Comment réaliser des projets sans plomber les budgets des collectivités

Si la question de la libération du foncier se pose pour construire plus, l'acquisition des terrains n'est pas l'unique réponse. De nombreux outils existent.

Réservé aux abonnés

Aménager des quartiers mixant logements et activités, construire des équipements publics… Tout cela nécessite des terrains. Or, ces derniers sont de plus en plus chers, rendant certaines opérations impossibles à réaliser ou grevant les budgets des collectivités qui les acquièrent. La Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) estime que le prix moyen des terrains non constructibles est d'environ 6 030 euros l'hectare, en hausse de 54 % en vingt ans. Pour une parcelle constructible d'une superficie de moins de 1 hectare, le prix moyen atteint 72 000 euros. Un montant bien trop élevé pour certaines petites communes.

De leur côté, les promoteurs estiment que le coût du foncier représente généralement entre 10 et 20 % d'un projet de construction. Mais ce chiffre varie en fonction de l'emplacement et de la qualité du terrain, et peut atteindre jusqu'à 40 % de l'opération dans une grande agglomération.

Il est possible d'utiliser une servitude d'utilité publique pour préserver certains espaces dans un but d'intérêt général.

Mieux évaluer le foncier. Pourtant, en phase préparatoire, les collectivités ne prêtent pas toujours l'attention qu'il faudrait à ce volet de l'aménagement. « Dans les bilans présentés, notamment dans les ZAC, le prix du foncier est mal évalué, ce qui peut ensuite aboutir à ce que la ZAC mette dix ans à voir le jour ou ne soit jamais réalisée », souligne Servan Ndjantcha, directeur d'Agorastore Immobilier, société de vente aux enchères immobilières qui conseille les collectivités dans la cession de leurs terrains et leurs stratégies foncières. Dans ce contexte, réaliser des projets d'aménagement sans acquérir le foncier ou en l'achetant à moindre coût devient un impératif.

Maîtriser le foncier sans l'acheter

La maîtrise du foncier ne signifie pas systématiquement acquisition et transfert de propriété. Certains outils permettent en effet de bloquer les terrains nécessaires à un projet pour une durée déterminée.

Recourir au périmètre d'attente de projet d'aménagement global. C'est le cas du périmètre d'attente de projet d'aménagement global (Papag). Il s'agit d'une servitude inscrite dans le zonage et le règlement du plan local d'urbanisme (PLU). Elle permet de figer les constructions dans un périmètre donné pour une durée de cinq ans dans l'attente d'un projet d'aménagement global, sans bénéficiaire ou destination précise (). Dans cette zone, seuls quelques travaux de rénovation légers sont autorisés, mais les emprises foncières sont figées. Le Papag est l'outil qui a notamment été choisi par la commune de Cras-sur-Reyssouze (Ain) pour réserver le quartier des Adams. Ce secteur, soumis à une forte pression foncière - il s'agit d'une des dernières zones non inondables de la ville -a été préservé par un Papag en vue de son aménagement, le temps de réaliser les études nécessaires et de choisir les outils les plus adéquats. « Au bout des cinq ans, si rien n'est réalisé dans le quartier, le périmètre reviendra dans le droit commun de l'urbanisme », explique-t-on à la mairie.

Il est aussi possible d'utiliser une servitude d'utilité publique pour réserver certains espaces dans un but d'intérêt général : construction d'équipements sportifs, de voirie, d'espaces naturels, etc. Avantage : quand la collectivité achète finalement le terrain pour réaliser l'opération, le coût du foncier est amoindri. Car si les constructions sont « gelées », les prix le sont aussi.

Autre faculté offerte aux collectivités territoriales : le sursis à statuer sur une demande d'autorisation de construire. Il suspend pendant deux ans l'octroi d'un permis qui compromettrait l'exécution d'un futur PLU et serait de nature à rendre plus compliquée ou onéreuse l'exécution d'une opération d'aménagement ou une acquisition publique.

Préempter via les ZAD. Enfin, pour garantir la maîtrise foncière progressive des terrains sur lesquels est prévue à terme une opération d'aménagement, les collectivités disposent d'un outil efficace, les zones d'aménagement différé (ZAD). Il leur permet de disposer d'un droit de préemption sur toutes les ventes de biens immobiliers. L'intérêt de ce dispositif est d'éviter que l'annonce du projet ne provoque une envolée des prix. Attention, toutefois, de bien réaliser la concertation avec le public, de façon à ce que la ZAD ne se transforme pas en « zone à défendre » comme pour l'aéroport nantais de Notre-Dame-des-Landes.

En parallèle, il est indispensable « que les collectivités établissent une stratégie foncière claire, adaptée à leurs projets et qu'elles soient dotées de documents d'urbanisme », explique Philippe Angotti, délégué adjoint de France urbaine, association qui regroupe les élus de métropoles, grandes intercommunalités et villes françaises. Le PLU permet ainsi de faire le point sur les objectifs à dix ans, ce qui permet de ne pas sous-estimer ni surestimer les besoins en foncier. Les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) du PLU facilitent la mise en place d'une stratégie foncière globale. Les acquisitions seront ensuite limitées au strict nécessaire.

Apprécier les gisements fonciers disponibles. A cet égard, les collectivités disposent de divers outils développés par des entreprises innovantes, permettant notamment de connaître les gisements fonciers disponibles. Par exemple, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le portail Urbansimul a ainsi été développé par l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et le Centre d'études sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Il permet d'apprécier l'offre de terrains potentiellement constructibles ainsi que les gisements possibles en croisant les données issues des PLU et celles sur les risques naturels et technologiques.

Acquérir le foncier au juste prix

Mais une stratégie foncière efficace peut ne pas suffire. Dans certains cas, la collectivité devra acheter le foncier. Et à un prix raisonnable. Encore faut-il savoir où se situe le prix du marché et posséder de réelles capacités de négociation. Les collectivités sont parfois démunies dans ce domaine et disposent rarement des compétences en interne.

Leur premier réflexe est donc de se tourner vers un bureau d'études, mais elles n'en ont pas toutes les moyens. Elles peuvent aussi faire appel à un aménageur-lotisseur qui les aidera à négocier le terrain pour les équipements et espaces publics. Les aménageurs-lotisseurs sont très présents en milieu rural et proposent généralement des montages assez simples, comme la réalisation d'équipements publics au moyen d'un projet urbain partenarial (PUP). Ce dernier permet de financer des équipements publics rendus nécessaires par le projet comme une crèche, des voiries et des espaces publics. Mais l'aménageur vise d'abord la réalisation de son projet et ne peut se substituer à la collectivité pour définir sa stratégie.

L'aménageur ne peut se substituer à la collectivité pour définir la stratégie de celle-ci.

S'appuyer sur les Safer. Dans le cas d'opérations plus complexes en revanche, les collectivités rencontrent davantage de difficultés à trouver l'interlocuteur adéquat. Pour connaître le prix du foncier, elles peuvent s'appuyer sur les Safer qui ont mis en place Vigifoncier. Ce service d'information en ligne permet de savoir quelles ventes ont lieu sur un territoire donné et de disposer d'indicateurs de suivi et d'analyse des marchés fonciers locaux, comme les zones de pression foncière. Les collectivités peuvent aussi s'adresser à la Direction de l'immobilier de l'Etat (DIE ; ex-France Domaine). Mais ni les Safer ni la DIE n'ont vocation à les aider dans l'élaboration de leur stratégie foncière. La DIE est une interlocutrice obligatoire lors de l'exercice du droit de préemption ou d'expropriation, mais ces deux procédures représentent un coût pour la collectivité et sont susceptibles de recours. Passer par la DIE est également impératif en cas d'acquisition amiable.

Se faire aider par un EPF. Les professionnels de l'aménagement reconnaissent que le bon interlocuteur, qui permet d'acquérir le foncier au juste prix, de constituer des réserves, de bénéficier de conseils est l'établissement public foncier (EPF). Qu'il s'agisse d'EPF locaux ou d'EPF d'Etat, leur but est le même : négocier et mener des procédures en amont de la réalisation de projets d'aménagement. La collectivité passe un contrat avec l'EPF, à charge pour ce dernier d'acheter et de porter le foncier pour le compte de la collectivité.

Avec l'EPF d'Ile-de-France par exemple, la commune de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a prévu un budget de 50 millions d'euros par an pour acquérir des terrains (lire encadré p. 87) . « Ce montant se reconstitue au fil des cessions et donne à la collectivité une force de frappe qu'aucun opérateur privé ne peut atteindre. La présence de l'EPF régule le marché et évite la spéculation », explique Perrine Morlon, chef de projets à l'EPF d'Ile-de-France. Pour les communes qui vont accueillir une gare du Grand Paris Express, l'EPF acquiert ainsi des emprises foncières dans le périmètre de la gare afin d'éviter une flambée des terrains. Ces derniers seront remis sur le marché au prix de revient dans quelques années.

Plus de la moitié de la population française et la moitié des communes sont déjà couvertes par un EPF. Mais ces établissements devraient être amenés à se développer, car la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a réécrit le 1er alinéa de l'. Désormais, les zones d'intervention des EPF sont en effet élargies aux « territoires où les enjeux d'intérêt général en matière d'aménagement et le développement durable le justifient ».

Plus de la moitié des communes françaises sont couvertes par un EPF.

Appliquer la décote du foncier public. Enfin, dernier dispositif permettant d'acquérir des terrains à moindre coût : la décote du foncier public. La relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement permet à l'Etat et à certains établissements publics d'appliquer une décote sur la valeur vénale des terrains qu'ils cèdent lorsque ces derniers sont destinés à des programmes de construction dont une partie au moins est réalisée en logement social. Cet outil est encore récent et mal connu : dans un référé adressé au Premier ministre en octobre 2017, la Cour des comptes a indiqué qu'il n'a pour l'instant concerné que 69 opérations, en permettant la construction de 6 700 logements, loin des 110 000 attendus. La Cour rappelle en outre que l'acquisition simple est le moyen le plus fréquemment utilisé par les collectivités territoriales pour constituer des réserves foncières.

La loi pour l'évolution du logement et l'aménagement numérique (Elan) pourrait développer d'autres outils. Ce texte, en cours de préparation, poursuit entre autres le but de libérer du foncier pour la construction de logements abordables. Il prévoit notamment de rendre consultables toutes les transactions immobilières de façon à lutter contre la spéculation. Reste à voir dans quelle mesure cet objectif sera tenu.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 11405_705664_k2_k1_1683112.jpg PHOTO - 11405_705664_k2_k1_1683112.jpg
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !