Interview

«A Mayotte, il faut conforter, diminuer les risques, améliorer par le bas», Cyrille Hanappe, architecte

Passée la dévastation du cyclone Chido, le temps est venu de reconstruire Mayotte. Mais comment? Par où commencer, avec quels moyens, quels matériaux, quelles approches? Eléments de réponse avec Cyrille Hanappe, architecte et ingénieur, maître de conférence, associé fondateur de l'agence d'architecture AIR et directeur scientifique du diplôme de spécialisation et d'approfondissement (DSA) «Architecture et risques majeurs» à l'école d’architecture Paris-Belleville.

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Cyrille Hanappe, architecte et ingénieur. Associé et fondateur de l'agence AIR Architectures, avec Olivier Leclercq.

Invités, voici près de dix ans, par la mairie de Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte, à travailler sur l’un de ses «quartiers spontanés» - un bidonville - de Kaweni, l’architecte Cyrille Hanappe, de l’agence AIR Architectures (qu’il gère avec Olivier Leclercq), et ses partenaires - Habitat social à prix coûtant (HSPC), Solidaire pour l’Habitat/Mayotte et le BET Etudes techniques générales (ETG) - ont développé depuis une connaissance approfondie, à la fois architecturale et sociale, des caractéristiques de l’archipel.

Celle-ci s’est, par la suite, étendue à de nombreux autres quartiers, appuyée en cela par les travaux des étudiants du DSA «Architecture et risques majeurs» à l’école d’architecture Paris-Belleville. S’appuyant sur les politiques menées en Amérique latine et à la Martinique, Cyrille Hanappe plaide pour «une amélioration par le bas», low-tech, adaptée au contexte mahorais, destinée à diminuer les risques et améliorer la qualité de construction et de vie.

Quel constat dresser à ce jour de la situation à Mayotte?

Pour commencer par du positif, il y a quelque chose que lEtat sait bien faire : c’est soccuper des infrastructures et des bâtiments publics. Réparation des routes, des ponts, etc. On peut espérer que les choses se passent relativement vite et bien, même si, le gros problème de Mayotte, au-delà de la question du financement, c’est la question des compétences sur place, des ressources, des matériaux, des moyens organisationnels, etc.

Même pour simplement réparer les toits des bâtiments publics endommagés, il y aura un manque de bras et de matériaux. C’est structurel, ce n’est pas nouveau, ça a toujours été comme ça. Les uns et les autres ont alerté sur ce genre de pénurie pendant des années, sans qu’il y ait beaucoup d’écho… Les difficultés structurelles sont tellement fortes à Mayotte, il y a un climat tellement difficile et délétère, que les enseignants, le personnel hospitalier, etc. sont peu à vouloir y aller et ne restent jamais très longtemps.

Qu’en est-il de la question du logement sur place?

Il ny a pas de politique de logement social à Mayotte. C’est zéro. Il y a eu un modèle assez génial qui a existé entre 1980 et 2003, qui s’appelait la case SIM : des maisons très simples, inventées par un groupement d’anthropologues et d’architectes, que les habitants pouvaient facilement agrandir. Une petite structure en béton et des briques de terre sèche compressées. Il s’en est produit 30 000 environ. Elles étaient données aux habitants. En 2003, l’Etat a mis un terme à l’expérimentation. C’est l’année où les bidonvilles ont commencé à apparaître…

Il y a bien un bailleur social, la Société immobilière de Mayotte (SIM), mais son objet principal, c’est de loger les enseignants, les personnels médicaux, et puis éventuellement certaines classes moyennes, voire classes moyennes inférieures, mais ce n’est vraiment pas du logement social tel qu’on le définit en métropole, et qui s’adresse encore moins aux personnes en grande précarité. Donc, zéro logement social construit depuis 2003 pour les personnes en grande précarité.

Alors, aujourd’hui, face à cette situation, que faire?

Il y a eu des programmes de logements sociaux annoncés, avec un objectif visé de 10 000 logements pour 2030. On est bientôt en 2025, pas même un quart n’a été vraiment lancé… Avec toutes les difficultés que j’ai déjà évoquées, ils ne vont pas surgir par magie, et quand bien même ils auraient été construits, il en manquerait encore 25 000 pour loger tout le monde. Les seules politiques qui fonctionnent - on s’y était engagé et on continue de l’être - à Mamoudzou, dans le quartier de bidonvilles de Kawéni, c’est celles qui avaient été inventées notamment par Serge Letchimy en Martinique, qui reprenaient elles-mêmes des politiques mises en place en Amérique latine : cest lamélioration par le bas.

Concrètement, l’idée est de diminuer les risques dans les quartiers, ça veut dire amener des services urbains, mettre en place des cheminements, des murs de soutènement pour qu'il n'y ait plus de risque de glissement de terrain, pour que de petits véhicules puissent circuler dans le quartier, mettre en place des réseaux pour amener l’eau, l’électricité, des réseaux d’évacuation et un réseau dabris contre les cyclones, en béton, en métal, mais aussi en bois et en briques de terre sèche compressée. J’avais vu cela dans l’Alabama, aux Etats-Unis, pour mettre en sûreté les habitants vis-à-vis des tornades.

Sur le terrain, post-catastrophe, que se passe-t-il et comment interviennent les architectes?

Un mouvement d’architectes locaux s’est mis en place. Ces derniers sont activement engagés, notamment sur la question des diagnostics des bâtiments publics. Ils sont au travail, dans les quartiers. C’est le premier recensement. De notre côté, nous avions mis au point, avant Chido, des affichettes d’informations pour les habitants des bidonvilles, pour renforcer les maisons face aux cyclones. Il y a des techniques simples pour les bidonvilles, qui reposent sur le contreventement, la limitation des débords de toiture, sur la fixation des toits à la charpente, de manière plus assurée. Et donc il y a des stratégies d’information dans les quartiers. Parce que, si Chido était d’une puissance exceptionnelle, la saison des cyclones ne fait que commencer.

Derrière, on espère qu’il y aura enfin une approche différente de la question du bidonville. Parce que pour le moment, l’Etat les détruit, mais, bien évidemment, si on détruit des bidonvilles sans proposer des logements, on ne fait que créer des bidonvilles encore pires à chaque fois. De toute façon, les quartiers sont déjà reconstruits. J’ai reçu des photos ce week-end du confrère Dominique Tessier, président du CAUE de Mayotte…

Alors, qu’est-ce qu’on peut faire à part les reconstruire de manière un peu plus solide? Conforter, diminuer les risques, mettre en place des cheminements, tout ce que j’ai expliqué un peu avant. Si vous dites à un maire qu’il faut loger des migrants, cela l’embêtera. Si vous lui dites qu’il sera responsable s’il y a des morts, il vous écoutera. Et là, il se sent obligé de faire quelque chose.

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Analyse et synthèse des risques pour le quartier de Mahabourini. Analyse et synthèse des risques pour le quartier de Mahabourini.

Quels liens entretenez-vous avec la Fondation «Architectes de l’urgence»?

Jusqu’ici, j’ai eu l’impression que les Architectes de l’urgence étaient sur une approche disons «traditionnelle» - reconstruire en dur, en béton, après la catastrophe - ce qui a très bien fonctionné quand le contexte le permettait. Il y a des tas dexemples heureux de bâtiments publics, de logements, en Haïti et ailleurs, mais dans des conditions qui ne sont pas celles de Mayotte. C’est un peu ce qui distingue nos approches. Mais je les ai entendus dire récemment vouloir accompagner les gens pour qu’ils reconstruisent leur quartier. Ce qui m’a fait plaisir parce que jai eu le sentiment qu’on allait désormais dans la même direction.

D’autres expérimentations ont-elles été lancées à Mayotte?

En 2022, le Plan urbanisme construction architecture (Puca) avait organisé un concours qui s’appelait «Un toit pour tous en outre-mer» (Totem). Nous nous étions inspirés du modèle de la case SIM qui avait très bien marché et nous avions été une des trois agences lauréates. Nous avions alors imaginé des maisons plus petites et adaptées justement aux bidonvilles. Les programmes étaient financés, prêts à être lancés, avec des entreprises, etc. Puis nous nous sommes retrouvés en butte à un problème classique à Mayotte, caricatural même : tout d’un coup, d’autres services de l’Etat ont exigé une assurance dommages-ouvrage (ADO) qu’aucun assureur ne propose sur place. Ce qu’ils savaient pertinemment. Le projet a été torpillé par l’administration, alors que nous avions là une solution légère, simple, peu coûteuse, pour avancer sur la question du (re)logement.

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