L’affaire tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier - publié au Bulletin - est riche d’enseignements quant à l’étendue de la clause d’exclusion de solidarité et ses conséquences en termes de responsabilité.
Dans cette affaire, un particulier a vendu à un couple un appartement. Les acquéreurs confient à un architecte la maîtrise d’œuvre de la rénovation de ce bien. Se plaignant de malfaçons et d’imprévisions ayant entraîné un dépassement du budget, ils assignent le maître d’œuvre et son assureur en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. Le vendeur, qui est resté propriétaire de l’appartement du dessous, se plaignant aussi de dommages, a également assigné les acquéreurs qui ont appelé en garantie l’architecte. Ce dernier a ensuite été placé en liquidation judiciaire. L’affaire arrive finalement devant la Cour de cassation.
Des effets de la clause d’exclusion de solidarité
Pour rappel, la responsabilité in solidum est une création jurisprudentielle signifiant que chaque responsable d’un même dommage peut être condamné à le réparer en totalité – à charge ensuite pour celui-ci de se retourner vers ses co-obligés pour leur part de responsabilité. Et ce principe s’applique à tous constructeurs, tels que les architectes, les entrepreneurs, les techniciens, etc. Toutefois, ceux ayant une activité sans lien possible avec le désordre échapperont à cette obligation. En effet, la jurisprudence exige que l’action de chaque constructeur contribue à réaliser l’entier dommage.
En l’espèce, figurait dans le contrat de maîtrise d’œuvre de l’architecte une clause d’exclusion de solidarité stipulant que « l’architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d’autres intervenants », dont la validité a été admise en 2019 en matière de responsabilité contractuelle de droit commun [1] (Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n°18-11995). La Haute juridiction censure cependant la décision rendue en appel en soulignant qu’elle a violé l’article 1147 du Code civil dans sa rédaction à l’époque des faits – article 1231-1 du Code civil aujourd’hui - car elle avait limité l’obligation à réparation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages.
Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle la théorie de l’obligation « in solidum ». Dans un second temps, elle énonce qu’ « une telle clause ne limite pas la responsabilité de l’architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d’autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d’ouvrage contre l’architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage ».
La Cour consacre quelques lignes de sa « Lettre de la troisième chambre civile » de février à cette décision, indiquant que « la clause d'exclusion de solidarité, insérée dans les contrats type proposés par l'ordre des architectes et présente dans un grand nombre de contrats, est source d'un abondant contentieux. » Elle souligne que « L’obligation in solidum n'a pas pour objet de mettre à la charge d'une partie les conséquences de la faute des autres mais de résoudre la difficulté tenant à la pluralité des débiteurs de l'obligation de réparation d'un même dommage. L'obligation in solidum évite à la victime de partager son recours, avec les risques que cela comporte en cas d'insolvabilité de certains responsables ».
Absence de lien de causalité entre la faute de l’architecte et le dépassement de budget
Par ailleurs, les maîtres d’ouvrage réclamaient une indemnisation du préjudice lié au dépassement du budget global du chantier, estimant que sans la faute de l’architecte, ils « n’auraient pas été confrontés à la nécessité de souscrire un emprunt pour faire face à des travaux imprévus ».
Sur ce point, la Haute juridiction confirme la décision des juges d’appel qui avaient rejeté cette demande en considérant que « si le projet de l’architecte avait été correctement réalisé, [ils] auraient dû nécessairement payer le surcoût correspondant aux prestations complémentaires omises ». D’après la Cour de cassation, la cour d’appel a pu déduire « qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le préjudice lié à ce surcoût et les fautes de l’architecte ».
Cass. 3e civ., 19 janvier 2022, n°20-15376, publié au Bulletin
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[1] Cette jurisprudence n’est pas transposable à la responsabilité des constructeurs des articles 1792 et suivants du Code civil.