Au lendemain de sa présentation en Conseil des ministres, l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis, et prévue par l’article 215 de la loi Elan, est publiée au Journal officiel du jeudi 31 octobre. La quasi-totalité des dispositifs entre en vigueur le 1er juin 2020.
L'ordonnance comprend six titres et 42 articles : le titre Ier traite de la structure juridique de l’immeuble en copropriété, le titre II des dispositions relatives à l’administration de la copropriété, le titre III de la prise de décision au sein de la copropriété, le titre IV des dispositions propres à certaines copropriétés, le titre V des dispositions diverses et le titre VI des dispositions transitoires et finales.
Elle a été élaborée suite à une consultation des professionnels du secteur (syndics, notaires, avocats spécialisés, géomètres-experts, etc.) et d’associations de représentants des copropriétaires. Le sujet n’est pas neutre : la France compte près de 10 millions de logements en copropriété.
Clarifier et simplifier les règles d’organisation et de gouvernance
L’ordonnance vise, selon le rapport au président de la République qui l’accompagne, à "redéfinir le champ d’application" et "adapter les dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété, d’une part, et modifier les règles d’ordre public applicables à ces copropriétés, d’autre part".
Mais aussi à "clarifier, moderniser, simplifier et adapter les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété, celles relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires ainsi que les droits et obligations des copropriétaires, du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic".
L’idée est aussi de "prévenir les contentieux", alors "qu’il ressort d’une étude récente du ministère de la Justice que le nombre de contentieux de la copropriété portés devant les juridictions du premier degré a augmenté de 24 % entre 2007 et 2017, passant ainsi de 33 600 à 41 700 demandes".
Un régime recentré autour de la notion d'habitation
Parmi les articles les plus importants, l’article 2 recentre le régime de la copropriété autour de la notion d’habitation. "Désormais, la loi de 1965 ne sera applicable que de manière supplétive aux immeubles ou groupes d’immeubles bâtis à destination totale autre que d’habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes".
Pour l’application de ce régime dérogatoire aux copropriétés à destination totale autre que d’habitation et aux ensembles immobiliers déjà existants, "il est exigé une décision prise à l’unanimité des copropriétaires".
L’article 3 modifie les articles 4 et 5 de la loi du 10 juillet 1965 pour tenir compte de la consécration par la loi Elan de la notion de parties communes spéciales, "en distinguant de manière explicite les parties communes spéciales, qui sont la propriété indivise de certains copropriétaires, des parties communes générales, qui sont la propriété indivise de l’ensemble des copropriétaires".
Faciliter les travaux
L’article 8 facilite la réalisation de travaux au sein de l’immeuble en copropriété, en faisant primer la gestion collective sur les intérêts particuliers de chaque copropriétaire et en évitant les blocages de quelques copropriétaires à la réalisation de travaux nécessaires, décidés par la majorité d’entre eux.
Il est ainsi proposé d’"élargir à tous types de travaux régulièrement et expressément votés par l’assemblée générale, sans recourir à une liste limitative, l’interdiction pour un copropriétaire de faire obstacle à la réalisation de travaux d’intérêt collectif réalisés sur des parties privatives".
Dans ce cadre, afin de limiter l’atteinte portée au droit de propriété exclusif du copropriétaire, "il est précisé que la réalisation de tels travaux, en présence d’une solution alternative permettant d’éviter une intrusion dans les parties privatives, ne pourra être imposée au copropriétaire concerné que si les circonstances le justifient".
Enfin, "il est prévu qu’en cas de privation totale temporaire de jouissance de son lot, un copropriétaire pourra obtenir de l’assemblée générale une indemnité provisionnelle à valoir sur le montant de l’indemnité définitive qui lui sera octroyée".
L’article 9 de l’ordonnance précise que "la participation des copropriétaires aux charges spéciales entraînées par les services collectifs et éléments d’équipement commun est déterminée en fonction de l’utilité objective que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot, dès lors que ces charges ne sont pas individualisées, afin de tenir compte de l’existence de dispositifs de comptage individuels"
L’article 10 de l’ordonnance étend, au-delà de l’état daté, les honoraires du syndic imputables au seul copropriétaire concerné, "à toutes prestations effectuées par le syndic au profit d’un seul copropriétaire". Cette mesure a pour effet d’inclure, notamment, les frais et honoraires liés aux mutations, tels que l’opposition sur mutation ou les frais de délivrance de documents sur support papier du contrat type.
Règles applicables au syndicat des copropriétaires
L’article 11 a pour objet de préciser les règles applicables au syndicat des copropriétaires. Il est tout d’abord prévu de faciliter le recours au syndicat coopératif en supprimant l’exigence d’une mention expresse dans le règlement de copropriété.
L’objet du syndicat des copropriétaires est également étendu à l’amélioration de l’immeuble. Sont également clarifiées les conditions d’engagement de la responsabilité objective du syndicat pour des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, en supprimant la référence au vice de construction et au défaut d’entretien.
S’agissant du "défaut d’entretien", "cette formulation semblait renvoyer à la notion de faute, alors qu’il était admis en jurisprudence que le syndicat était responsable des désordres ayant pour origine les parties communes, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’un comportement fautif de la part du syndicat".
S’agissant du "vice de construction", "ce concept se rapproche de la responsabilité prévue à l’article 1792 du code civil, qui ne se réfère qu’au dommage". La loi disposera désormais clairement que la responsabilité du syndicat est engagée de plein droit "dès lors que le siège du dommage se situe dans les parties communes". Cette mesure de clarification aura pour effet de simplifier et de réduire un contentieux relativement abondant, notamment sur le défaut d’entretien.
L’article 12 de l’ordonnance permet au président du conseil syndical, sur délégation expresse de l’assemblée générale, d’ouvrir une action contre le syndic défaillant en réparation du préjudice collectif subi par le syndicat des copropriétaires. À défaut de conseil syndical, l’action est ouverte à un ou plusieurs copropriétaires représentant au moins un quart des voix de tous les copropriétaires, sur le modèle de l’action ut singuli admise en droit des sociétés.
Missions du syndic
L’article 15 de l’ordonnance modifie l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 relatif aux missions du syndic. La dispense de compte séparé pour les petites copropriétés gérées par un syndic professionnel comportant au plus quinze lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces est supprimée. L’existence d’un compte séparé est une garantie pour toute copropriété, quelle que soit sa taille. Outre une plus grande transparence dans l’usage des fonds de la copropriété par le syndic, le compte séparé permet également d’identifier précocement des signaux d’alerte, tels que des difficultés financières ou une trésorerie fragilisée.
Par ailleurs, les modalités de désignation du syndic et de résiliation de son contrat sont clarifiées afin d’assurer une continuité dans la gestion de la copropriété, en évitant les copropriétés sans syndic et les doubles paiements d’honoraires.
Surtout, la mise en concurrence des contrats de syndic par le conseil syndical est facilitée. Ainsi, pour favoriser la comparabilité des contrats, il est imposé aux syndics d’adresser au conseil syndical des "projets de contrats" de syndic conformes au contrat type défini par décret en Conseil d’État. Ces projets devront en outre être accompagnés d’une fiche d’information sur le prix et les prestations proposées, afin de permettre la réalisation d’une mise en concurrence "éclairée" par le conseil syndical.
Afin de s’assurer du respect par les syndics de leurs obligations et d’obtenir une plus grande transparence dans les pratiques commerciales, le pouvoir de sanction des agents chargés de la concurrence et de la consommation est renforcé. Une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale, est ainsi instituée en cas de manquement par les syndics à leurs obligations de respecter l’encadrement légal de leur rémunération et le contrat type.
Et pour améliorer l’efficacité de l’obligation de mise en concurrence, la périodicité triennale de cette obligation, sans lien avec la durée effective des contrats de syndic, est supprimée et remplacée par une obligation de mise en concurrence préalablement à la désignation du syndic (que le syndic en place soit désigné une nouvelle fois ou qu’il s’agisse d’un nouveau syndic).
Prise de décision en Assemblée générale
L’article 23 de l’ordonnance permet à tout copropriétaire de solliciter la convocation et la tenue d’une assemblée générale, à ses frais, pour faire inscrire à l’ordre du jour une ou plusieurs questions ne concernant que ses droits et obligations.
L’article 24 modifie les modalités d’appréciation du seuil de majorité afin de tenir compte de la création par la loi Elan de la possibilité pour les copropriétaires de voter par correspondance, avant la tenue de l’assemblée générale.
L’article 26 de l’ordonnance modifie l’article 25-1 de la loi du 10 juillet 1965, relatif au mécanisme dit de "la passerelle" qui permet de soumettre au vote à la majorité simple une résolution qui n’a pas recueilli la majorité des voix des copropriétaires composant le syndicat, dès lors qu’elle a recueilli au moins le tiers de celles-ci. Ainsi, pour favoriser la prise de décision et lutter contre les effets néfastes de l’absentéisme au sein des copropriétés, cette procédure de la passerelle est désormais étendue à toutes les décisions relevant de la majorité absolue.
La procédure sera ainsi applicable non seulement aux travaux d’amélioration et à l’individualisation des contrats de fourniture d’eau, mais également à la décision de retrait du syndicat initial de bâtiments pour constituer une propriété séparée, lorsque la division au sol est possible ou en cas de division en volumes, à la décision d’aliéner le droit de surélever un bâtiment se situant dans le périmètre d’un droit de préemption urbain, à l’ouverture d’un compte séparé dans un établissement bancaire choisi par l’assemblée générale, ou encore à l’adhésion à une union de syndicats.
L’article 28 consacre la jurisprudence selon laquelle le règlement de copropriété ne peut être modifié, en ses stipulations relatives à la destination de l’immeuble, que par une décision de l’assemblée générale prise à l’unanimité des voix de tous les copropriétaires.
Emprunt collectif et syndicat secondaire
L’article 30 porte sur le point de départ du délai accordé aux copropriétaires pour manifester leur souhait de souscrire un emprunt collectif. Afin que le délai parte au même moment pour tous les copropriétaires, il est fixé à la notification du procès-verbal d’assemblée générale. Actuellement, les copropriétaires opposants ou défaillants disposent d’un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée générale pour manifester leur volonté auprès du syndic, tandis que pour les autres copropriétaires, ayant émis un vote favorable, le délai de deux mois court à compter de la tenue de l’assemblée générale.
L’article 31 permet la constitution de syndicats secondaires lorsque l’immeuble comporte plusieurs entités homogènes susceptibles d’une gestion autonome, même s’il n’est pas divisible au sol. Cette mesure permettra de favoriser une gestion de proximité et individualisée des entités distinctes, sans recourir à la scission en volumes qui est techniquement et juridiquement moins aisée à mettre en œuvre, tout en maintenant le fonctionnement d’un syndicat principal pour la gestion des parties communes générales et éléments communs.
Enfin, l’article 34 adapte les règles applicables aux petites copropriétés.
"Une occasion ratée" pour la Fnaim
Les professionnels du secteur sont plutôt satisfaits de la publication de cette ordonnance, même si la Fnaim déplore "une occasion ratée d’améliorer l’entretien des immeubles".
Elle regrette que la mise en place obligatoire d’un plan pluriannuel de travaux (PPT) pour les copropriétés de plus de 15 ans, "présente jusqu’au dernier moment dans le projet de réforme", ait disparu du texte final. "Cette mesure aurait permis de mieux prévenir la dégradation des immeubles et d’éviter des drames comme ceux de la rue d’Aubagne à Marseille", estime le président de la Fnaim Jean-Marc Torrollion. "C’est pour les professionnels de la copropriété une réelle déception. Nous attendons les explications du Gouvernement sur les moyens qu’il compte mettre en place pour lutter contre le délabrement de nombreux bâtiments".
De même, pour Rachid Laaraj, le fondateur du courtier en syndic Syneval, "malheureusement les copropriétés dégradées sont les grandes oubliées de cette réforme. Pourtant les tragiques incendies intervenus récemment dans des immeubles à Marseille ou encore à Paris et qui ont engendré de nombreux décès nous rappellent que la rénovation du bâti devrait être une priorité".
Provicis soulagé que le conseil syndical ne mute pas en conseil d'administration
Yannick Borde, président Procivis, observe que l’ensemble des 30 propositions de son réseau "n’ont pas été retenues", mais se félicite en revanche "que l’ordonnance ne reprenne pas l’idée de transformer le conseil syndical en conseil d’administration, c’est-à-dire de teinter le droit de la copropriété de droit des sociétés".
Selon lui, une telle orientation aurait présenté pour les ménages les plus modestes un fort risque d’éviction des copropriétés. Il estime en outre que lutter contre le phénomène de démobilisation des acteurs de la copropriété (copropriétaires, syndics et collectivités locales) doit être une priorité.
La Fnaim s’est, du reste, félicitée des mesures relatives à la "mise en concurrence du syndic" qui permet "plus de simplicité pour le copropriétaire", et "plus de sécurité pour le syndic" ; mais aussi du "renforcement du rôle et des pouvoirs du conseil syndical, qui va vers plus d’efficacité".
L'Unis salue la réduction des "contentieux inutiles"
Enfin, l’Unis a salué les mesures qui permettent de réduire "les contentieux inutiles" : "l’expérience de terrain des gestionnaires a montré que le droit de la copropriété était devenu si complexe qu’il s’était progressivement écarté des attentes des copropriétaires. Il était source de conflits, de contentieux, voire d’immobilisme. Pour preuve : l’absentéisme aux assemblées générales, la désaffection pour le fond de travaux, etc".
Il se félicite que "désormais, certaines règles sont remises à plat : elles seront plus efficaces, dans l’intérêt général et dans le respect des droits individuels. Les actions du syndic, chargé d’appliquer la loi, seront plus visibles et mieux comprises". "Le droit de la copropriété était rempli de chausse-trappes, prétextes à toutes les interprétations. L’ordonnance rationalise et précise, elle apporte plus de clarté. C’est une boussole pour les pilotes que sont les gestionnaires", se réjouit le président de l’Unis Christophe Tanay.