Jusqu'au 24 décembre 2023, les autorités organisatrices des transports (AOT) peuvent mettre en concurrence le groupe SNCF pour les contrats régionaux. Ensuite, ce sera obligatoire. Comment ce changement impacte-t-il les activités de SNCF Immobilier ?
Nous venons en soutien de la performance des activités du groupe. Nous répondons aux appels d'offres aux côtés des entités de la SNCF concernées. Par exemple, à Nice, la mise en concurrence sur le TER [exploitation de la ligne transversale Les Arcs-Draguignan-Nice-Vintimille et sa perpendiculaire Cannes-Grasse et Nice-Breil-Tende, NDLR] prévoyait la construction d'un atelier de maintenance, que nous piloterons en tant que maître d'ouvrage délégué. La loi d'orientation des mobilités (LOM) prévoit que les AOT puissent demander le transfert, en pleine propriété, des ateliers de maintenance.
Certaines ont activé ce droit. Dans ces territoires, nos missions changeront puisque nous n'exploiterons plus en tant que propriétaire, mais en tant que gestionnaire, faisant valoir nos conseils et appliquant les décisions du nouveau propriétaire.
Faire face à la concurrence implique d'améliorer sa compétitivité. Comment l'immobilier peut-il y contribuer ?
Cela passe par la baisse de la facture immobilière et la facilitation des gestes professionnels. L'une de nos principales missions consiste à utiliser notre patrimoine, à le rénover et à le moderniser. Sur toute la durée du schéma directeur, entre 2015 et 2024, nous aurons, par exemple, investi 200 M€ dans nos technicentres industriels. Les travaux permettent d'intervenir sur la structure, la performance thermique, les CVC avec un raccordement au chauffage urbain, lorsqu'il existe, pour abandonner le fioul. Nous travaillons également sur leur réversibilité. L'installation de movers - des engins semi-autonomes capables de transborder des wagons - nous permet de supprimer l'accès par le rail. Cela peut paraître contre-intuitif lorsque l'on travaille à la SNCF, mais cette technologie nous permettra d'accueillir dans ces bâtiments industriels d'autres modes de transport, comme les tramways.
Qu'en est-il pour les immeubles de bureaux ?
Nous réduisons l'empreinte immobilière en mutualisant les espaces et en généralisant le flex office suite au déploiement du télétravail, deux ou trois jours par semaine. A mon arrivée [en février 2021, NDLR], les équipes ont révisé les schémas directeurs tertiaires en fonction des besoins de chaque territoire. Les équipes ont travaillé vite : à titre d'exemple, celui de l'Ile-de-France a été validé en juin 2021 et déployé un an plus tard. A l'échelle nationale, sur les 1,2 million de m² tertiaires que nous utilisions, 320 000 m² ont été rendus au terme du bail.
Ce qui représente une économie annuelle de 200 M€.
En parallèle, nous développons notre patrimoine. Nous avons doté SNCF Réseau de trois campus de formation, à Nanterre dans les Hauts-de-Seine (extension livrée en 2021), Saint-Priest dans le Rhône et Bègles en Gironde (campus neufs livrés en 2022), tous composés de salles de formation et de logements, pour accueillir les salariés sur plusieurs jours. Les espaces sont réversibles : les bureaux peuvent être transformés en logements et inversement. Et la maquette numérique a été lancée dès la conception pour faciliter leur exploitation.
Où en est l'objectif de construire 15 000 à 20 000 logements d'ici à 2025, fixé dans le cadre de la charte d'engagement pour la mobilisation du foncier ferroviaire signée en 2021 avec le gouvernement ?
Nous déclinons, région par région, cette convention, avec pour chaque territoire une liste détaillée des opérations à prévoir. A l'heure actuelle, la construction d'un total de 12 000 logements en Ile-de-France, Paca et Occitanie est au programme. Il y a toutefois un changement notable : auparavant, la vente foncière contribuait au désendettement du groupe et à l'amélioration du cadre de vie des habitants.
Aujourd'hui, les intérêts n'arrivent plus à converger parce qu'il faut - et c'est tout à fait légitime - à la fois développer une offre de logements sociaux et répondre aux impératifs environnementaux (par la renaturation des fonciers notamment), tout en atteignant l'équilibre économique. Or, la valorisation foncière repose sur le potentiel de constructibilité, un modèle qui date de l'après-guerre et qui a fait ses preuves, mais qui ne permet plus de faire face aux enjeux actuels.
Comment transformer le processus de valorisation du foncier ?
Il conviendrait de pouvoir intégrer la création de valeur environnementale et sociale dans la valorisation foncière.
De nombreuses pistes sont envisageables. Une première - dont l'acceptabilité serait difficile dans le contexte inflationniste actuel - serait d'ordre fiscal : elle pourrait par exemple consister à créer une taxe sur les biens immobiliers situés autour d'un foncier urbain artificialisé qui serait renaturé. Les études montrent que la création d'espaces verts contribue à augmenter la valeur des biens à proximité. Autrement dit, la création de valeur environnementale crée de la valeur économique. Cette dernière est redistribuée au fil du temps : aux propriétaires lors de la vente, et aux collectivités locales qui perçoivent la fiscalité, notamment les droits de mutation à titre onéreux [un pourcentage du prix de cession, NDLR].
Une deuxième piste reposerait sur le système bancaire, qui pourrait développer une offre dédiée au financement de projets de renaturation, avec des taux d'intérêt plus attractifs. La taxonomie européenne [système de classification des activités vertes, NDLR] devrait pousser les établissements bancaires à aller dans ce sens.
« Nous investissons 200 M€ dans nos technicentres industriels, et travaillons sur leur réversibilité. »
Quelles sont vos autres propositions ?
Elles portent sur la création d'un marché volontaire de quotas de CO2, ou l'instauration d'une péréquation entre les opérations, via un bonus-malus, géré par une agence dédiée qui verserait des aides aux projets les plus vertueux. Nous avons formulé ces propositions dans le cadre du Conseil national de la refondation dédié au logement et de la mission gouvernementale sur la décarbonation de la chaîne de valeur de l'aménagement. Enfin, nous militons pour que la puissance publique octroie un bonus de constructibilité, à l'échelle du quartier et non pas de la parcelle, aux abords des gares.
Densifier ces territoires en cours d'aménagement permettrait de réduire la fracture entre les villes-centres et leur périphérie tout en réduisant l'empreinte carbone des habitants éloignés des transports en commun, qui n'ont aujourd'hui d'autre choix que d'utiliser leur véhicule.
Ne faudrait-il pas aussi revoir vos processus internes de sélection des projets à lancer ?
Nos modèles traditionnels de suivi de la performance ne permettent pas toujours de décarboner nos opérations aussi vite que l'exigent les objectifs réglementaires. En se basant uniquement sur le taux de rentabilité interne, il y a fort à parier que les solutions fondées sur les énergies fossiles permettent d'atteindre des niveaux de rentabilité plus élevés que les technologies plus innovantes, plus propres, mais aussi plus coûteuses. Il s'agit d'un sujet de gouvernance propre à chaque entreprise. Au sein de la SNCF, nous avons ainsi déployé, en interne, deux nouveaux indicateurs : le PIC (prix interne de la tonne de carbone) et le CAC (coût d'abattement carbone).
Pour notre groupe, le prix de la tonne de CO2 est désormais fixé à 100 euros, contre 60 euros au lancement en 2021 de ces deux indicateurs [qui pénalisent les projets dits traditionnels, NDLR]. Ceux-ci permettent d'orienter nos choix d'investissement, en comité d'engagement, vers les projets les plus intéressants en matière de bénéfice environnemental. Et je fais le pari que, demain, d'autres indicateurs émergeront afin de valoriser les critères sociaux, de résilience…