Décryptage

Règles de construction : avec Essoc 2, comment sortir des sentiers battus

Les maîtres d'ouvrage peuvent recourir aux moyens de leur choix s'ils prouvent qu'ils atteindront les résultats prévus. Mais le mode d'emploi est assez strict.

 

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Après l'instauration des permis de faire et d'innover par la loi LCAP du 7 juillet 2016, les maîtres d'ouvrage se sont vu octroyer, avec l' prise sur le fondement de la loi pour un Etat au service d'une société de confiance (Essoc) du 10 août 2018, un permis d'expérimenter. Autrement dit, de choisir les moyens permettant d'atteindre les résultats définis par le Code de la construction et de l'habitation (CCH), dans un cadre bien précis.

La loi Essoc habilitait le gouvernement à prendre une seconde ordonnance afin de réécrire la partie législative du livre Ier du CCH pour permettre une « identification des objectifs poursuivis » et de pérenniser l'expérimentation menée. Cette dite « Essoc 2 » a été adoptée le 29 janvier 2020. Son entrée en vigueur interviendra à une date fixée par décret en Conseil d'Etat, et au plus tard le 1er juillet 2021. A cette même date, l'ordonnance Essoc 1 sera abrogée. Toutefois, elle demeurera applicable aux opérations pour lesquelles une attestation de solution d'effet équivalent (SEE) aura été délivrée avant l'entrée en vigueur d'Essoc 2.

Réorganisation du livre Ier du CCH

L'ordonnance du 29 janvier 2020 procède à une réorganisation complète du livre Ier du CCH, tout en supprimant un quart des dispositions qu'il contenait. Ainsi, le titre 1er est-il relatif aux règles générales applicables à la construction et à la rénovation de bâtiments, avec notamment un article L. 111-1 où le législateur définit plusieurs termes comme celui de logement évolutif ou d'objectif général, tandis que le titre 2 est consacré à l'encadrement de la conception, de la réalisation, de l'exploitation et des mutations des bâtiments.

Les titres 3 à 7 précisent les différents champs techniques - un champ constituant « un ensemble cohérent de règles de construction pour lequel un ou plusieurs objectifs généraux sont définis » (art. L. 111-1) : la sécurité, avec notamment la stabilité et la solidité ou les risques naturels (titre 3) ; la sécurité des personnes contre les risques d'incendie (titre 4) ; la qualité sanitaire des bâtiments (titre 5) ; l'accessibilité (titre 6) ; la performance énergétique et environnementale (titre 7). Suivent enfin les contrôles et sanctions (titre 8) ; les dispositions spécifiques à l'outre-mer (titre 9).

D'une logique de moyens à une logique de résultats

Au-delà de cette réorganisation du livre Ier du code, l'ordonnance Essoc 2 autorise les maîtres d'ouvrage à sortir des sentiers battus en leur permettant de satisfaire à leurs obligations par les moyens qu'ils souhaitent, dès lors qu'ils apportent la preuve que les résultats attendus sont atteints. Libre toutefois à eux de demeurer sur des sentiers balisés en n'usant que de moyens définis par le CCH. Ainsi, les « objectifs généraux » assignés aux maîtres d'ouvrage pour chaque champ technique dans les titres 3 à 7 précités ouvrent deux voies principales. Lesquelles prévoient elles-mêmes deux possibilités, comprenant chacune un espace de liberté.

Les résultats minimaux seront fixés par décret dans la partie réglementaire du CCH.

Des objectifs généraux assortis de résultats minimaux…

La première voie couvre l'hypothèse dans laquelle les objectifs généraux sont accompagnés de résultats minimaux - qui se-ront fixés, via un décret, dans la partie réglementaire du livre Ier du CCH. Un résultat minimal est un « niveau qui doit être au moins atteint par le bâtiment ou un des éléments qui le constitue pour respecter un objectif général dans un champ technique de la construction » (art. L. 111-1). Ce niveau, le plus souvent exprimé de façon quantifiée, peut prendre différentes formes telles celle d'un indice, d'une performance, d'un seuil. Le maître d'ouvrage a alors deux possibilités (art. L. 112-4, II).

La première consiste à s'en tenir à une « solution technique », c'est-à-dire « un procédé constructif, un équipement, un principe ou un système mis en œuvre pour la construction ou la rénovation d'un bâtiment » (art. L. 111-1), définie par voie réglementaire.

La seconde permet au maître d'ouvrage de choisir la solution à mettre en œuvre, à charge pour lui de prouver, selon les modalités propres au champ technique considéré, que ladite solution lui permet d'atteindre les résultats minimaux fixés par le CCH. C'est actuellement la façon de procéder en matière d'acoustique et de performance énergétique.

… et d'autres, sans résultats minimaux

Dans la seconde voie, des résultats minimaux ne sont pas associés aux objectifs généraux. Une option est alors ouverte au maître d'ouvrage (art. L. 112-4, III).

Le maître d'ouvrage peut à nouveau choisir de ne pas s'écarter de la voie tracée par les pouvoirs publics, sécurisée et sans surprise, en suivant une « solution de référence ». L'article L. 112-5 la définit comme « une solution technique définie par voie réglementaire et précisée le cas échéant par arrêté des ministres intéressés qui, dès lors qu'aucun résultat minimal n'est fixé, s'impose au maître d'ouvrage pour satisfaire à l'obligation qui lui est faite de respecter l'objectif général assigné dans le champ technique considéré, sauf à recourir à une solution d'effet équivalent ».

Mais le maître d'ouvrage peut aussi renoncer à la solution de référence pour retenir une « solution d'effet équivalent ». C'est-à-dire, selon l'article L. 112-6, une « solution technique pour laquelle la justification du respect des objectifs généraux assignés dans un champ technique est apportée selon des modalités définies [aux articles L. 112-9 à L. 112-12] ».

Ce sont ces SEE dont il sera question exclusivement ci-après, compte tenu des nombreuses interrogations qu'elles font surgir sur les rôles du maître d'ouvrage et du maître d'œuvre ainsi que sur ceux de l'assureur et du concepteur de ladite solution.

Origine de la solution d'effet équivalent

Il revient au maître d'ouvrage d'effectuer les démarches nécessaires pour justifier que la SEE respecte les objectifs généraux et permet d'atteindre des résultats au moins équivalents à ceux de la solution de référence à laquelle elle se substitue (art. L. 112-9 à L. 112-12). Pour autant, ce n'est pas lui qui va créer ou concevoir ladite SEE, mais le plus souvent un ingénieur d'études, dans le cadre d'avant-projets réalisés à sa demande.

Ce concepteur a d'ailleurs la possibilité de transformer la SEE en « solution de référence ». L' précise ainsi que « les conditions dans lesquelles le concepteur d'une solution d'effet équivalent peut soumettre à l'autorité administrative compétente une demande tendant à en faire une solution de référence et les critères minimaux permettant l'examen de cette demande sont fixés par décret en Conseil d'Etat ».

Attestation de l'effet équivalent

Avant toute mise en œuvre d'une SEE dans un projet de construction ou de rénovation, le maître d'ouvrage doit justifier « que celle-ci respecte les objectifs généraux et permet d'atteindre des résultats au moins équivalents à ceux de la solution de référence à laquelle elle se substitue » (art. L. 112-9).

Une attestation est délivrée à cette fin, avant la mise en œuvre de la SEE, par un organisme tiers, souvent appelé « attestateur ». Celui-ci devra se prononcer sur la validité de la SEE au vu des preuves fournies par le maître d'ouvrage et fondées sur des études réalisées au stade de l'avant-projet par les concepteurs de la solution. Aucune durée de validité ou de mise en œuvre de la solution n'est fixée pour cette attestation, mais celle-ci ne vaut que pour le projet décrit lors de la demande et dès lors qu'elle est mise en œuvre avant un changement de la réglementation sur la base de laquelle elle a été délivrée. Aussi, une SEE ayant fait l'objet d'une attestation pour un projet déterminé pourrait se voir refuser une nouvelle attestation pour un projet différent.

L'ordonnance Essoc 2 n'indique pas que cette attestation doive ensuite être jointe au dossier de demande d'autorisation d'urbanisme, contrairement à ce qui est organisé par Essoc 1 pour le permis d'expérimenter. Si ni la future loi de ratification de l'ordonnance ni les dispositions réglementaires à venir ne prévoient rien en ce sens, cela permettra d'éviter de ralentir le processus de délivrance de l'autorisation d'urbanisme, souvent pris en compte lors de l'acquisition d'un terrain ou d'un immeuble, sous la forme d'une condition suspensive.

Par ailleurs, pour ne pas avoir à effectuer une nouvelle demande d'autorisation d'urbanisme ou à modifier celle obtenue, le maître d'ouvrage doit anticiper les conséquences d'un refus d'attestation pour la SEE à laquelle il entend recourir. Cela suppose qu'une solution de référence puisse être mise en œuvre à la place, sans que cela n'impacte le projet de construction ou de rénovation, tel que défini au moment du dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme.

Enfin, le maître d'ouvrage doit s'assurer de transmettre l'attestation au ministre chargé de la construction, comme le prévoit l', et ce « avant le dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme lorsque les travaux pour lesquels le recours à une SEE est envisagé sont soumis à une telle autorisation, et dans les autres cas à l'achèvement des travaux avec l'attestation prévue à l'article L. 112-10 [voir ci-dessous] ».

L'organisme attestateur de la SEE n'a pas à souscrire une assurance responsabilité décennale.

Garanties exigées de l'organisme attestant l'effet équivalent

L'organisme attestateur de la SEE doit offrir des garanties de compétence et d'indépendance. Il doit aussi être titulaire d'une assurance couvrant sa responsabilité civile si celle-ci venait à être recherchée à l'occasion d'un sinistre lié à la solution qu'il a évaluée.

« Pour l'exercice de cette mission spécifique, cet organisme tiers n'est pas considéré comme un constructeur au sens de l' », précise encore l'. Il n'a donc pas à souscrire une assurance responsabilité décennale.

La liste des organismes compétents pour délivrer ces attestations selon les champs techniques concernés sera définie par décret en Conseil d'Etat (art. L. 112-12). Elle devrait, selon le ministère de la Cohésion des territoires, être similaire à celle fixée dans le cadre du permis d'expérimenter (contrôleurs techniques, CSTB, Cerema, etc. ).

Mission spécifique du contrôleur technique en cours d'opération…

L'ordonnance Essoc 2 prévoit également, à l', qu'un contrôleur technique vérifie, au cours de l'exécution des travaux, la bonne mise en œuvre de la SEE. Pour rappel, un contrôleur technique est une personne ou un organisme qui a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages, agréé dans les conditions prévues à l'. En général, le maître d'ouvrage désignera un seul et même opérateur pour cette mission spécifique liée à la SEE et pour la mission classique de contrôle technique.

Le maître d'ouvrage devra préciser dans le dossier de demande d'attestation le protocole décrivant les modalités permettant de contrôler, au cours de l'exécution des travaux, que les moyens mis en œuvre sont conformes à ceux décrits dans la présentation du projet de construction.

... et en fin d'opération

Le contrôleur technique intervenu au cours de l'exécution des travaux constatera qu'il y a eu une correcte ou une mauvaise mise en œuvre de la SEE. Une seule hypothèse est envisagée par l'article L. 112-10 : celle où le maître d'ouvrage a bien tenu compte des avis du contrôleur sur la conformité de la mise en œuvre de la SEE. En ce cas, à l'achèvement des travaux, le contrôleur technique lui délivre une attestation de bonne mise en œuvre. Le maître d'ouvrage transmet alors ce document, accompagné de l'attestation d'effet équivalent prévue par l'article L. 112-9, au ministre chargé de la construction.

Il faut souligner que le contrôleur n'atteste pas que les résultats sont effectivement atteints par la mise en œuvre de la SEE. Ainsi, si les résultats théoriques ne sont pas atteints en pratique, le contrôleur n'a d'autres choix que d'attester que le maître d'ouvrage a tenu compte de ses avis.

Dans l'hypothèse où ses avis n'auraient pas été suivis, le contrôleur technique devra refuser d'établir une attestation de bonne mise en œuvre. Le maître d'ouvrage encourt alors les sanctions prévues par les articles à du CCH.

Garanties exigées du contrôleur technique

Alors que, pour le permis d'expérimenter, il est précisé que le contrôleur technique doit agir avec impartialité et n'avoir « aucun lien avec le maître d'ouvrage ou les constructeurs de l'opération qui soit de nature à porter atteinte à son indépendance », les exigences à son égard sont modifiées dans l'ordonnance Essoc 2. En effet, celle-ci indique que le contrôleur ne doit avoir « aucun lien avec l'organisme tiers ayant établi l'attestation de respect des objectifs » (art. L. 112-10). Au demeurant, ledit contrôleur est nécessairement lié au maître d'ouvrage par contrat, ainsi que le précise l'.

Contrairement à l'attestateur d'effet équivalent, il est soumis, dans les limites de la mission confiée par le maître d'ouvrage, à la présomption de responsabilité édictée par les articles , et du Code civil. Il doit, dès lors, nécessairement souscrire une assurance responsabilité décennale.

Contrôle en cours et en fin d'opération par les autorités publiques

Lorsqu'à l'occasion d'un contrôle l'agent public constate un manquement aux obligations faites en cas de recours à une SEE par les articles L. 112-9 et L. 112-10, il en fait rapport à l'autorité administrative compétente, et remet une copie de ce rapport au maître d'ouvrage (art. L. 182-1). L'autorité administrative met alors le maître d'ouvrage en demeure de satisfaire à ces obligations dans un délai qu'elle fixe et qui ne peut excéder un an.

A l'expiration du délai imparti, une amende au plus égale à 1 500 euros peut être infligée au maître d'ouvrage récalcitrant. Il peut également lui être enjoint d'y satisfaire sous astreinte journalière au plus égale à 150 euros. Le maître d'ouvrage doit avoir été invité à présenter ses observations dans un délai déterminé avant que ces mesures ne soient prises (art. L. 182-2).

Marché de travaux et SEE

Lorsque le maître d'ouvrage aura décidé de recourir à une SEE, il faudra intégrer dans les marchés de travaux la mise en œuvre des moyens prévus pour celle-ci. Le recours à une maquette numérique, conçue au stade de l'avant-projet, est de nature à faciliter une correcte application desdits moyens. Cela sera d'autant plus vrai si l'ensemble des acteurs sont associés dès le départ à sa création.

Une fois ces éléments intégrés au champ contractuel, le maître d'ouvrage ne doit pas s'immiscer dans la réalisation de l'ouvrage, le contrôleur technique veillant à ce que la SEE soit correctement mise en œuvre. Ce n'est qu'en cas de signalement par le contrôleur technique, voire de l'autorité publique ou du BIM manager, que le maître d'ouvrage se devra de signaler aux entrepreneurs une exécution défectueuse de leurs obligations contractuelles et la nécessité d'y remédier.

Responsabilité décennale et SEE

Selon l', « tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ». En cas de recours à une SEE, le maître d'ouvrage pourra toujours agir sur le fondement de la responsabilité décennale sans avoir à prouver que le constructeur n'a pas respecté les modalités de mise en œuvre de la SEE. A l'inverse, le constructeur ne pourra pas s'exonérer en démontrant qu'il a bien respecté lesdites modalités.

Pour autant, la responsabilité décennale pourrait être impactée par Essoc 2. En effet, le législateur, en fixant des objectifs à atteindre lors de la construction ou de la rénovation d'un immeuble, définit de façon plus précise la destination des ouvrages. L'objectivisation de cette notion pourrait conduire à une appréhension plus cadrée de l'impropriété à la destination par la Cour de cassation. Rappelons toutefois qu'en matière de performance énergétique, il y aura lieu de tenir compte des précisions de l' (désormais L. 123-2) : « En matière de performance énergétique, l'impropriété à la destination [...] ne peut être retenue qu'en cas de dommages résultant d'un défaut lié aux produits, à la conception ou à la mise en œuvre de l'ouvrage, de l'un de ses éléments constitutifs ou de l'un de ses éléments d'équipement conduisant, toute condition d'usage et d'entretien prise en compte et jugée appropriée, à une surconsommation énergétique ne permettant l'utilisation de l'ouvrage qu'à un coût exorbitant. »

Assurance et SEE

Lors de la mise en œuvre d'une SEE, les différents intervenants tenus de souscrire une assurance responsabilité décennale doivent veiller à ce que le recours à une telle SEE soit bien garanti et qu'il n'y ait donc pas de limite, dans la police d'assurance, quant à l'utilisation de procédés techniques. Les assureurs ont en la matière un rôle majeur à jouer en acceptant de garantir les constructeurs usant de ces SEE (1).

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