Les modes alternatifs de règlement des différends (Mard) poursuivent leur développement au sein de la commande publique, avec plus ou moins de succès selon le type de technique à disposition des parties en situation de différend (1) : - la conciliation et la médiation (art. L. 2197-1 du Code de la commande publique [CCP]) ; - l'intervention d'un comité consultatif de règlement amiable des différends (CCRA) [art. L. 2197-3 du CCP] ; - le médiateur des entreprises (art. L. 2197-4 du CCP) ; - l'arbitrage (art. L. 2197-6 du CCP, avec une autorisation spéciale par décret pour ce qui concerne l'Etat [art. R. 2197-25 du CCP]) [2].
Partons du postulat que le choix d'un processus de règlement alternatif du litige a été fait, ce qui constitue déjà une décision parfois courageuse, d'aucuns estimant qu'il n'y a de salut que dans une solution juridictionnelle. La question à trancher pour les praticiens des contrats de la commande publique est alors celle du mode le plus adapté à leur situation, les parties devant s'accorder sur un choix partagé. Cela conduit à une analyse multicritère bien connue de la commande publique. L'offre « équitablement la plus avantageuse », fondée sur un consensus, pourra ainsi conduire à un deuxième accord entre les parties.
Mode équitablement le plus avantageux. Ces deux accords, sur le choix de la voie du Mard et sur celui du mode équitablement le plus avantageux, constituent le fondement d'une posture essentielle pour tenter de parvenir à un « règlement du litige ». Pour continuer de filer le parallélisme avec les modalités d'attribution des contrats de la commande publique, les critères du Mard équitablement le plus avantageux doivent être définis en lien avec l'objet et les conditions d'exécution de ce mode. La méthode de notation doit être élaborée selon les sensibilités des parties et le choix retenu le sera souvent dans le cadre d'une approche globale.
L'aide des professionnels des Mard est indispensable pour se donner la chance de retenir le mode le plus adapté, d'autant qu'en matière d'opération de travaux, les intervenants peuvent être nombreux et les litiges complexes en particulier sur les plans technique et financier.
L'identification de l'objet du litige et de ses caractéristiques
L'ampleur du litige, sa temporalité et les modalités des modes de règlement doivent être analysées.
Type de contrat. Les parties prendront en compte la nature même du contrat, sa sophistication. Les litiges en matière contractuelle peuvent en effet porter sur des marchés publics traditionnels (marchés de maîtrise d'œuvre et marchés de travaux allotis notamment) ou sur des montages plus complexes, comme les marchés globaux de performance ou les concessions. Le recours à l'arbitrage, par exemple, ne constitue pas nécessairement le mode le plus adapté pour évoquer et régler le solde de marchés relativement modestes.
Temporalité de l'exécution du contrat. La phase pendant laquelle se cristallisent les différends peut également conduire à privilégier certains modes de règlement.
Pour les marchés de travaux ou de maîtrise d'œuvre, les conflits qui peuvent naître à la fin de la période de conception, au stade de la préparation ou en plein milieu de la réalisation des travaux conduisent à rechercher un mode de règlement permettant de rétablir le dialogue, d'ouvrir la possibilité de négocier et de conclure des avenants permettant d'assurer la bonne poursuite de l'exécution des contrats. La médiation paraît, à ce titre, la plus adaptée.
La discussion sur le paiement du solde du marché et l'application des pénalités peut, elle, davantage relever du médiateur des entreprises ou du CCRA.
Ampleur des différends. L'objet du contrat, sa durée, sa complexité ont nécessairement un lien avec l'émergence d'un différend sur une position écrite, une divergence d'interprétation… Nombre de sujets peuvent donc trouver matière à dispute mais aussi à (re) conciliation : - respect des délais/mobilisation des moyens ; - conformité/qualité des prestations ; - quantités mises en œuvre ; - périmètre des prestations et prix correspondants (prestations supplémentaires éventuelles non prévues, hors forfaits ou non) ; - application des clauses de révision ou d'actualisation des prix ; - changement dans la définition des besoins, réordonnan-cement ; - mésententes entre les différents intervenants dans un groupement ou hors groupement mais également avec l'acheteur ; - défaillances d'entreprises/reprises de contrats ; - incidents lors de la réalisation des prestations ; - application des diverses pénalités prévues au marché (nature, montant, cumul, imputabilité, mesures compensatoires) ; - mesures coercitives, etc.
Autant de motifs d'ordre technique, administratif, financier et parfois même relationnel qui peuvent conduire à la reconnaissance par les parties de la nécessité de se faire assister par un tiers (ou un collège de tiers), ce qui, parfois, est opportunément prévu dans le contrat lui-même.
Toutefois, la prévision contractuelle peut conduire à s'interroger sur la pertinence du choix retenu, qui n'est pas nécessairement le plus adapté en fonction d'autres critères. Tel sera le cas de clauses de recours à l'intervention d'un collège de conciliateurs impliquant un délai parfois conséquent (désignation d'un représentant de chaque partie, désignation commune d'un « président » du collège, prise de connaissance du dossier, analyses et échanges, rédaction des préconisations s'il s'agit d'un collège de conciliateurs, etc. ). Compte tenu de l'enjeu de tenter de trouver des accords, les parties ne doivent pas nécessairement se sentir liées par les stipulations contractuelles ; elles peuvent s'accorder sur la voie la plus adaptée, mais de manière formelle pour éviter qu'en cas de désaccord persistant, il puisse être reproché le non-respect de la clause compromissoire.
Les conditions de mise en œuvre des Mard
Les processus pour chaque catégorie de Mard ne sont pas identiques et peuvent ne pas répondre non plus à toutes les attentes des parties. Le choix doit donc tenir compte des modalités de mise en œuvre et d'éventuelles adaptations.
A ce stade, sans hiérarchie ni pondération, les critères déterminants (mais non limitatifs) du mode de règlement le plus adapté peuvent être les suivants : la réversibilité, le coût, la durée, la souplesse (mode adaptatif), l'amplitude du litige et des différends (analyse systémique) et l'objectif, avec des sous-critères propres à chaque différend.
Les attentes des parties doivent également être prises en compte, attentes qu'elles ne partagent pas nécessairement au début mais sur lesquelles elles peuvent être accompagnées dans leur choix et l'adaptation des processus. A titre d'exemple, le Guide pratique sur les Mard (2) présente un tableau comparatif des attentes entre les procédures de médiation et celles de conciliation/CCRA, selon les questions que les parties peuvent se poser (voir tableau page précédente) .
Les résultats de l'analyse multicritère
Après une approche multicritère, notre notation (nécessairement empreinte d'une certaine subjectivité) peut conduire à un classement (voir tableau ci-dessous).
L'arbitrage, arrivé en cinquième position, est peu plébiscité dans la commande publique nationale en matière de construction. Il constitue en effet une voie sans retour en arrière, plutôt onéreuse, avec une sentence qui s'impose aux parties. Il peut néanmoins être la proposition à retenir pour les litiges financiers dans des contrats internationaux permettant de trancher en particulier des demandes de rémunération complémentaire.
Les CCRA, en quatrième position, souffrent d'un retour d'expérience négatif sur plusieurs points : - des lourdeurs et lenteurs administratives (absence de gestion dématérialisée des dossiers, avec des envois papiers en multiples exemplaires) ; - Une « instruction » peu qualitative tenant aux horizons des rapporteurs parfois étrangers à l'objet des différends ; - une appréciation en « équité » parfois éloignée des cadres juridiques permettant de ne pas opérer de libéralités ; Ces comités permettent toutefois de bénéficier d'un avis conduisant à clore certains litiges à enjeux modérés avec une procédure contradictoire.
Le médiateur des entreprises, en troisième position, s'avère une solution très adaptée notamment pour des litiges liés au paiement, aux problématiques de révision de prix, d'imprévision. Son équipe est très à l'écoute des parties et proactive.
La conciliation, en deuxième position, reste, avec un seul tiers ou un collège de conciliateurs pouvant rendre un avis, un outil relativement souple à mettre en œuvre, permettant des échanges contradictoires simplifiés et directs. Son coût raisonnable et ses délais compatibles avec des contraintes de planning peuvent la rendre attractive.
La médiation, classée en première position, se révèle un outil « tout-terrain » en matière de construction. Elle rend possible l'intervention de toutes les parties prenantes dans la plus stricte confidentialité, en cours d'opération (pour trouver des accords même partiels permettant d'avancer) ou à la fin (pour trouver des accords globaux et définitifs). La désignation conventionnelle peut être retenue pour permettre le choix d'une médiation avec une partie seulement des intervenants, sans avoir l'inconvénient d'une désignation juridictionnelle pouvant conduire à ne pas suivre une demande si une partie s'y oppose. La médiation permet aussi aux parties d'organiser dans son cadre des expertises, des échanges techniques, de prendre en compte des facteurs de complexité que l'analyse systémique (si elle est maîtrisée par les médiateurs) va permettre de traiter avec plus de facilité et avec une dimension interpersonnelle pouvant être la clé d'un accord autorisant la poursuite de la relation contractuelle.
Dans tous les cas, et quelle que soit l'option retenue, il vaut mieux rentrer en Mard au risque qu'il ne se passe rien, plutôt que de ne pas y rentrer au risque d'un mauvais procès.
(1) La notion de différend résulte de la jurisprudence (CE, 22 novembre 2019, n° 417752 et CE, 27 novembre 2019, n° 422600, mentionnés dans les tables du Recueil) . Elle se trouve désormais définie précisément dans les CCAG (sauf les CCAG travaux et MOE) aux articles 46 du CCAG-FCS, 43 du CCAG-PI, 55 du CCAG-TIC et 49 du CCAG-MI : « L'apparition du différend résulte : soit d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord ; soit du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un délai qui ne saurait être inférieur à quinze jours ; soit de l'absence de notification du décompte de résiliation dans le délai mentionné [dans le CCAG]. »
(2) Voir le « Guide pratique sur les modes amiables de règlement des différends dans la commande publique », Observatoire économique de la commande publique (OECP), mai 2024.

