Décryptage

Architectes en chambre(s)... de discipline

L'exercice de la profession d'architecte implique le respect de règles strictes. En cas de manquement, des sanctions peuvent être prises au terme d'une procédure disciplinaire.

 

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« L'Ordre ? C'est le flic de la profession ! », nous assurait bravache, voici quelques années, un madré président du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa). Défense du titre et respect du code de déontologie incombent à l'institution, via ses conseils régionaux (Croa). C'est que les architectes sont des hommes -et des femmes -comme les autres, avec leurs grandeurs et leurs mesquineries… Et lorsqu'ils se font pincer, les doigts dans le pot de confiture, pour manquement au code des devoirs professionnels (décret n° 80- 217 du 20 mars 1980), la patrouille est là qui les rattrape pour leur tirer l'oreille, leur rappeler le droit et les sanctionner le cas échéant.

Astreints au respect de règles disciplinaires envers leurs clients, confrères, Ordre et administrations, les architectes peu vent ainsi être mis à l'index pour avoir jeté, par leurs agissements, opprobre et discrédit sur la profession et pour avoir créé un préjudice aux usagers.

Pratiques douteuses. Et les devoirs ne manquent pas : interdiction de toute signature de complaisance (lire « Le Moniteur » du 17 mai 2019, pp. 62- 64), stricte observance des règles régissant les conditions de rémunération, obligation de contrat écrit entre les parties, respect des règles régissant le cumul d'activités, interdiction des actes de concurrence déloyale ou d'appropriation frauduleuse de clientèle, etc.

Autant d'engagements contractés sous serment par l'architecte inscrit à l'Ordre. Mais nous ne vivons pas -encore-au pays des Bisounours, hélas. Et parfois, ça dérape et ça tourne au vinaigre… Dans le Top 5 des affaires dont connaissent les chambres régionales et nationale de discipline des architectes (CRDA et CNDA), la signature de complaisance, considérée comme le « fléau de la profession ». Maxime Dutilleul, juriste et secrétaire de la CNDA depuis 2009, en rappelle la gravité : « Une signature de complaisance, reconnue par une chambre de discipline, peut conduire un assureur à retirer sa garantie, avec les conséquences pécuniaires qu'on imagine pour l'architecte… » L'absence de contrat écrit obligatoire (prestation, rémunération, etc.) lui est fréquemment liée. « Les architectes invoquent souvent le fait qu'ils travaillent avec un client depuis de nombreuses années, sur la base d'une confiance réciproque ou d'un contrat oral, témoigne Maxime Dutilleul. Dans ce cas, la CRDA ou la CNDA leur rappelle que la déontologie exige un contrat écrit, spécifiant la nature des missions et les modalités de rémunération. » Viennent également devant la justice ordinale la sous-traitance de la mission de conception architecturale, les successions de mission mal ficelées (lorsque deux professionnels se font suite sur une même opération), les pratiques professionnelles douteuses voire franchement trompeuses, etc.

Et le plagiat ? « Il y a très peu d'affaires. Ce type de manquement déontologique est difficile à la fois à détecter et à caractériser », observe Maxime Dutilleul. Quant à l'usurpation du titre (art. 433- 17 du Code pénal), « il s'agit là d'une infraction pénale pour laquelle CRDA et CNDA sont incompétentes, puisqu'elles ne connaissent que des manquements au code de déontologie des seuls architectes inscrits au Tableau, à l'exception des fonctionnaires qui ont leurs propres instances disciplinaires… » On se souviendra, à cet égard, de l'affaire Philippe Leblanc, un vrai-faux architecte, condamné à deux ans de prison avec sursis en 2014, après avoir tout de même exercé pendant trente ans sans diplôme, et à la satisfaction de tous…

Comparaître en personne. Au sein de chaque Croa, la CRDA instruit les dossiers à charge et statue sur les poursuites disciplinaires engagées suite à la saisie de toute personne intéressée, confrère architecte ou représentant de l'Etat (art. 43 du décret 77- 1481). Si la plainte est recevable, elle est notifiée à l'architecte concerné, qui pourra se faire assister par un confrère et/ou un avocat via une procédure écrite et contradictoire. L'intéressé comparaît alors en personne et en audience publique devant la CRDA, avec toute la solennité requise… Un magistrat issu des juridictions administratives, deux assesseurs architectes, un rapporteur, un secrétaire d'audience. Face à eux, le public (clairsemé), le plaignant et le mis en cause (le nez dans ses chaussures) assistés de leurs avocats en toge. Le président préside, le rapporteur rapporte, le secrétaire consigne.

Interdit, le plagiat est rarissime. Il est à la fois difficile à détecter et à caractériser.

Les échanges sont acérés, parfois tendus, mais toujours onctueusement courtois. Les avocats plaident : le conseil du Croa récapitule les griefs, invoque le discrédit, « l'honneur et la probité » et requiert une juste sanction, parfois assortie d'une demande de publication dans « Le Moniteur » (uniquement en Ile-de-France). Merci Maître ! Ailleurs, on privilégiera la presse régionale. La partie adverse décortique l'accusation, se démène, en minimise la gravité et implore la mansuétude qui permettra à l'architecte, étourdi et oublieux de ses devoirs, de ne pas voir sa carrière plombée par une sanction… Délibéré à quinzaine. Fin de l'audience.

La même pièce pourra se rejouer devant la CNDA, juridiction d'appel des CRDA chargée de rejuger intégralement l'affaire, qui se réunit trois à cinq fois dans l'année pour examiner trois ou quatre dossiers par audience. Présidée depuis 2012 par Yves Doutriaux, conseiller d'Etat en exercice, elle se réunit dans une formation identique à celle de la CRDA. Lorsque l'appel émane du seul architecte sanctionné en première instance, cette CNDA peut confirmer, réformer ou annuler le jugement de la CRDA, mais pas aggraver la sanction. Les décisions de cette CNDA, motivées et contraignantes, sont immédiatement exécutoires mais susceptibles d'un recours en cassation devant le Conseil d'Etat. Une chance infime : une seule annulation pour vice de forme a été prise depuis sept ans.

Radiation. Quant à l'éventail des sanctions prononcées, il va de l'avertissement au blâme en passant par la suspension -ferme ou avec sursis -de l'inscription au Tableau. Sans perdre de vue le rejet de plainte - ouf ! -sil'infraction n'est pas ou insuffisamment constituée. Pour les cas les plus graves, ou les manquements répétés, la radiation sans réinscription possible pendant trois ans peut être prononcée. Des sanctions qui entraînent la nomination, par le Croa, d'un architecte gestionnaire qui expédie les affaires courantes, liste les contrats encours et prévient les clients de l'architecte de la mesure de suspension-radiation.

Alors, combien de décisions en la matière et pour quel quantum des peines prononcées ? « Depuis 2012, date de la prise de fonction d'Yves Doutriaux, 143 décisions ont été rendues », répond Maxime Dutilleul, avant de livrer une analyse plus fine : « Nous sommes en train de saisir dix ans de jurisprudence pour en tirer des conclusions. Et chaque année, un bilan d'activité chiffré est adressé au Conseil d'Etat. »

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