Dans le tertiaire, l’utilisateur est lié à l’investisseur. Et c’est là toute la singularité du défi de décarbonation du parc existant de bureaux, hôtels et autres bâtiments non résidentiels visés par le dispositif Eco Energie Tertiaire (DEET, ex-décret tertiaire).
« Les investissements nécessaires » à l’atteinte des objectifs de réduction des consommations énergétiques à horizon 2030, 2040 et 2050 « ne vont pas être à effet immédiat », a annoncé Frédéric Goupil de Bouillé, président de l’Association des directeurs immobiliers (ADI, qui représente un tiers du parc professionnel en France), au salon professionnel Bâtir pour le climat, organisé l 7 décembre par Infopro Digital (propriétaire du « Moniteur »).
Dialogue tripartite dans le tertiaire
Le porte-parole des grandes entreprises, d’EDF à Sanofi, l’a affirmé devant une centaine de professionnels (« Comment atteindre les objectifs du dispositif Eco Energie Tertiaire ») : ces travaux de rénovation énergétique « ne sont pas suffisants pour amener nos bâtiments à la décarbonation ».
Rappel : « seulement 6% de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) proviennent des bâtiments. 60 % des GES sont dans le transport, l’industrie, l’agriculture, des activités logées dans les bâtiments. Le bâtiment doit suivre mais les entreprises n’ont pas anticipé la masse d’investissement à venir : les besoins d’investissement moyens dans le tertiaire vont passer de 4Mds€ en 2022 à 15Mds€ en 2030 », a estimé Frédéric Goupil de Bouillé.
D’où vient ce chiffre ? « Grâce à la plateforme Operat mise en place par l’Ademe, nous pouvons mesurer les investissements, a-t-il expliqué. Mais il va falloir accompagner collectivement les entreprises dans cette démarche, avec une vision à long terme. Ce que les entreprises n’ont pas, a priori, puisqu’elles recherchent la profitabilité à court terme... Il faut mettre en place un dialogue tripartite, entre les professionnels de la construction pour nous aider à chiffrer, les investisseurs et les utilisateurs. » Vaste programme.
Manque de bras dans le résidentiel
Côté résidentiel, les pouvoirs publics ont également placé la barre haute. En témoigne le calendrier, encore contesté par certains professionnels, d’interdiction de mise en location de logements énergivores, à partir de 2025 pour les biens étiquetés G.
Bon élève, David Morales, vice-président de la Capeb, l’a promis : « Lutter contre le réchauffement climatique est une priorité » pour les artisans. A son échelle de plaquiste basé en Haute-Garonne et des professionnels qu’il représente, cela passe par une chasse aux passoires thermiques.
« Il faut amplifier les travaux et le nombre d’entreprises susceptibles de réaliser les travaux de rénovation énergétique, a-t-il soutenu pendant l’atelier "La nécessaire collaboration de la filière pour répondre au défi de la rénovation énergétique". Or aujourd’hui, tout baisse. Les chiffres du neuf sont très mauvais, l’avenir n’est pas rose dans la rénovation et même la rénovation énergétique est en régression. Et il n’y a que 61 000 entreprises RGE sur un total de 660 000 entreprises du bâtiment, c’est très peu. »
En réalité, il y a en seulement 55 000, contre 63 000 en 2021. Renseignements pris auprès de Qualibat, l’organisme qui délivre le label Reconnu garant de l'environnement, invité à s’exprimer sur le sujet lors d’une autre table ronde (« Rénovation, à quand l’obligation de résultat ? »). « Pour une entreprise de plus de 500 salariés, la label RGE coûte 1300€ sur quatre ans. Le prix n’est pas un obstacle », a ainsi tranché son président Gérard Sénior.
Délais, malfaçons… c’est quoi le problème avec les artisans, en première ligne pour décarboner le parc existant de logements ? « Les problèmes du bâtiment ne sont pas liés au RGE, a posé Gérard Sénior. Sur nos 18 000 audits par an, 83% des chantiers sont sans non-conformité, 9% comportent une non-conformité mineure. Sur les 8% restants, vous avez beaucoup d’éco-délinquants. »
La balle est dans le camp du gouvernement, qui a déjà annoncé pour 2024 un doublement des effectifs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), soit 24 recrutements.
Gérard Sénior demeure insatisfait : « Nous avons besoin de plus de main d’œuvre. Ce n’est pas le problème de Qualibat ni de la filière. L’Etat doit donner de la visibilité pour que chaque employeur envoie ses gars en formation. »
Nicolas Godet, directeur général de Point P participant au même débat, se veut optimiste : « La crise du neuf est une opportunité car elle va apporter les bras à la rénovation qui en manque. » Rendez-vous en 2024.