Dans ce contexte de crise sanitaire, êtes-vous d’autant plus sollicités par les assurés ? Quelles sont leurs principales inquiétudes ?
Oui, nous sommes en tout cas beaucoup plus sollicités que nous ne l’avions imaginé au début du confinement. C’est d’ailleurs pourquoi, chez CEA, nous n’avons demandé aucune mesure d’activité partielle. Il me semble que le même choix a été fait par la plupart des courtiers dans le domaine de l’assurance construction.
Il est logique, face à cette situation inédite et globalement anxiogène, que de nombreuses questions nous soient posées concernant par exemple l’étendue des garanties compte tenu de l’arrêt de la plupart des chantiers, les conditions dans lesquelles les garanties peuvent jouer lorsque les chantiers continuent ou reprennent, le cours des délais et des prescriptions ou encore l’éventuelle possibilité de reporter le paiement des primes. La crise génère également de nouvelles interrogations, comme celles relatives aux responsabilités et à l’assurance du référent Covid-19.
Dans le guide de l’OPPBTP, le référent Covid-19 est mentionné à deux reprises :
« Le maître d’ouvrage pourra désigner un référent Covid-19 chargé de coordonner les mesures à mettre en œuvre. »
« Désigner un référent Covid-19 pour l’entreprise et par chantier, qui peut coordonner les mesures à mettre en œuvre et à faire respecter (par exemple : chef d’entreprise, conjoint-collaborateur, chef de chantier, salarié chargé de prévention…) »
Il apparaît donc que les entreprises doivent disposer d’un référent pour chaque chantier et que le maître d’ouvrage peut également désigner un référent supplémentaire.
En tant que courtier, avez-vous des préconisations à soumettre aux assurés ?
Compte tenu de la diversité des activités de nos clients, donc des problématiques qu’ils rencontrent, un conseil précis ne peut être donné qu’au cas par cas. Il faut aussi tenir compte des positions adoptées par les différents assureurs avec lesquels nous travaillons, positions qui sont loin d’être homogènes. Néanmoins, la première urgence aujourd’hui est de s’assurer que les garanties délivrées au titre des chantiers en cours sont bien maintenues, que ce soit dans le cadre des polices dites Tous risques chantiers (TRC), des extensions souvent souscrites au titre de la responsabilité civile du maître d’ouvrage ou dans nombre de contrats à abonnement. Il faut en particulier être attentif aux clauses d’exclusion très répandues en cas d’arrêts de chantier dépassant une durée fixée contractuellement, typiquement 30 jours. Même si plusieurs assureurs ont fait des annonces générales à ce sujet, la meilleure solution pour chaque assuré reste de faire valider concrètement le maintien des garanties par son courtier ou son assureur.
Tous les assurés peuvent-ils bénéficier de l’allongement de la TRC ?
Les assureurs, sous l’égide de la Fédération française de l’assurance (FFA), semblent s’orienter vers une prolongation gratuite des garanties et de leurs conditions d’application jusqu’à 60 jours et sans surprime. Mais chaque opérateur reste libre d’appliquer ses modalités techniques, notamment au regard de la taille du chantier. Là aussi, il faut donc, au cas par cas, échanger avec l’assureur concerné afin de parvenir à un accord qui préserve ses préoccupations légitimes, mais tienne également compte des contraintes techniques et matérielles auxquelles est confronté l’assuré.
Quels sont les principaux impacts du Covid-19 en termes de délais dans le secteur de l’assurance-construction ?
L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars dernier, qui vient de faire l’objet d’aménagements notamment par l’ordonnance rectificative n°2020-427 du 15 avril, a fixé les règles de prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire. Même si son interprétation donne lieu à certains égards à débats, on peut en retenir plusieurs enseignements.
En ce qui concerne la prescription des actions en justice telles que les prescriptions applicables à la mise en cause de la responsabilité des constructeurs (10 ans) ou aux actions entre assureurs et assurés (2 ans), si le délai arrive à expiration durant la période dite « juridiquement protégée » - comprise en l’état entre le 12 mars et le 24 juin - le demandeur dispose d’un délai supplémentaire pour agir, en l’occurrence jusqu’au 24 août (article 2).
En matière contractuelle, le cours des clauses pénales, notamment des pénalités de retard, est également reporté pour tenir compte de la période juridiquement protégée (article 4).
Quant à la dommages ouvrage, les délais donnés à l’assureur sous peine de déchéance, notamment le délai de 60 jours pour notifier la position de principe sur la garantie, sont allongés dès lors que la date limite tombe dans la même période de référence.
Est-il possible à terme que les contrats d’assurance pertes d’exploitation puissent jouer dans le cadre d’une nouvelle épidémie ?
La réponse des assureurs a pu, parfois, paraître décevante et en décalage par rapport aux attentes du public, notamment au titre des garanties pertes d’exploitation. En réalité la question n’est pas de savoir si les clauses des contrats en vigueur permettent aux assureurs de ne pas intervenir (ce qui est très généralement le cas), mais plutôt de s’interroger sur les limites de l’assurance traditionnelle, sur notre conception du système assurantiel financé par le seul paiement de primes payées par les assurés. Jusqu’à présent le risque de pandémie, comme d’autres risques à caractère exceptionnel, était vu comme inassurable, c’est-à-dire devant relever d’un mécanisme de solidarité nationale. Des solutions doivent exister pour permettre que les assureurs interviennent à l’avenir, ce qui est à mon avis indispensable, mais il va falloir qu’elles soient mises en place sous l’égide des pouvoirs publics et dans le cadre d’une forte volonté politique. Planète CSCA a d’ores et déjà constitué un groupe de travail sur le sujet et nous serons force de proposition active auprès des parties prenantes sous l’égide de la Direction générale du trésor.
Pensez-vous qu’il va falloir retenir des solutions de cette pandémie dans le secteur de l’assurance construction ?
Pour ma part, je suis convaincu qu’il nous faut absolument tirer des enseignements radicaux de la situation actuelle et concevoir différemment toutes nos habitudes et tous nos choix, y compris naturellement dans l’acte de construire et dans la manière de l’assurer. S’il peut ressortir quelque chose de positif de cette crise dramatique, c’est dans la réaction collective qui sera la nôtre face à la prise de conscience de notre incroyable vulnérabilité, d’abord sur le plan sanitaire, mais aussi sur le plan économique.
En ce qui concerne l’assurance construction, les leçons à tirer sont indirectes et méritent une réflexion approfondie, mais je crois que la situation actuelle confirme et souligne, d’une manière générale, les attentes de la société à l’égard du secteur de l’assurance : ce dernier doit pleinement jouer son rôle d’acteur institutionnel et solidaire. Chacun attend que la souscription d’un contrat d’assurance se traduise par une large sécurisation des activités couvertes. Cela ne veut pas dire que l’assureur doit tout garantir, mais les limites du risque assuré doivent être claires et compréhensibles. Multiplier les exclusions et restrictions, comme c’est malheureusement aujourd’hui de plus en plus le cas dans les contrats pratiqués sur le marché de l’assurance construction, constitue un véritable contre-sens.
Quant à la réforme de la loi Spinetta, qui a été récemment envisagée, ce n’est certes pas en réduisant l’étendue des garanties, comme le souhaitent apparemment certains assureurs, qu’il faut l’aborder.