les négociations qui président à leur signature. L’absence de recours à la concurrence entrave la lisibilité des coûts.
L’Etat en position de faiblesse
« Les concessionnaires n’aiment pas les risques non maîtrisés. Ils ont tendance à les facturer à l’Etat », analyse Patrick Vieu. Parmi les clauses les plus symptomatiques de la position de faiblesse du concédant, l’ART pointe celle qui prévoit l’achèvement anticipé des contrats en cas de dépassement des objectifs financiers du concessionnaire. « En pratique, le calibrage de cette clause rend sa probabilité nulle », déplore Florence Rousse, vice-présidente de l’ART.
A 6,3 % pour les plus récentes et à 7,8 % pour les plus anciennes, le taux de rentabilité interne (TRI) des sociétés de concession autoroutière témoigne d’une profitabilité à peine érodée par la pandémie : l’impact atteint 0,13 %. « Le TRI situe la France dans la moyenne haute des pays européens », constate Florence Rousse. Les clauses d’indexation des péages sur l’inflation renforcent les bénéfices, au fur et à mesure de la hausse des prix. « Le gain cumulé atteint 5,4 Mds€ sur les deux dernières années », calcule Françoise Rousse.
Occasions manquées
Dans la liste des occasions manquées pour des pratiques plus vertueuses du point de vue de la gestion de l’argent des usagers, le contournement ouest de Montpellier (Com) figure en bonne place : « Un appel à concurrence en aurait diminué les coûts », tranche Sophie Auconie, autre vice-présidente. L’Etat a préféré passé outre l’avis de l’ART, ce qui a contraint les usagers de l’ensemble de la concession à payer une infrastructure sans utilité pour la plupart d’entre eux.
A l’inverse, l’écoute d’une partie des 17 avis émis depuis 2016 par le régulateur a ramené 300 M€ dans la poche des automobilistes, sur des projets totalisant 2 Mds€. 58 % de ces économies résultent de corrections de paramétrage : « hausse des péages trop élevée par rapport aux investissements prévus, coûts surestimés, réduction des périmètres d’opération », énumère Sophie Auconie.
Des contrats plus courts
Les 42 % restants laissent encore plus songeur : ces économies résultent de la démonstration que les investissements figuraient dans les obligations initiales du concessionnaire, ce qui lui interdit de les compenser par l’augmentation des péages.
Convaincue des atouts du modèle français, l’ART formule des pistes pour sortir de l’asymétrie qu’elle dénonce. Le raccourcissement de la durée vient en tête : « Une vingtaine d’années suffirait à donner une bonne visibilité aux investissements inclus dans les contrats. A défaut, l’ART souhaite un encadrement plus strict des renégociations », lance Philippe Richert.
Patrick Vieu précise : « Une remise à niveau quinquennale des hypothèses permettrait de limiter les impacts de changements non prévus et d’éviter de s’enfermer dans des critères figés ».
Un régulateur à consolider
L’autre proposition phare concerne le financement du lancement des chantiers de la décarbonation autoroutière, dans le cadre des concessions actuelles. A l’échéance, la partie non amortie se traduirait par une créance qui prendrait la forme d’une soulte payée soit par l’Etat, soit par le futur exploitant.
Pour l’immédiat comme pour le moyen terme, le message reste le même : l’ART peut faire gagner du temps à l’Etat, à condition que ce dernier s’appuie d’avantage sur elle. L’idée des avis conformes trotte dans la tête de l’équipe présidée par Philippe Richert, qui a déjà repéré ses alliés : « Le parlement pousse dans ce sens, plus que le gouvernement », remarque-t-il.