La décision rendue par la Haute juridiction judiciaire le 21 janvier suscite des réactions contrastées. Logique sur le plan juridique, elle peut paraître en pratique excessivement protectrice pour le maître d’ouvrage…
Dans cette affaire, une architecte confie à un autre architecte la maîtrise d’œuvre d’un projet de rénovation et d’extension d’une maison d’habitation. Les différents lots sont confiés à plusieurs entreprises. Pour ces travaux, elle ne souscrit pas d’assurance dommages ouvrages (DO). Confrontée à des désordres, des retards et des problèmes de paiement, elle assigne, après expertise, l’architecte et les différentes entreprises afin d’obtenir réparation. Parmi les points soulevés, l’un retient l’attention : le maître d’ouvrage réclamait l’indemnisation des frais de souscription de l’assurance DO et des frais de mission de maîtrise d'œuvre nécessaires à la réalisation des travaux de reprise.
L’assurance DO est-elle obligatoire pour le maître d’ouvrage ?
L’article L.242-1 du Code des assurances énonce que toute personne physique ou morale qui fait réaliser des travaux de construction doit souscrire une assurance dommages ouvrage avant l’ouverture du chantier. Cette assurance est ainsi obligatoire pour les maîtres d’ouvrage, tout comme l’assurance décennale l’est pour les constructeurs.
L’article L.243-3 du code précité énonce que « quiconque contrevient [à cette] disposition […] sera puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 75 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement. ».Toutefois, l’alinéa 2 du même article exclut de ces sanctions la personne physique « construisant un logement pour l’occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint. »
La cour d’appel rejette la demande d’indemnisation des frais de souscription de la DO…
La cour d’appel rejette cette demande, se référant au fait que le maître d’ouvrage n’avait pas souscrit d’assurance DO pour les travaux d’origine et que « s’agissant du remboursement des frais de maîtrise d’œuvre, il n’est pas établi que [l’architecte] ait été payé pour effectuer cette mission ». Il se trouve en effet que les deux architectes – maître d’ouvrage et maître d’œuvre – étaient mariés à l’époque des faits…
Le maître d’ouvrage forme alors un pourvoi en cassation en arguant « que la victime doit être indemnisée de toutes les dépenses qu’elle doit effectuer pour remédier à son dommage » et qu’il ne sollicitait pas « le remboursement des sommes qu’[il] avait exposées dans le cadre des travaux entachés de désordres, mais l’indemnisation de sommes qu’[il] devait payer pour la réalisation de travaux de reprise ».
…mais est censurée par la Haute juridiction
La Cour de cassation lui donne raison et annule, au visa de l’article 1792 du Code civil, la décision rendue en appel sur ce point. Elle souligne qu’en « se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l’indemnisation du coût de l’assurance dommages-ouvrage et des frais de maîtrise d’œuvre afférents aux travaux de reprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Cette décision, à notre connaissance inédite, peut paraître sévère à l’égard des constructeurs. Toutefois, l’assurance DO étant obligatoire, il semble logique d’en inclure les frais de souscription dans l’indemnisation intégrale du coût des travaux de reprise. Certains spécialistes se demandent cependant si cela ne va pas encourager davantage les maîtres d’ouvrage particuliers à faire l’impasse sur la DO… à profiter du beurre, puis de l’argent du beurre.
Cass. 3e civ., 21 janvier 2021, n° 19-16434.
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