Une structure de code assez classique, des efforts de simplification, une approche opérationnelle. Mais une lisibilité pas toujours au rendez-vous, et une codification pas tout à fait à droit constant... Voilà ce que pensent les praticiens, auxquels « Le Moniteur » a tendu le micro, du projet de Code de la commande publique (CCP) actuellement en consultation publique sur le site de la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy.
Sommaire de l'article
Une consultation jugée trop brève
Un texte dense mais bien structuré
Un vocabulaire qui évolue, des ajouts, des manques
Des dispositions qui interrogent
Une consultation jugée trop brève
Trois semaines pour donner son avis sur le texte… Le Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa) estime ce délai correct pour une codification à droit constant. Mais, « après une première lecture et en comparant avec les textes initiaux, il apparaît que le travail de codification va au-delà de l'ordonnancement juridique », constate Benoît Gunslay, juriste au Cnoa.
De plus, du fait des nombreux ponts de mai, acheteurs publics comme opérateurs économiques trouvent en pratique le délai relativement court. Cela contraint par exemple la fédération Syntec-Ingénierie dans sa démarche d'analyse. « Nous n'allons pas pouvoir donner notre avis sur tout le code, indique Benjamin Valloire, son délégué aux affaires juridiques. Nous nous focaliserons sur la codification de la loi MOP [loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique]. » Le Cnoa va faire de même, en se concentrant sur les dispositions concernant particulièrement la maîtrise d'oeuvre, à savoir celles relatives à la passation des marchés.
42 pages de sommaire, 400 pages de code (hors mesures sur l’outre-mer) : le futur CCP est un pavé. Outre les ordonnances et décrets marchés publics et concessions, il intègre en effet de nombreux autres textes : la loi MOP et ses décrets d’application, la loi relative à la sous-traitance, le décret de lutte contre les retards de paiement, etc. Le code est organisé en trois parties : une première, générale, consacrée aux définitions et aux champs d’application, une deuxième dédiée aux marchés publics et une dernière aux contrats de concessions.
Xavier Mouriesse, avocat associé au cabinet BRG avocats, n’est pas surpris par l’épaisseur du document : « Il est très didactique. C’est un bel effort de compilation et de présentation des textes. On a également, enfin, une définition de la commande publique, certes assez générique, mais qui a au moins le mérite d’exister. » Grégory Kalflèche, professeur à l’université Toulouse 1 Capitole (et auteur de la thèse « Des marchés publics à la commande publique - L’évolution du droit des marchés publics »),trouve le plan très pédagogique. Il estime que ce code « va permettre de limiter l’usage des guides explicatifs parfois compliqués et potentiellement source d’illégalité - car ils ont tendance à restreindre la liberté des acheteurs publics ».
Si le plan du Code de la commande publique est clair aussi pour le Cnoa, la taille de son sommaire étonne Syntec-Ingénierie. Et les deux fédérations reconnaissent le gros travail mené par la DAJ. La mise en exergue, dans le projet, des modifications rédactionnelles apportées par rapport aux textes initiaux est appréciée. Sa lecture est facilitée, mais reste longue. « Il faut étudier attentivement le texte pour comprendre sa logique et son fonctionnement, explique Syntec-Ingénierie. Par exemple, pour les modalités de modifications du contrat, il faut jongler entre différentes parties du code – art. L. 2194-1 et suivants et art. L. 2421-5 -, en plus des dispositions prévues dans les CCAG spécifiques qui ne sont pas, eux, codifiés. » Benoît Gunslay (Cnoa) déplore aussi les nombreux renvois vers des livres, chapitres ou titres plutôt qu'à des numéros d’articles (1).
Du côté des acheteurs publics, la structure du CCP est jugée plutôt satisfaisante. Christophe Loriau, chef du service commande publique du département d'Indre-et-Loire et membre du conseil d'administration de l'Association des acheteurs publics (AAP), a participé au groupe d’experts constitué par la DAJ pour la codification. Il explique que deux approches se sont opposées. L’une, « assez conceptuelle », qui aurait mixé de façon plus étroite les règles concernant les marchés publics et celles relatives aux concessions. L’autre, « plus opérationnelle et pragmatique », qui a prévalu. « Nous souhaitions un outil lisible et accessible, le plus autosuffisant possible, et maniable par des non-juristes », explique le praticien. Qui salue le fait que les dispositions d’ordres législatif et réglementaire soient regroupées au fil du code, car le statut juridique de la norme importe peu à celui qui manie le texte au quotidien…
Un vocabulaire qui évolue, des ajouts, des manques
Loin d’être un simple copié-déplacé-collé des dispositions existantes, le projet de code toilette les textes. Ainsi, il n’est plus question d’ « avenant » dans la partie sur la loi MOP, relève Syntec-Ingénierie. Autre exemple, la notion d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) à objet général (art. L. 2422-3) fait son apparition. Le code consacre ce métier de l’AMO, désigné dans la loi MOP sous le vocable de « conducteur d’opération », explique le Cnoa. Syntec-Ingénierie se réjouit par ailleurs de la reconnaissance de l’AMO à objet limité, mais considère que sa définition est trop restrictive (2).
Autre nouveauté – dont on ne perçoit pas bien la portée à ce stade, la « procédure concurrentielle avec négociation », issue de la réforme de 2016, est rebaptisée « procédure négociée avec publicité préalable ». Soit.
Au-delà des questions de vocabulaire, les praticiens relèvent des ajouts, souvent opportuns. Ainsi Me Xavier Mouriesse apprécie l’intégration, dans les parties relatives à l’exécution, de la théorie générale des contrats administratifs. Et plus particulièrement, concernant la modification des contrats, l’insertion de dispositions sur le maintien de l’équilibre financier des contrats (article L. 2194-2 du CCP). Autre nouveauté relevée par l’avocat : « Le projet mentionne, pour les concessions, la possibilité d’écarter les offres irrégulières - même si cela semblait évident dans le silence des textes. » Des internautes ont également noté l’introduction (art. L. 2152-5) d’une définition de l’offre anormalement basse, issue de la jurisprudence.
Christophe Loriau regrette, lui, que les règles relatives à la commission d’appel d’offres (CAO) n’aient pas été embarquées dans le CCP et demeurent inscrites dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT). « Cela tient sans doute au fait que depuis quelques temps, la CAO est sur la sellette, estime le représentant de l’AAP. Mais, soit on la maintient, et autant lui faire une place dans le CCP ; soit on décide de la supprimer ! ».
Dans le même ordre d’idée, si le projet de code parle de "concessions", il fait encore allusion à la notion de "délégation de service public" (DSP) dans son article L. 1121-3. Celui-ci précise en effet que "pour l’application du [CGCT], une concession de services ayant pour objet un service public passée par une ou plusieurs collectivités territoriales, établissements publics locaux ou leurs groupements est dénommée délégation de service public". Or, pour le professeur Kalflèche, « le maintien de cette dichotomie DSP et concession de service public est ridicule, et peut créer des confusions chez les élus locaux. Il est temps de l’abandonner. »
François Antoniolli, directeur adjoint des finances de la commune de Saint-Louis (La Réunion), déplore de son côté que cette codification soit faite – ou presque – à droit constant. Elle aurait pu, selon lui, "être l’occasion d’apporter certains ajustements ou précisions". « Ainsi, le projet de code énonce que les contrats doivent être écrits quand ils sont d’un montant supérieur à 25 000€ (article R. 2112-1), alors que pour les marchés de maîtrise d’œuvre, la loi MOP précise qu’ils doivent être écrits quel que soit le montant. Une harmonisation aurait été la bienvenue ».
Autre suggestion : compléter la rédaction de l’article R. 2151-13 relatif aux variantes. Pour mémoire, en procédure formalisée, celles-ci sont interdites sauf mention contraire. Et c’est l’inverse en procédure adaptée : elles sont autorisées par principe. Mais comme le fait remarquer le praticien, alias @LeClauseur sur Twitter : « Si les variantes sont autorisées, il faut des exigences minimales. Au final, il est impossible d’autoriser tacitement des variantes. Le texte mériterait d’être revu ». Parmi ses autres regrets, l’absence d’évocation dans le CCP des offres spontanées pouvant être formulées par des opérateurs économiques…
Au registre des manques, Syntec-Ingénierie déplore, par ailleurs, l’absence de règles sur l'exécution financière des marchés des Epic (3) de l'Etat ainsi que le manque d'ambition sur le BIM. C’était déjà le cas dans l’ordonnance de 2015 et le décret de 2016 relatifs aux marchés publics, et le principe de la codification à droit constant n’a pas permis d’y remédier...
Par ailleurs, selon les acteurs interrogés, la codification ne reflète pas toujours complètement l'état actuel du droit. Une illustration : les fonctions du maître d'ouvrage (L. 2421-1) sont citées sans mettre la priorité (comme le fait pour l’heure la loi MOP) sur l'analyse de la faisabilité et de l'opportunité de l'opération par rapport à ses conditions de réalisation et de financement. « C’est certes un détail, mais on ne peut plus parler d’une codification à droit constant, estime Benoît Gunslay (Cnoa). Cela change la logique du maître d’ouvrage qui peut se focaliser sur le projet avant d’en déterminer la faisabilité. »
Autre changement rédactionnel : le Cnoa constate, par exemple, que l’article L. 2172-1 sur le concours ne mentionne plus la phase de dialogue possible entre le jury et les candidats permettant de vérifier l'adéquation des projets aux besoins du maître d'ouvrage - tel qu’évoqué à l'article 5-1 al. 2 de la loi sur l'architecture de 1977.
Par ailleurs, cet article L. 2172-1emploie le pluriel pour désigner l’existence d’exceptions au concours d’architecture pour la passation d’un marché de maîtrise d’oeuvre ayant pour objet la réalisation d'un ouvrage de bâtiment. Or comme le relève Benoît Gunslay, il n’en existe qu’une dans le texte initial (art. 90-II-1 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, reproduit à l’article R. 2172-2). Le Cnoa souhaite donc le maintien de la rédaction initiale, jugée plus conforme, de l’obligation de concours (article 5-1 de la loi sur l’architecture modifié en 2016).
Si les praticiens se satisfont de l’intégration de certaines jurisprudences dans le CCP, ils déplorent que des éléments restent néanmoins incomplets. Par exemple, concernant l’un des cas de résiliation du marché, la notion de faute « d'une gravité suffisante » est reprise, mais ses critères ne sont pas précisés, regrettent le Cnoa et Syntec-Ingénierie. D’ailleurs, cette dernière fait remarquer que le code n’évoque que certains cas de résiliation, d’autres étant prévus dans les CCAG (notamment le CCAG-prestations intellectuelles). De plus, « la partie législative se limite à énoncer le pouvoir de résiliation de la personne publique, sans évoquer le régime d’indemnisation du titulaire », note Christophe Mérienne. Qui s’interroge sur le but recherché et l’intérêt de rappeler aux acheteurs un tel pouvoir. Cette disposition est jugée incomplète et ne reflétant pas l’état du droit.
Autre constat étonnant : une partie de la loi MOP sur les éléments de mission de la maîtrise d’œuvre (art. 7 de la loi) est codifiée dans la partie réglementaire du code (art. R. 2431-1). « On ne sait pas ce qui a guidé ce choix, se demande Benjamin Valloire (Syntec-Ingénierie). Est-ce pour des questions purement juridiques ? Ou cela révèle-t-il une volonté d’avoir plus de souplesse derrière ? A court terme, il n’y a pas de conséquences, car tous les éléments de missions sont repris. En revanche, on peut craindre qu’à l’avenir un simple décret vienne changer ces missions sans débat parlementaire. » Les représentants de la maîtrise d’œuvre restent sur leurs gardes en ces temps de contestation de la loi MOP. D’autant plus qu’ils doivent plancher « sur un texte brut, sans étude d’impact expliquant les intentions du rédacteur », fait remarquer Christophe Mérienne.
Appel à la stabilité… Et ode à l’adaptabilité !
Au final, les acteurs de la commande publique souhaitent surtout de la stabilité, et du temps pour s'adapter. « Nous tenons à l’application de la loi MOP dans son champ actuel ainsi qu’au maintien des règles de la commande publique, telles qu'adoptées il y a un an et demi, car elles fonctionnent plutôt bien ainsi », revendique le Cnoa. Pour Syntec-Ingénierie, une véritable coordination entre le Parlement et le gouvernement dans la production des normes est souhaitable. Et pour cause : « Les entreprises ont trop de changements juridiques à gérer en même temps ».
En effet, le Code de la commande publique, une fois retouché au vu des suggestions résultant de la consultation, devrait être transmis au Conseil d’Etat avant l’été pour être publié entre octobre et décembre – au moment même du passage au "tout dématérialisé" dans les marchés publics. Son entrée en vigueur devrait intervenir dans la foulée… « Il risque d’y avoir une période de flottement, prévient Christophe Loriau, le temps que les éditeurs de logiciels s’adaptent - actuellement, ils s'arrachent un peu les cheveux ! Et que les acteurs s’approprient le nouveau corpus ». Il faudra notamment aux acheteurs le temps de modifier toutes leurs pièces pour mettre à jour les références juridiques… « Mais nous avons l’habitude de nous adapter », conclut, optimiste, le représentant de l’Association des acheteurs publics.