Passation
Appréciation des offres : la transparence n’est pas l’exhaustivité
Les soumissionnaires doivent recevoir tous les éléments leur permettant de présenter leur offre de manière optimale, mais le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de communiquer toutes ses directives internes d’appréciation des offres. En cas de rejet de son offre, le candidat peut se voir transmettre les seuls documents lui permettant d’en déduire les motifs de cette éviction, indique le Conseil d’Etat.
Conseil d'État, 7e chambre, 2 août 2023, n° 472976
Motifs d’exclusion facultatifs : un acheteur n’est pas lié par la décision d’une autorité de concurrence
La Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’une décision d’une autorité de concurrence infligeant une sanction en raison d’une infraction aux règles de concurrence ne lie pas les pouvoirs adjudicateurs devant apprécier si l’opérateur économique doit être exclu de la procédure de passation d’un marché public. Les acheteurs doivent dans tous les cas mettre en œuvre la procédure d’auto-apurement et motiver leur décision.
CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-66/22
Précisions sur les limites temporelles du pouvoir d’exclusion pour faits de corruption active
Un pouvoir adjudicateur peut exclure de la passation d'un marché public un candidat ayant commis les faits visés à l'article L.2141-8 du Code de la commande publique au cours des trois années précédant la procédure. Et en cas de condamnation non définitive, ce délai court à compter du prononcé de cette condamnation, précise le Conseil d'Etat.
CE, 16 février 2024, n°488524, mentionnée au recueil Lebon
Conception-réalisation
De l’importance de la prime …
Un tribunal administratif rappelle que tout candidat qui remet une prestation dans le cadre d’une offre en réponse à une procédure de passation d’un marché de conception-réalisation a droit au versement d’une prime. Double peine pour le pouvoir adjudicateur qui souhaiterait se défaire de cette obligation : il doit régler le montant total de la prime, sans pouvoir la moduler en fonction de la réalité des prestations effectivement remises.
TA Montreuil, 19 septembre 2023, n° 2115883
… et de bien motiver son utilisation
Une ordonnance d’un tribunal administratif illustre le contrôle rigoureux auquel se livre le juge pour apprécier si les conditions de recours à un marché de conception-réalisation sont remplies.
TA Grenoble, 25 octobre 2023, n°2306384
Maîtrise d’œuvre
L'architecte doit signaler toute non-conformité de l'ouvrage aux normes qui lui sont applicables
Le Conseil d’Etat étend à nouveau l'obligation de conseil du maître d'œuvre à l'égard du maître d'ouvrage, laquelle concerne désormais toute non-conformité de l'ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l'art et aux normes.
CE, 22 décembre 2023, n°472699, mentionnée au recueil Lebon
L’acheteur n’est pas tenu de suivre l’avis du jury de concours
Le Conseil d’Etat admet la possibilité pour l’acheteur public de désigner comme lauréat d’un concours de maîtrise d’œuvre le candidat classé deuxième par le jury. Dans un tel cas, le pouvoir adjudicateur n’a pas l’obligation de justifier que l’offre finalement retenue était manifestement meilleure que celle initialement proposée.
CE, 30 juillet 2024, n° 470756, mentionnée au recueil Lebon
Exécution
Actualisation du prix d'un marché public : quel est le mois zéro en cas de négociations ?
Une décision d’une cour administrative d’appel comble un vide du Code de la commande publique sur le point de départ du délai de trois mois devant s'écouler entre la fixation de l'offre de prix par l'entreprise et le début d'exécution des prestations, pour obtenir une actualisation du prix ferme. Sans régler totalement la question.
CAA Marseille, 27 novembre 2023, n°22MA01954
Cotraitance
La demande de réclamation doit être adressée par le mandataire du groupement conjoint
Le mandataire d’un groupement conjoint a une compétence exclusive pour assurer les relations entre les cotraitants et le maître d’ouvrage, souligne une cour administrative d’appel.
CAA Toulouse, 19 septembre 2023, n° 21TL02394
Sous-traitance
Le régime de la sous-traitance continue de s’étoffer
Par deux décisions rendues le même jour, le Conseil d’Etat fixe les critères permettant de distinguer un sous-traitant d’un simple fournisseur et précise la portée de la réponse de l’entrepreneur principal à la demande de paiement direct adressée par le sous-traitant.
CE, 17 octobre 2023, n°465913, mentionné au recueil Lebon
CE, 17 octobre 2023, n°469071, mentionné au recueil Lebon
Paiement direct : le pouvoir de contrôle du maître d’ouvrage sur les prestations du sous-traitant est limité
Le maître d’ouvrage peut s’assurer de la réalité des prestations mais pas de leur qualité, rappelle le Conseil d’Etat.
CE, 2 février 2024, n° 475639
Décompte général et définitif (DGD)
Pas de DGD tacite pour le titulaire d'un marché public ayant déjà reçu un décompte général signé par le maître d’ouvrage
Le titulaire d’un marché public de travaux ne peut plus transmettre de projet de décompte s’il a déjà reçu un décompte général signé du maître d'ouvrage, juge le Conseil d'Etat. S’il souhaite contester le décompte transmis par le pouvoir adjudicateur, le titulaire doit appliquer la procédure de réclamation décrite dans le CCAG.
CE, 9 novembre 2023, n°468867, mentionné au recueil Lebon
Le respect du délai pour transmettre un mémoire en réclamation s'apprécie à sa date de réception par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre
Le titulaire qui entend contester le décompte général notifié par le maître d'ouvrage doit rédiger un mémoire en réclamation. Lequel doit être reçu avant la fin du délai fixé dans le CCAG travaux. Et il en va de même pour la copie adressée au maître d'œuvre, estime le Conseil d'Etat.
CE, 2 février 2024, n°471122, mentionné au recueil Lebon
Pas de réclamation préalable à la saisine du juge en présence d’un DGD, même tacite
Le titulaire d’un marché public de travaux se prévalant d’un décompte général et définitif tacite n’est pas tenu de mettre en œuvre la procédure de réclamation prévue par le CCAG avant de saisir le juge, précise le Conseil d’Etat.
CE, 7 juin 2024, n°490468, mentionné au recueil Lebon
Contentieux
Appréciation stricte de l’intérêt à agir d’un tiers à un contrat public dans le cadre d’un recours dit « Transmanche »
Ce recours, de création jurisprudentielle, est destiné au tiers qui conteste une décision refusant de mettre fin à l’exécution d’un contrat. Mais il est rarement exercé, et cela ne devrait pas évoluer. Le Conseil d’Etat fait en effet primer la stabilité des relations contractuelles sur l’accès au prétoire des tiers.
CE, 24 octobre 2023, n° 470101, mentionné au recueil Lebon
Seule une procédure de passation d’un contrat de la commande publique peut faire l’objet d’un référé précontractuel
A l’occasion d’un recours portant sur la procédure de mise en concurrence relative à la vente sous forme de cession avec charges du Stade de France, un tribunal administratif rappelle que le référé précontractuel ne concerne que les procédures d’attribution d’un contrat de la commande publique.
TA Montreuil, 15 mai 2024, n° 2404859
La Cour de cassation complète le régime du contentieux des travaux publics
Un litige entre deux intervenants à un marché public de travaux relève par principe de la compétence du juge administratif, y compris s'il oppose deux personnes de droit privé. La Cour de cassation applique ce principe au conflit entre un maître d'ouvrage délégué et un sous-traitant.
Cass. 3e civ., 25 avril 2024, n° 22-22912, publiée au Bulletin
Candidat évincé
Précisions sur l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé d’un marché public à bons de commande
En présence d'un marché public à bons de commande, le manque à gagner indemnisable du candidat irrégulièrement évincé qui avait une chance sérieuse de remporter le contrat est limité au montant minimum fixé dans le marché. S'il n'est pas en mesure de démontrer son manque à gagner, le candidat a tout de même droit à être indemnisé de ses frais d'offre, juge une cour administrative d’appel.
CAA de Marseille, 11 septembre 2023, n° 19MA05388
Un seul candidat irrégulièrement évincé peut obtenir l’indemnisation de son manque à gagner
Pour le Conseil d’Etat, il ne peut y avoir qu’un seul soumissionnaire irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique pouvant être considéré comme ayant une chance sérieuse d’emporter le contrat et dès lors se voir indemniser de son manque à gagner.
CE, 28 novembre 2023, n°468867, mentionné au recueil Lebon
DSP : l'indemnisation du candidat évincé doit tenir compte des spécificités du contrat irrégulièrement conclu
Le candidat évincé à tort de la procédure de passation d’une délégation de service public qui avait une chance sérieuse de la remporter a droit à l’indemnisation de son manque à gagner. Le Conseil d’Etat précise que l'indemnité doit être déterminée en prenant en compte la part de risque incombant au titulaire d’un tel contrat. Le juge doit aussi tirer les conséquences de la résiliation anticipée du contrat sur l'indemnisation du candidat malheureux.
CE, 24 avril 2024, n°472038, publié au recueil Lebon
Requalification
Cessions foncières avec charges : la Cour de cassation adopte la position de la juridiction administrative
La Cour de cassation fait concorder sa jurisprudence avec celles des juridictions administratives s'agissant des critères de requalification d'une opération immobilière en marché public de travaux.
Cass., civ. 3e, 26 octobre 2023, n° 22-19444
Befa ou marché public : l’influence de la personne publique sur la conception du bâtiment détermine la qualification du contrat
Un contrat immobilier assorti de travaux, conclu entre une personne publique et un opérateur privé, sera requalifié en marché public de travaux « lorsqu’il résulte des stipulations du contrat que le pouvoir adjudicateur exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages », juge le Conseil d’Etat.
CE, 3 avril 2024, n° 472476, publiée au recueil Lebon
Concessions
La CEDH valide le régime des biens de retour
La jurisprudence française sur les biens de retour ne méconnaît pas le droit de propriété garanti par la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Elle peut s’appliquer y compris à des biens appartenant à l’exploitant avant la conclusion du contrat de concession.
CEDH, affaire SARL Couttolenc Frères c. France, n° 24300/20
L’autorité concédante peut introduire un référé « mesure utile » en cas de manquement du titulaire
Le Conseil d’Etat rappelle les conditions dans lesquelles le juge des référés peut enjoindre au titulaire d’un contrat de concession de se conformer aux stipulations contractuelles. Il faut notamment que la continuité du service public soit menacée.
CE, 15 janvier 2024, n° 489157
L’autorité concédante n’est pas obligée d’exclure le candidat ayant reçu des informations confidentielles sur l’offre d’un autre candidat
A l’occasion d’un litige portant sur l’attribution de la concession de l’eau potable d’Ile-de-France, le Conseil d’Etat estime que le Syndicat des eaux d’Ile-de-France pouvait bien poursuivre la procédure, bien que Veolia ait reçu par erreur des informations concernant l’offre de son concurrent Suez. L’autorité concédante pouvait également attribuer le contrat sur la base des offres intermédiaires, bien que le règlement de consultation prévoyait la remise d’une offre finale.
CE, 2 février 2024, Société Suez Eau France, n°489820
Le Conseil d’Etat sanctionne une méthode d’évaluation des offres inappropriée
L'autorité concédante dispose d’une grande souplesse pour définir sa méthode d’évaluation des offres. Mais celle retenue doit nécessairement permettre de choisir l’offre économiquement plus avantageuse, au risque de voir la procédure de passation annulée par le juge administratif.
CE, 7 juin 2024, n° 489404, mentionnée au recueil Lebon
Imprévision et force majeure
PPP : la crise sanitaire n’est pas (toujours) un cas de force majeure
Au regard du niveau de recettes perçues par le titulaire d’un contrat de partenariat pendant la crise sanitaire, cet événement ne constitue pas un cas de force majeure. Mais il pourrait s’agir d’un cas d’imprévision, estime un tribunal administratif.
TA Nice, 31 octobre 2023, n°2103109
Crise sanitaire : un tribunal administratif accorde une indemnité à un concessionnaire
La baisse d’activité subie par un concessionnaire en raison de la crise sanitaire constitue bien une situation d’imprévision qui lui ouvre droit à indemnité. Le concédant qui refuse de la lui verser engage sa responsabilité.
TA, 25 janvier 2024, n° 2102179