Quel premier regard portez-vous sur cette refonte ?
Notre point de vue global est positif. Tant sur le fond - c’est un bon travail -, que sur la forme : les professionnels ont vraiment été associés de bout en bout, et nous avons été entendus sur certains points.
Après, on sent bien qu’il y a eu des jeux d’acteurs, dont les intérêts ne sont pas forcément convergents, et qui ont conduit à des modifications dans la version finale… Ces CCAG résultent de toute façon d’un jeu d’équilibre. En tant qu’acheteur, j’ai tendance bien entendu à défendre les prérogatives de la personne publique, à mon sens la balance doit nécessairement peser un peu plus de son côté. Mais de toute façon ce sont des documents contractuels, auxquels il peut être dérogé.
Sur quels points par exemple estimez-vous que les CCAG mériteraient des dérogations ?
Notamment, sur les pénalités de retard. Certaines d’entre elles sont trop faibles. Par exemple, dans le CCAG maîtrise d’œuvre, le taux fixé est de 1/3 000e, calculé qui plus est sur le montant de l’élément de mission, et pas du marché. Ce n’est pas très dissuasif. De plus, le plafonnement de ces pénalités à 10 % du montant du marché dans tous les CCAG semble trop favorable aux titulaires de marchés, malgré les arguments de la DAJ de Bercy. Les acheteurs envisagent soit d’y déroger systématiquement, soit de le faire au cas par cas. Pas adapté, ce plafonnement risque de faire plouf en pratique. Le souci est que les acheteurs avertis vont identifier ce genre de problème et déroger, mais les petits acheteurs risquent de pâtir de ces dispositions qu’ils vont appliquer telles quelles.
A noter d'ailleurs que pour plusieurs pénalités, par exemple pour non-respect des clauses de développement durable, les CCAG renvoient aux CCAP pour définir les modalités de calcul. Si l’acheteur oublie de le faire, les pénalités resteront lettre morte…
Que pensez-vous justement du volet développement durable (DD), axe fort de la refonte ?
De manière générale, les acheteurs publics, surtout ceux d’une certaine taille comme nos adhérents, sont des acheteurs responsables et pratiquent déjà le développement durable, notamment en utilisant des clauses d’insertion.
Mais les clauses DD sont assez techniques, et les intégrer totalement dans les CCAG s’avère difficile. A part pour les stipulations qui existaient déjà et ont été très bien revisitées, en matière d’emballage, de livraison etc., les autres clauses sont assez générales. Il ne faut pas laisser croire aux acheteurs que par le seul jeu du CCAG, le DD sera pris en compte dans leurs marchés, ils ne devront pas s’en contenter ! Les CCAP devront apporter de nombreux compléments.
Ces clauses DD préfigurent les obligations plus fortes qui se profilent dans le projet de loi Climat et Résilience, qu’en dites-vous ?
L’article 15 de ce projet de loi est sur le point en effet de renforcer les obligations [en imposant, d’ici cinq ans, des clauses environnementales dans les marchés publics, NDLR]. Mais à France urbaine, nous militons pour aller plus vite, et plus loin. Il faudrait notamment élargir le dispositif aux autres contrats publics comme les concessions.
Le CCAG maîtrise d’œuvre, grande nouveauté de la refonte, répond-il à vos attentes ?
Notre point de vue est assez critique. Ce cahier s’apparente un peu à un acte manqué ou à une demi-mesure. Il faut dire que les rédacteurs ne sont pas partie d’une page blanche, mais du CCAG prestations intellectuelles [qui était utilisé jusqu’à présent pour ces marchés, NDLR]. Les marchés de maîtrise d’œuvre sont sans doute les plus normés de la commande publique, avec notamment la définition des éléments de mission dans le code, et le CCAG ne décline sans doute pas assez ces spécificités. C’est mieux que rien, mais c’est dommage. Un indice de cela sera de voir que les CCAP des marchés de maîtrise d’œuvre ne vont probablement pas beaucoup maigrir…
Combien de temps faudra-t-il pour que les acheteurs s’emparent des CCAG 2021 et les mettent en œuvre ?
Cela ne peut se faire du jour au lendemain, et ils n’ont été publiés que le 1er avril. Même s’il ne faut pas surestimer le travail d’appropriation, car ce n’est qu’une refonte des CCAG 2009, il y a un temps nécessaire d’intégration dans nos connaissances et dans nos pièces de marchés. Les acheteurs doivent aussi prendre le temps d’étudier les clauses auxquelles ils devront déroger. A minima, cela représente un mois de travail. Et pour ceux qui utilisent des logiciels de marchés publics, il faut aussi attendre leur mise à jour. Par exemple, l’éditeur avec lequel je travaille estime qu’il pourra livrer son patch d’ici un mois au vu des modifications apportées dans la mouture finale.
Il faut surtout passer le message aux acheteurs de ne pas paniquer, c’est normal de continuer à utiliser pendant un moment les CCAG 2009, la DAJ elle-même le dit ! [Ils s’appliquent en effet par défaut jusqu’à fin septembre, NDLR].
Et piocher dès maintenant certaines dispositions dans les nouveaux CCAG, cela vous semble-t-il pertinent ?
Cette approche pas à pas peut être intéressante en effet, picorer des éléments en les intégrant sans attendre dans nos CCAP. Je compte le faire par exemple sur les dispositions DD évoquées en matière de livraisons et d’emballages. Deux autres sujets me semblent propices pour cette démarche : les clauses de propriété intellectuelle, et celles sur le RGPD. Il y a un vrai bonus à les utiliser rapidement.