Après le brasier ravageur survenu le 15 avril 2019, c’est un chantier de reconstruction sans précédent qui se déroule à la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Mais pour éviter un Bis Repetita, lesmesures de sécurité incendie envisagéespour sa restauration doivent être exemplaires. C’est à ce défi complexe qu’a dû répondre l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Retenu dans la cadre d’une consultation publique par l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, maître d’ouvrage de la restauration de la cathédrale, en lien étroit avec les architectes en chef des monuments historiques, maîtres d’œuvre, l’Ineris devait étudier la performance des mesures envisagées, en particulier pour la toiture. « Nous avions besoin detester et valider les solutions techniques pour lutter contre un incendie au coeur de la charpente », pose Alexandre Pernin, directeur adjoint des opérations de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.
« La principale difficulté consistait à dimensionner les dispositifs de sécurité sur les 100 m de long de la charpente, où la propagation du feu dépend de nombreux facteurs », explique Benjamin Truchot, chargé de mission approche intégrée de l’observation à la simulation, à la direction incendie-dispersion-explosion de l’Ineris. La nature de la source du feu, l’agencement du bois et sa qualité, la ventilation des flammes par rapport aux ouvertures, à la météorologie et à la force des vents ou encore l’évacuation naturelle des fumées, sont autant de paramètres à prendre en compte.
Simulation numérique
Pour mener à bien sa mission, l’Ineris a choisi de combiner des tests numériques à des essais feu. « Les simulations numérique en 3D du développement d’un incendie ont permis d’évaluer la réponse des différentes mesures de protection envisagées », affirme Benjamin Truchot. Le logiciel Fire dynamics simulator (FDS) a ainsi été utilisé en deux temps. « Le premier consistait à paramétrer l'outil pour obtenir des résultats cohérents. Une fois cette étape achevée, nous avons pu l’utiliser pour étudier la propagation du feu et les mesures de sécurité choisies », explique Guillaume Leroy, ingénieur de l’unité Dispersion incendie expérimentation et modélisation (DIEM) a l’Ineris.
« Généralement, les combles doivent être ventilés. Ici, ce n'est pas le cas car la modélisation montre qu'évacuer les fumées favorisera la propagation des flammes. Or, chaque minute compte pour laisser aux pompiers le temps d'intervenir », illustre Rémi Fromont, l’architecte en chef des monuments historiques en charge du projet de restauration des charpentes.
Ces modélisations ont aussi été l’occasion de reproduire la complexité des échanges thermiques entre les flammes et les matériaux : « il s’agit d’analyser grâce à un modèle numérique de pyrolyse la décomposition du bois sous l’effet de la chaleur, ce qui impose de reproduire à la fois les échanges convectifs, c’est-à-dire la présence de gaz chauds à proximité des éléments en bois, et les rayonnements. Une manœuvre de couplage entre plusieurs codes informatiques complexes », détaille Benjamin Truchot.
Il convenait ensuite d’étudier les effets des mesures passives, comme le désenfumage ou le compartimentage au moyen de paroi résistante au feu, puis les effets du système du brouillard d’eau.
Afin de conforter les choix méthodologiques sur une simulation d’une telle ampleur, l’Ineris s’est associé au Lemta*, un laboratoire de recherche spécialisé dans la modélisation des incendies. Guillaume Leroy confie d’ailleurs « le sujet de l’interaction entre les flammes et les gouttelettes d’eau issues du brouillard fait encore partie du domaine de la recherche, ce qui souligne l’innovation de notre étude ».

La simulation numérique du développement d'un incendie dans la nef de la cathédrale de Notre-Dame de Paris met en évidence l'influence d'une cloison coupe-feu. © Ineris
Essais expérimentaux
« Nous avons mené plusieurs essais en amont : les premiers en laboratoire afin de qualifier différents échantillons de bois. Ensuite, nous avons travaillé à partir de maquettes en pins simplifiés de la charpente pour caler nos modèles de propagation au feu », se remémore Jean-Pierre Bertrand, technicien de l’unité DIEM de l’Ineris. Puis, une partie de la charpente en chêne a été reproduite à l’échelle 0,4, et installée dans la chambre de 1000 m3 de l’Ineris. La réalisation de tels essais, avec présence de plomb, a été rendue possible par les capacités de cette plateforme, capable d'accueillir un brasier allant jusqu'à une puissance de 15 MW, avec un système d’extraction et de traitement des fumées (STF) d’une capacité de 100 000 m3/h.
En plus d’enrichir la littérature scientifique, ces essais ont permis de tester le pilotage de la ventilation, qui comporte deux mesures clés. « L'intégration de travées coupe-feu dans la structure sert à la fois à limiter la propagation des flammes et à modifier l’écoulement des fumées. Elle s’accompagne d’une augmentation de la section des voliges supportant le plomb, dans l’objectif, là encore, de minimiser la ventilation du feu », explique Benjamin Truchot. Le système d’extinction par brouillard d’eau a lui aussi pu être testé. « Il s’agit d’une installation coûteuse pour laquelle nous n’avions pas droit à l’erreur. Notre instrumentation devait fonctionner. Le feu devait se propager comme nous le voulions et l’extinction être déclenchée au bon moment. Et nous avons réussi », se félicite Jean-Pierre Bertrand. Ces dispositifs constituent désormais la réponse à tous les types de départs de feu au sein de la charpente de la cathédrale. Ils y sont installés depuis plusieurs mois déjà.