La rénovation énergétique occupe une place importante dans la politique du logement. Est-ce l'axe prioritaire de votre action au ministère ?
Non. C'est un axe mais ce n'est pas le seul. Je suis à la fois la ministre de la rénovation et la ministre du développement de l'offre de logements, donc de la construction neuve.
Les deux sont extrêmement importants. La rénovation touche tous les Français. Elle permet d'agir pour la qualité de vie dans les logements, de lutter contre les passoires énergétiques et donc d'aider notre pays à s'adapter aux conséquences du changement climatique. Mais nous avons également besoin de construire plus de logements neufs, c'est évident. Cela passe par notre capacité à proposer les bonnes incitations financières et fiscales, à la fois pour l'investissement locatif et pour l'accession à la propriété, à rendre les procédures les plus rapides possibles, à mobiliser des logements vacants, à transformer des bureaux en logements… Seule la somme de toutes ces solutions permettra d'obtenir une offre de logements qui répond mieux à la demande, notamment dans les zones tendues.
Pourtant, les acteurs du logement ont reproché que le neuf soit « l'angle mort » du plan de relance…
Dans le plan de relance, il y a tout de même deux mesures dédiées au neuf : la mobilisation d'un fonds pour les friches et une aide à la relance de la construction durable pour les maires « densificateurs ». Par ailleurs, pour donner de la visibilité aux acteurs sur 2022, nous nous sommes engagés à traiter, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, le sujet des aides fiscales.
Vous avez en effet annoncé le prolongement et l'amélioration du prêt à taux zéro et du dispositif Pinel. Pour quelle durée et selon quelles modalités ?
La concertation avec l'ensemble des acteurs a été engagée et nous avons reçu leurs contributions, nous y travaillons jusqu'à la fin de ce mois d'octobre. Nous proposerons dans la foulée un amendement au PLF. Les dispositifs seront prorogés et améliorés après le 31 décembre 2021. Cela ne veut pas forcément dire donner davantage, cela signifie répondre vraiment aux besoins, travailler sur les modalités d'aide, les zonages, etc.
Etes-vous favorable à un « Pinel vert », comme le propose la Fédération des promoteurs immobiliers ?
Il est un peu trop tôt pour répondre. Evidemment, venant moi-même de l'écologie, et le portefeuille du Logement étant rattaché au ministère de la Transition écologique, je suis plutôt favorable à verdir les dispositifs.
Comment comptez-vous agir sur la fiscalité du foncier qui favorise la spéculation immobilière et renchérit le prix de vente des logements ?
Effectivement, pour avoir du logement abordable, la construction doit être abordable. Pour cela, on peut certes industrialiser les process, mais il faut avant tout parvenir à maîtriser le prix du foncier. Le député Jean-Luc Lagleize a écrit une proposition de loi très intéressante, en cours de discussion au Sénat. L'idée est de reprendre sa philosophie, peut-être en l'intégrant au projet de loi 3D.

La simplification des procédures est également une demande forte. Quelles sont les pistes à l'étude ?
Nous réfléchissons à un système intermédiaire entre l'autorisation de travaux et le permis de construire. Celui-ci aurait vocation à élargir le régime de déclaration préalable et donc à éviter l'instruction du permis de construire, sous réserve qu'un tiers s'engage sur la qualité des travaux. C'est une demande forte des architectes avec qui nous travaillons sur ce sujet. En parallèle, nous souhaitons faire aboutir, dans les meilleurs délais, le projet de la dématérialisation des procédures d'instruction des autorisations d'urbanisme. Enfin, il reste la question des délais de recours, sur laquelle je suis souvent interrogée par les associations d'élus. Je n'ai pas encore de position définie sur cette question complexe car, derrière les délais de recours, qui sont toujours longs, se trouve l'enjeu de l'acceptabilité d'un projet.
« Pour avoir du logement abordable, il faut avant tout parvenir à maîtriser le prix du foncier. »
Quels sont vos objectifs en matière de logement social ?
Nous soutenons le secteur HLM. Nous aurons probablement du mal à atteindre notre objectif d'agréer 110 000 logements sociaux cette année, en raison de la crise sanitaire, mais j'espère que nous réussirons à rattraper une partie du retard l'année prochaine.
L'Union sociale pour l'habitat (USH) demande de doubler le nombre de logements sociaux, c'est-à-dire de passer de 30 000 à 60 000 PLAI. Quelle est votre position ?
Nationalement, il est peu probable que l'on atteigne notre objectif théorique de 40 000 PLAI en 2020. J'ai passé un message clair aux services de l'Etat, aux préfets et aux services déconcentrés : je souhaite que l'on agrée la totalité des projets de PLAI qui sont actuellement déposés, même si, localement, cela nous amène à dépasser les objectifs de certains départements.
Un questionnement sur la qualité des logements a émergé durant le confinement. De quels moyens disposez-vous, en tant que ministre, pour agir sur cette question ?
Mon prédécesseur Julien Denormandie avait mandaté Pierre-René Lemas, l'ancien directeur général de la Caisse des dépôts, pour réfléchir à la qualité des logements et notamment au rôle de fer de lance que peut jouer l'habitat social dans la réflexion sur le logement de demain. Je trouve que cette réflexion, déjà intéressante avant le confinement, l'est encore plus aujourd'hui. Le moment est favorable pour créer cette dynamique autour d'une vision du type de logements que l'on veut construire demain. Le ministère est pleinement dans son rôle d'animer cette réflexion.
Si une vision commune avec les bailleurs sociaux se dégageait, nous serions en mesure de la diffuser à travers des appels à projets, des démonstrateurs…
Pouvez-vous nous confirmer que le milliard d'euros ponctionné à Action Logement ira bien au logement, et faire un point sur le projet de réforme de l'ex-1 % Logement ?
Le projet de loi de finances contient bien un prélèvement exceptionnel de 1 milliard d'euros sur la trésorerie d'Action Logement. Cet argent financera le fonds national d'aides au logement (Fnal). J'échange avec les partenaires sociaux. Cela mène à une discussion multilatérale sur les pistes d'évolution d'Action Logement, c'est-à-dire l'amélioration de sa gouvernance, la clarification du rôle respectif des partenaires sociaux et de l'Etat, la cohérence des engagements et des investissements avec la situation économique du pays.
Pour l'instant, nous réfléchissons chacun de notre côté et la consultation formelle sur la réforme n'a pas démarré.
Elle sera lancée dans les prochains jours, voire les prochaines semaines. Il n'y a pas d'urgence particulière.
Les acteurs de la rénovation urbaine réclament plus de moyens. Que leur répondez-vous ?
C'est une demande à laquelle je suis globalement favorable. Il existe plusieurs manières de répondre aux besoins de l'Anru. Le plan de relance ne cible pas spécifiquement les quartiers Anru, mais ses grandes enveloppes destinées à la rénovation des bâtiments (HLM ou bâtiments publics) leur bénéficieront aussi. En conséquence, ces sommes permettront à l'Anru de déployer ses efforts ailleurs.
Comment articuler le besoin de logements et la lutte contre l'artificialisation des sols ? Cela passe-t-il nécessairement par la densification ?
On artificialise, en France, l'équivalent d'un département à peu près tous les dix ans. Notre taux d'artificialisation est 15 % supérieur à celui du Royaume-Uni et environ le double de celui de l'Espagne. On ne peut pas ignorer les effets des catastrophes naturelles dans des espaces bétonnés où l'eau s'écoule moins… On ne peut pas se désintéresser de ce sujet. C'est important pour la soutenabilité de notre manière de vivre, d'habiter en France aujourd'hui et demain. L'enjeu, ce n'est pas la densification. L'enjeu, c'est de trouver, à chaque échelle territoriale, la bonne manière d'habiter avec la juste densité. Dans cette perspective, le travail mené par l'architecte Patrick Bouchain avec le ministère, baptisé « La Preuve par sept », est intéressant. Fondée sur sept échelles (bâtiment, village, bourg, ville moyenne, ville de banlieue, métropole, ville d'outre-mer), cette démarche part du principe que l'augmentation de la densité n'a pas de sens partout. L'important est d'équilibrer entre des espaces denses et des espaces naturels afin de répondre à la fois aux besoins de la planète et aux besoins des populations. Pour les habitants, il faut trouver le bon point d'équilibre entre le besoin de mètres carrés, d'espaces extérieurs collectifs mais aussi de transports collectifs, de services et de commerces, de lieux de convivialité et peut-être demain d'espaces de coworking pour accompagner le développement du télétravail.
Où doit-on densifier, alors ?
La France compte énormément d'espaces intercalaires, entre les lotissements et la ville, dans les zones d'entrée de ville avec des commerces implantés dans des zones d'activités parfois en grande difficulté, auxquelles sont juxtaposés des entrepôts avec des parkings plus ou moins désaffectés… Ce sont des endroits dans lesquels on peut reconstruire du tissu urbain, de façon douce, dans lesquels on peut retrouver de la densité et rendre possible la création de services, en particulier de transports collectifs ou de pistes cyclables en site propre.

Quel est le premier bilan de la nouvelle version de Ma Prime Rénov', lancée le 1er octobre ?
Nous avons comptabilisé 300 000 visites sur le site une semaine après le lancement, et 115 000 dossiers ont été déposés depuis le début de l'année. Nous devrions être autour de 150 000 à la fin de l'année. Entre Ma Prime Rénov' stricto sensu, Ma Prime Rénov' Copropriétés et Habiter Mieux Sérénité - l'aide de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) à la rénovation globale pour les ménages les plus modestes -, nous espérons atteindre entre 400 000 et 500 000 rénovations de logements de particuliers l'année prochaine. Je constate qu'il y a un vrai intérêt pour ces dispositifs, à la fois des Français, des professionnels et des collectivités locales qui aident à les faire connaître.
Une multitude d'aides à la rénovation se juxtaposent. Allez-vous accélérer la simplification ?
Il est très prématuré de dire que Ma Prime Rénov' nouvelle version pose des problèmes de lisibilité. Nous procéderons à un retour d'expériences dans quelques semaines. Nous avons fait deux choix politiques que j'assume complètement. Le premier, c'est de participer selon de la nature des travaux. Le deuxième, c'est d'aider les ménages en fonction de leurs revenus. Nous avons cherché le bon équilibre entre soutenir tout le monde et garder de la justice sociale afin d'aider plus ceux qui ont le moins.
La Capeb milite pour que l'obtention du label RGE soit assouplie. Quelle est votre position ?
Nous travaillons actuellement avec la Capeb et la FFB, dont les points de vue ne sont pas totalement convergents sur le sujet, pour permettre, grâce au RGE au coup par coup, de s'engager dans le label RGE par anticipation, à l'occasion d'un premier chantier. Nous cherchons ce point d'équilibre, qui devrait être trouvé dans les toutes prochaines semaines.