« Nous avons eu à un moment quelques frayeurs », se remémore Gino Stassi, P-DG de la PME francilienne Edile Construction (50 salariés) au sujet des coups de pouce à l’embauche d’apprentis. Alors qu’il fut un temps question de le supprimer purement et simplement, le gouvernement a annoncé fin décembre le maintien du dispositif, mais revu à la baisse.
« Voir disparaître ce dispositif serait dramatique »
Pour mémoire, cette aide, instaurée à titre exceptionnel en 2020 sur fond de crise sanitaire pour encourager le recrutement d’alternants, avait régulièrement été reconduite par la suite. Depuis mai dernier, elle ne concerne plus les contrats de professionnalisation, au grand dam de la profession.
Le montant de l’aide à l’embauche d’apprentis passera, dans le cadre d’un décret à paraître en 2025, de 6 000 à 5 000 euros au titre de la seule première année du contrat pour les entreprises de moins de 250 salariés, et à 2 000 euros pour les autres. Il sera en revanche maintenu à 6 000 euros pour le recrutement d’alternants en situation de handicap.
Gino Stassi, qui a bon espoir de voir « les annonces gouvernementales confirmées dans le futur décret malgré l’instabilité politique actuelle », insiste sur le caractère « essentiel » de ces aides. « Il serait dramatique de voir disparaître ce dispositif, a fortiori avec la conjoncture économique actuelle. » Deux ou trois apprentis officient chaque année dans les rangs d’Edile Construction. Un mode de formation « qui constitue la voie royale en faveur du renouvellement des compétences », tient à rappeler le dirigeant.
« Nous serons plus sélectifs »
Du côté des très petites entreprises, la Capeb, si elle se serait bien passée de la baisse de 1 000 euros pour les structures de moins de 250 salariés, se réjouit de voir consacré « un soutien majoré de haut niveau pour les entreprises ayant le moins d’effectifs ». Fidèle à ses revendications, l’organisation professionnelle plaide même pour un recentrage des soutiens sur les sociétés de moins de 50 salariés, « qui en ont le plus besoin ».
Chez Razel Bec (3 000 salariés), on se préparait à la baisse des aides depuis quelque temps. Jérôme Pavillard, DRH du groupe, a sorti sa calculette. « Avec actuellement 180 contrats d’alternance en cours, on peut évaluer le manque à gagner à 300 000 euros environ, étant précisé que certaines de nos filiales emploient moins de 250 salariés, et perdront ainsi seulement 1 000 euros d’aide par contrat. »
La mesure gouvernementale ne sera en tout cas pas sans conséquences pour l’entreprise. « Nous avons décidé d’être plus sélectifs.Nous réduirons le nombre d’alternants, en privilégiant nos métiers de base des TP, au détriment des formations liées aux fonctions support (gestion, RH…), annonce Jérôme Pavillard. Mais le DRH ignore encore dans quelle mesure. « Tout dépendra de nos besoins, ou encore du nombre d’étudiants qui se présenteront. »
Le soutien à l’apprentissage dans l’enseignement supérieur dans le collimateur de la Cour des comptes
Dans son rapport publié le 9 janvier , la Cour des comptes se montre plus radicale que le gouvernement, en préconisant de restreindre le bénéfice de l’aide aux seules entreprises de moins de 250 salariés, et aux formations de niveaux 3 et 4 (infra-bac). D’après les magistrats financiers, qui pointent des « effets d’aubaine majeurs » pour les entreprises, le soutien à l’apprentissage a majoritairement bénéficié aux élèves de l’enseignement supérieur.
Une analyse « déconnectée de la réalité » aux yeux de Gino Stassi. « Les apprentis que nous accueillons préparent précisément des diplômes de niveau bac + 3, par exemple en économie de la construction et sur le BIM. Sans les aides, il serait difficile d’envisager ces renforts pour notre bureau d’études », martèle le patron d’Edile Construction. Et de rappeler qu’embaucher des alternants représente « un investissement non négligeable, notamment en matière d’encadrement, d’engagement des équipes sur le terrain. Il faut des contreparties ».
Des jeunes immédiatement opérationnels
Jérôme Pavillard, de son côté, ne disconvient pas « que des effets d’aubaine aient pu jouer. Mais les aides ont avant tout généré une sorte d’accoutumance chez les employeurs, qui ont pu éprouver les vertus de l’apprentissage. Un ingénieur formé en alternance sera immédiatement opérationnel et performant à l’issue de son cursus de trois ans, tandis qu’un jeune diplômé de l’ESTP connaît moins bien le terrain, mais bénéficie d’un certain recul et d’une approche stratégique : une entreprise a besoin des deux types de profils ».
Le DRH de Razel Bec prédit que les entreprises, « pour peu qu’elles se portent bien, seront donc plus sélectives mais continueront à accueillir des apprentis ». Car les besoins en compétence demeurent importants dans les TP. L’an passé, le groupe n’a pu pourvoir certains postes en apprentissage sur des niveaux bac + 3 faute de candidats en nombre suffisant.