Jurisprudence

Annulation d’un contrat public: les conséquences d’un vice d’une particulière gravité

En l’état actuel de la jurisprudence, l’annulation d’un contrat administratif ne sera prononcée qu’en cas d’irrégularités d’une particulière gravité. Dans un récent arrêt, la justification donnée par le Conseil d’Etat pour annuler une concession est l’occasion pour lui de revenir sur les conséquences d’une telle décision.

 

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Conseil d'Etat
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S'agissant du recours en contestation de la validité d'un contrat public, les évolutions de la jurisprudence depuis le célèbre arrêt « Tropic travaux signalisations » (CE, ass, 16 juillet 2007, n° 291545) ont pu relativiser l’annulation comme issue normale d’un tel contentieux. Et ce, au profit d’autres solutions moins dommageables pour les relations contractuelles, telles que la régularisation ou la résiliation. Cependant, l’hypothèse de l’annulation du contrat n’est pas exclue ; et, pour les parties, cela implique d’en connaître les causes et conséquences. Un arrêt récent du Conseil d’Etat livre d'utiles éléments à cet égard.

 Une société d’économie mixte a candidaté à une procédure de passation d’une concession d’aménagement lancée par une commune en décembre 2010. Son offre n’a pas été retenue. Considérant que plusieurs irrégularités avaient été commises au cours de la passation, la SEM a saisi le juge administratif d’un recours en contestation de cette concession d’aménagement. Sa requête est successivement rejetée en première instance et en appel. Les juges du fond considéraient que, malgré la gravité des irrégularités en cause, l’atteinte excessive à l’intérêt général qui résulterait de l’annulation de la concession empêchait de prononcer celle-ci. Considérant que les motifs des juges sur ce point étaient insuffisants, le Conseil d’Etat annule l’arrêt d’appel et décide de régler l’affaire au fond.

Des irrégularités d’une particulière gravité

Le Conseil d’Etat repère trois irrégularités entachant la validité de la concession. D’abord, il relève un manquement dans l’évaluation des capacités techniques et financières, puisque la société attributaire évoquait, sans engagement formalisé clair sur ce point, la garantie financière de sa société-mère, point que la commune n’avait pas cherché à vérifier. Ensuite, il constate un défaut d’impartialité, puisque le maître d’œuvre de la commune, en charge des dossiers de demande de permis de construire, bases de l’opération d’aménagement, était également prestataire de la société attributaire. Enfin, l’offre retenue comportait de grandes différences par rapport aux exigences fixées dans le règlement de la consultation.

Toutes ces irrégularités sont reconnues comme étant d’une particulière gravité. Sur ce point, le Conseil d’Etat n’innove pas. De fait, le juge administratif hésite rarement à annuler dans le cas d’atteinte aux principes de la commande publique, d’autant plus s’il y a eu volonté de favoriser l’un des candidats. La jurisprudence a ainsi déjà reconnu comme un vice d’une particulière gravité l’atteinte au principe d’impartialité de la procédure (CAA Bordeaux, 12 juin 2018, n° 16BX00656), mais aussi le non-respect par le pouvoir public des conditions de la consultation qu’il a lui-même fixées (CAA Paris, 11 févr. 2014, n°13PA03152). Les juges du fond avaient reconnu ces vices mais avaient considéré que l’intérêt général s’opposait à l’annulation de la concession.

Un rappel des conséquences de l’annulation d’un contrat administratif

Le Conseil d’Etat leur donne tort. Il considère que la gravité des irrégularités impose d’annuler la concession d’aménagement. Quant aux motifs d’intérêt général pouvant justifier le maintien du contrat, le Conseil d’Etat les rejette successivement. Ainsi, le fait que la concession soit arrivée à son terme ou qu’une indemnité puisse être due ne sont pas de nature à faire obstacle à l’annulation du contrat. De même, le juge rejette également l’intérêt qui s’attache au maintien d’une base légale pour les actes pris pour l’exécution de la concession. En outre, les difficultés relatives à l’exécution financière suivant l’annulation du contrat ne sont pas suffisantes, étant donné qu’elles pourront être réglées sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

Insécurité juridique

Des motifs utilisés par le juge pour écarter une quelconque atteinte à l’intérêt général, il ressort que le juge a moins utilisédes motifs tenant au contrat même (son ampleur, son importance pour la collectivité) qu’il n’a relativisé les inconvénients tenant à l’annulation de la concession. Ainsi, il a mis en avant le fait que l’annulation du contrat n’entraîne pas, par elle-même, l’annulation des actes pris pour leur application. Il a également rappelé le fondement de l’enrichissement sans cause pour régler les conséquences financières d’une annulation, position qu’il avait déjà prise pour examiner la validité de transactions faisant suite à l’annulation de contrat administratif (CE, 8 décembre 1995, n° 144029). Il apparaît ainsi un rappel en filigrane des conséquences de l’annulation d’un contrat administratif, voire des moyens d’y faire face dans le cas de l’exécution financière.

Toutefois, la relativisation en l’espèce des conséquences de l’annulation d’un contrat ne doit pas faire oublier toute l’insécurité juridique que crée cette situation pour les parties. Même si tous les actes pris pour l’application ne seront pas remis en cause, l’annulation ne peut que rendre incertaine la poursuite de leur exécution. En outre, le fondement de l’enrichissement sans cause ne règle que le remboursement des dépenses utiles ce qui ne peut que fragiliser la situation financière de l’entreprise dont le contrat a été annulé. Ces conséquences dommageables n’ont d’ailleurs rien d’accidentel puisque l’annulation du contrat est avant tout la sanction des irrégularités les plus graves.

CE, 15 mars 2019, n°413584, publié au recueil Lebon

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