Monteur, coffreur-bancheur, électricien, conducteur de travaux… Les besoins en bras et en cerveaux de la filière nucléaire, qui compte à ce jour 220 000 emplois, vont nécessiter 10 000 recrutements par an d'ici 2033 (1). Avec une difficulté : « La construction d'installations neuves va amener à piocher dans le réservoir des ressources actuellement mobilisées dans la maintenance. On peut ainsi s'attendre, même si les compétences concernées sont différentes, à une raréfaction des profils », prédit Guillaume Galant, président de Spie Batignolles Technologies. Eiffage estime par exemple à « près de 4 000 » le nombre de personnes qui seront à l'œuvre au pic des travaux de génie civil sur le site de Penly (Seine-Maritime). Et 7 000 personnes au total, dont 1 500 de Bouygues TP, officient actuellement sur le chantier britannique d'Hinkley Point C.
La tâche des recruteurs apparaît d'autant moins aisée que le nucléaire souffre d'un déficit d'attractivité. Si les arguments liés à la décarbonation et à l'indépendance énergétique de la France commencent à porter auprès des étudiants et des salariés, « certains ingénieurs et techniciens montrent encore une frilosité d'ordre éthique à cause des risques liés à l'activité », témoigne Bruno Pavie, DRH de NGE. Le groupe (23 000 salariés depuis le rachat de Sade) compte accueillir au total 300 personnes cette année dans le cadre de travaux d'entretien et de construction d'annexes autour des centrales. « Côté compagnons, la réticence porte avant tout sur le caractère contraignant des conditions de travail en milieu nucléaire : habilitations techniques à obtenir, consignes de sécurité et de discipline strictes en matière d'heures d'entrée et de sortie… » illustre Bruno Pavie. Dans ce contexte, l'attribution d'une kyrielle de primes constitue « un facteur de motivation important ».
Académies de formation. Face à des exigences techniques élevées sur la maintenance du parc existant comme sur les nouveaux projets de construction, l'enjeu consiste aussi à développer les compétences et à former les nouveaux embauchés. Trois entités du groupe Equans - Ineo Nucléaire (Lyon, Rhône), Ecia (Bagnols-sur-Cèze, Gard) et Axima Nucléaire (Bordeaux, Gironde) -, ont par exemple chacune créé leur académie de formation. « Depuis 2017, 400 apprenants en contrat court ou en apprentissage y ont suivi des parcours techniques autour des gestes et des règles de l'art de nos métiers », indique Lionel Boudrit, directeur délégué adjoint en charge de l'activité de production d'énergie chez Ineo Nucléaire. Avec un taux de transformation en CDI de 70 %. Quelque 2 900 collaborateurs ont par ailleurs bénéficié d'un module de développement des compétences.
Reste que « nos formations ne remplaceront pas celles des parcours académiques », souligne Lionel Boudrit. Des initiatives autour d'enseignements spécifiques commencent d'ailleurs à émerger au sein des écoles. Un cursus d'ingénieur en apprentissage portant sur le nucléaire et les énergies décarbonées ouvrira par exemple ses portes en septembre 2025 sur le campus de l'IMT Nord Europe de Dunkerque (Nord), non loin de Gravelines.
« Un “passeport nucléaire” pour les jeunes », Hélène Badia, présidente de l'Université des métiers du nucléaire.
« Quelque 80 % des formations menant aux métiers du nucléaire (industrie, génie civil, génie électrique…) ne sont pas spécifiques au domaine. Même s'il en manque dans certaines régions comme la Normandie, ou sur certains thèmes comme le contrôle non destructif, l'enjeu majeur n'est pas d'en créer de nouvelles, mais de renforcer leur attractivité. D'où la mise en place en septembre 2023 d'un “passeport nucléaire”, qui propose différents contenus pour apporter aux élèves et étudiants, du CAP au bac + 5, les connaissances de base sur le sujet. Avec 52 établissements partenaires, notre objectif pour la rentrée prochaine est de nous rapprocher davantage de ceux formant au BTP, situés au plus près des besoins. »
%%MEDIA:2419837%%
(1) D'après le rapport « Match » remis au gouvernement en 2023 par le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen).