A l’occasion du Mipim, vous avez présenté, avec Linkcity et Crédit agricole Immobilier, le projet Demi-Lune, lauréat en 2024 de l’appel à projets urbains innovants (Apui) Empreintes lancé par Paris La Défense. Quelles en sont les principales caractéristiques ?
Parmi les quatre projets lauréats de l’Apui Empreintes, Demi-Lune est techniquement le plus compliqué mais aussi, potentiellement, le plus porteur de promesses pour l’avenir. Conçu par L’AUC et XGDA, ce programme mixte de plus de 50 000 m2 à dominante résidentielle avec des bureaux et des locaux d’enseignement, prendra place derrière le centre commercial des Quatre Temps. Il se compose de trois bâtiments implantés autour d’un parc de 5 000 m2 : deux de 50 m de haut chacun et une tour culminant à près de 110 m qui serait la première en France à respecter le seuil 2025, voire 2028 de la RE2020. Cet objectif étant très difficile, voire impossible à atteindre dans l’état actuel de la réglementation, nous avons engagé un travail d’expérimentation avec les services de l’Etat, le CSTB et des bureaux d’études. Il vise à déterminer comment on peut adapter les normes, sans dégrader ni la sécurité incendie, ni l’ambition d’exemplarité environnementale, pour permettre la construction d’immeubles de grande hauteur (IGH) bas carbone. Le projet Demi-Lune a valeur de cas d’école. Si nous parvenons à trouver une solution, elle devra être reproductible. Si nos réflexions n’aboutissent pas, cela signifie que l’on ne pourra plus bâtir d’IGH en France.
Quand l’opération Demi-Lune pourrait-elle sortir de terre ?
Les travaux devraient démarrer en 2027 pour une livraison en 2031.
Qu’en est-il des trois autres projets lauréats ?
Un bâtiment de la 4e famille entièrement réalisé en modules bois 3D
Le projet Liberté, de 17 000 m2, sous maîtrise d’ouvrage de Quartus et conçu par Baumschlager Eberle Architectes et Itar Architecture, consiste en trois plots à dominante résidentielle 100 % réversibles. Cette opération pourrait faire l’objet d’un permis de construire à double usage, qui serait une première à La Défense. Les deux autres projets, à la programmation mixte, sont plus avancés. Nous espérons signer les promesses de vente avant l’été avec un dépôt des permis de construire dans la foulée. L’un, Synapses, un bâtiment de la 4e famille développé par Pitch Immo x Woodeum et GA Smart Building, sur 8 000 m2, par l’architecte Alfonso Femia, sera entièrement réalisé en modules bois 3D. Cette construction hors site constituera, là aussi, une première pour le quartier d’affaires. L’autre, Jean-Moulin, porté par BNP Paribas Real Estate et Spie batignolles Immobilier, il qui a été dessiné par RHSP et Arep et représente 19 000 m2, s’inscrit, lui, dans la grande tradition de La Défense : le foncier n’existe pas ! Ce programme prendra place sur une dalle à construire au-dessus de l’avenue Jean-Moulin.
Envisagez-vous de lancer un autre appel à projets ?
Nous pourrions être en mesure de présenter le nouveau projet « Rives de Seine » avant l’été
Aujourd’hui, notre priorité est de mener à bien ces quatre projets et de restructurer ou transformer environ 1 million de mètres carrés de bureaux obsolètes ou en voie d’obsolescence [sur un parc total de 3,7 millions de m2, NDLR]. Néanmoins, le quartier d’affaires reste densifiable. Quelques emprises pourraient accueillir des constructions neuves, et tout particulièrement l’ancien site des tours Hermitage dans le quartier Saisons, à l’entrée de La Défense, en bord de Seine. Ce projet [deux tours jumelles de 320 m de haut que portait le promoteur russe Hermitage, NDLR] s’étant administrativement éteint l’année dernière, nous allons pouvoir inventer autre chose sur le terrain d’assiette dont nous détenons toujours les droits à construire. Nous travaillons actuellement sur le lancement d’une nouvelle démarche urbaine et immobilière dans le quartier Saisons. Nous devrions être en mesure de présenter les premiers jalons de ce projet, baptisé Rives Défense, avant l’été.
Vous venez d’évoquer les centaines de milliers de mètres carrés de bureaux obsolètes. Les propriétaires concernés commencent-ils à envisager la possibilité de les transformer en un autre usage ?
Nous nous trouvons toujours dans la phase d’ajustement des valeurs
L’une des difficultés auxquelles nous nous heurtons est celle de l’ajustement des valeurs. Nous nous trouvons toujours dans cette phase. La plupart des propriétaires n’ont pas encore suffisamment acté la baisse de valeur de leurs biens. A La Défense, un immeuble obsolète et vide vaut environ 1 000 euros/m2, parfois même moins, mais il peut encore être valorisé cinq à dix fois plus dans les comptes. Il faut donc faire preuve de beaucoup de conviction et laisser un peu de temps au temps pour que les propriétaires concernés intègrent cette nouvelle donne. Cela étant, trois opérations de transformation d’immeubles tertiaires en hôtellerie ou résidences étudiantes et/ou pour jeunes actifs ont déjà été livrées et d’autres projets sont à l’étude.
Comment accélérer ce mouvement d’ajustement des valeurs ?
A La Défense, les transformations de bureaux en logements sont techniquement plus complexes qu’ailleurs
Il y a environ six mois, André Yché [ancien président du directoire de CDC Habitat, NDLR] avait proposé de taxer la vacance. Voilà pour le bâton. Pour la carotte, juste avant la dissolution de 2024, des idées avaient commencé à circuler pour accélérer ces reconversions à travers des incitations fiscales ou réglementaires. Autant de propositions qui, pour l’instant, sont restées en suspens. De notre côté, nous avons lancé des réflexions avec les services de l’Etat, les investisseurs, les architectes… sur les évolutions réglementaires qui faciliteraient les transformations de bureaux en logements dans le quartier d’affaires. Elles y sont en effet techniquement plus complexes qu’ailleurs en raison de l’urbanisme sur dalle, de la hauteur et de l’âge des bâtiments. Ce travail pourrait aboutir d’ici à la fin de l’année, comme l’ont annoncé Georges Siffredi, président de Paris La Défense, et Alexandre Brugère, le préfet des Hauts-de-Seine, le 5 mars.
Le taux de vacance atteint près de 15 % à La Défense. Plutôt qu’un motif d’inquiétude, le préfet des Hauts-de-Seine y voit une opportunité…
Un formidable potentiel pour reconstruire la ville sur la ville
Ces 15 % de vacance [530 000 m2, NDLR] représentent un formidable potentiel pour reconstruire la ville sur la ville, tester en grandeur nature des solutions de transformation de bureaux en un autre usage. Les centaines de milliers de mètres carrés de bureaux obsolètes ne demandent qu’à être réinventés, réinterprétés. Cinquante après, La Défense pourrait redevenir ce lieu d’innovation et d’expérimentation qu’elle a été au moment de la construction des premiers immeubles de grande hauteur. La tour Demi-Lune participe de cette ambition-là.
Après une année 2023 difficile, le marché des bureaux a été très dynamique en 2024. Comment expliquez-vous ce bon résultat ?
Dans le mouvement de recentrage du marché des bureaux franciliens, La Défense tire plutôt bien son épingle du jeu
L’an dernier, 211 000 m2 de bureaux ont été commercialisés à La Défense, soit une augmentation de 60 % sur un an et de 14 % par rapport à la moyenne décennale. Dans le même temps, la demande placée en Ile-de-France a reculé de 11 % [à 1,75 million de mètres carrés, NDLR], un résultat inférieur de 21 % à la moyenne décennale. Ces chiffres traduisent la très forte polarisation du marché des bureaux francilien en 2024. Les entreprises, qui ont toutes globalement réduit leurs besoins de surfaces, s’autorisent à réinjecter une partie des économies réalisées dans de meilleures localisations. Les territoires très bien desservis par les transports en commun et disposant d’une offre immobilière de qualité - La Défense, Boulogne-Billancourt, Neuilly-sur-Seine, Levallois-Perret, Saint-Denis, Saint-Ouen… et, bien sûr, Paris - ont raflé la mise. A La Défense, nous avons accueilli des sociétés qui venaient de Saint-Quentin-en-Yvelines, de Rueil-Malmaison… A l’inverse, des entreprises ont quitté le quartier d’affaires, notamment pour s’implanter à Paris. Mais dans ce mouvement de recentrage, La Défense tire plutôt bien son épingle du jeu.
Le marché s’est aussi caractérisé par un nombre élevé de transactions…
Quelque 114 prises à bail ont été effectuées en 2024 dont 59 concernent des transactions inférieures à 1 000 m2. Des investisseurs acceptent désormais de louer seulement un demi-étage de leur tour ou quelques postes de travail. Cela a permis d’attirer des ETI mais aussi des PME et de diversifier les secteurs d’activité, du nettoyage industriel au domaine du luxe en passant par les entreprises de la tech.
La tour Hekla, livrée fin 2022, n’est pas encore entièrement louée. Pourquoi ?
Les immeubles neufs et lourdement restructurés à proximité immédiate du pôle de transports se louent très bien
Les 70 000 m2 de la tour Hekla ont été mis sur le marché du jour au lendemain. Il faut donc un peu de temps pour que le marché l’absorbe. Elle est aujourd’hui remplie à un tiers environ… Les bâtiments neufs situés à proximité immédiate du pôle de transports ou sur l’axe historique, se louent quant à eux très bien. C’est aussi le cas des immeubles très lourdement restructurés comme Altiplano, ex-PB10, pris à bail par Suez et Enedis, de Lightwell, qui abritera d’ici quelques mois le siège d’Arkema, ou encore des tours Aurore et Ariane.
Pensez-vous que ce dynamisme du marché des bureaux à La Défense se poursuivra en 2025 ?
Sur l’esplanade, les travaux d’un parc de 5 ha débuteront au printemps
L’année 2025 devrait se dérouler comme 2024. Parallèlement aux efforts engagés par les investisseurs pour moderniser l’offre immobilière, l’établissement public s’attache à renforcer l’attractivité du quartier d’affaires, notamment en requalifiant et en végétalisant les espaces publics. Au printemps, débuteront, sur l’esplanade, les travaux de création d’un parc de 5 ha, dessiné par Michel Desvigne. Nous venons aussi de lancer une consultation d’urbanisme transitoire sur le parvis de La Défense, face à la Grande Arche, une première étape avant d’envisager, à l’horizon 2029-2030, un aménagement plus structurant de cet espace public de trois hectares.