A Marseille, la rénovation des écoles dites Geep, du nom du concepteur-réalisateur, le Groupement d’études et d’entreprises parisiennes, remet sur la place publique le débat sur les marchés de conception-réalisation. Il est à l’image de celui provoqué entre 2017 et 2018 par « le plan écoles » de l’ancien maire Jean-Claude Gaudin (LR) qui prévoyait d’attribuer des marchés de partenariats publics privés (PPP) de plus d’un milliard d’euros pour remplacer ou mettre aux normes une quarantaine de Geep.
MGP de 85 millions d’euros
Cette fois-ci, c’est la décision de la nouvelle municipalité de recourir à un MGP d’une valeur de 85 millions d’euros pour rénover cinq écoles Geep qui met le feu aux poudres. A l’issue d’une première rencontre avec Maxime Repaux, le président du Syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône (SA13), farouchement attaché à l’allotissement, le nouveau maire, le socialiste Benoît Payan, et son adjoint en charge des écoles, Pierre-Marie Ganozzi, avaient accepté de retirer la délibération du conseil municipal du 2 avril. A la place, ils y avaient présenté une autorisation de programme d’un même montant pour rénover en loi MOP six écoles, la sixième ayant été ajoutée pour répondre à la demande de Samia Ghali, adjointe au maire notamment en charge de la stratégie municipale sur les projets structurants de la ville, pour lʼégalité et lʼéquité des territoires.

Maxime Repaux, président du Syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône (SA13). © SA13
Une semaine plus tard, lors d’une nouvelle rencontre afin d’échanger sur les modalités de la rénovation de ces écoles, le maire et son adjoint expliquaient au même Maxime Repaux qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que de recourir aux MGP pour ces cinq écoles, s’engageant par la suite à recourir à la loi MOP pour la rénovation de 120 autres écoles. Leur argument : la nécessité de faire vite pour bénéficier des subventions du plan de relance. Ce sont en tout cas les propos rapportés par l’architecte. Car la commune n’a pas répondu à nos sollicitations.
« Marseille contre les MGP »
En réaction, un nouveau collectif baptisé « Marseille contre les MGP », s’est formé autour du SA13 avec comme membres l’AUP, le Croa Paca, la Capeb13, le SNSO et l’U2P13. Unis dans le même combat, ils critiquent une « procédure de passation de marchés (…) contraire à l’intérêt public, puisque nettement plus coûteuse (de l’ordre de 20 à 30 %) et (…) non adaptée aux techniques de rénovation lourde des écoles Geep » (consulter la méthodologie proposée par le SA13).
Dans le courrier adressé à la Ville de Marseille, le collectif considère que « le concours incite à l’innovation, permet un choix partagé du meilleur projet en obtenant, dans un temps maîtrisé, un projet en phase esquisse ou APS répondant aux exigences fonctionnelles et environnementales de la collectivité Quant à l’allotissement des marchés de travaux, c’est la condition pour que toute entreprise puisse répondre aux consultations, dans des procédures transparentes ».
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Par ailleurs, dénonçant une « situation intenable », il demande « instamment aux représentants de l’Etat de soutenir financièrement la Ville de Marseille dans son projet de rénovation des écoles, sans pour autant la contraindre dans le choix d’une procédure MGP ». Selon ses membres, l’Etat doit permettre à la Ville de bénéficier du plan de relance en lui donnant un délai supplémentaire, au-delà du 31 décembre, pour permettre la mise en place d’une procédure en loi MOP, la seule « qui permette le maintien de l’économie locale en soutenant les artisans et les petites entreprises locales ».
« Outil de contournement du droit »
Pour le tout nouveau collectif, le MGP, « demi-frère du PPP », se justifie seulement dans « le cas de contrainte technique particulièrement complexe ». En dehors de ce cadre, il n’est « qu’un outil de contournement du droit ».
Ce combat contre ces contrats n’est pas récent. En effet, devant le nombre grandissant d’appels à candidatures pour des MGP, le SA13 a entrepris de les étudier (cf. ci-dessous). C’est sur cette base que son président Maxime Repaux a calculé l’écart de prix entre un projet réalisé en loi MOP et le même en MGP. « Les défenseurs du dispositif invoquent les coûts de maintenance. Mais leur intégration dans le MGP ne justifie pas un tel écart », estime-t-il, insistant, par ailleurs, sur « le rôle indispensable de l’architecte Or, dans un groupement, il est aux ordres de l’entreprise qui est son mandataire et n’est donc pas en mesure de défendre l’intérêt public ».
Performances attendues
Suite à ces prises de position, Philippe Mazet, délégué général du Syndicat national des Entreprises générales de France (EGF) a décidé de réagir en s’appuyant tout d’abord sur les chiffres. La formule, encore réservée aux projets d’une certaine importance ou degré de complexité, en termes de technique ou de calendrier, concerne, selon lui, aujourd’hui moins de 10 % des marchés publics. Il pointe ensuite que « le plan de relance du gouvernement en matière de rénovation énergétique est composé d’une immense majorité, en nombre et en montant, de « petits projets » inférieurs à 5 millions d’euros pour lesquels le MGP n’est pas nécessairement la solution la plus adaptée ».

Philippe Mazet, délégué général du Syndicat national des Entreprises générales de France (EGF). © EGF
Le délégué général d’EGF rappelle ensuite que le MGP « est le seul outil du code de la commande publique permettant de donner au client la garantie que les performances attendues en matière de consommations énergétiques seront bien atteintes ». « Le groupement d’entreprises qui réalise le marché se porte garant sur ses propres deniers de l’atteinte de ces objectifs », affirme-t-il. « Après la construction, la garantie et la responsabilité des entreprises s’étendent bien sûr à la période d’exploitation et de maintenance du bâtiment. Cela s’accompagne de la prise régulière de mesures des performances avec des conséquences financières pour l’entreprise en cas de non atteinte des objectifs » poursuit-il. En clair, à la maîtrise d’ouvrage de bien fixer dans son cahier des charges les critères « performantiels » qu’elle souhaite atteindre.
La place de l’architecte
Quant à la place de l’architecte, le délégué général d’EGF rappelle que les MGP ne comportent pas nécessairement un volet conception. Et si tel est le cas, le maître d’ouvrage peut décider de lancer un appel d’offres à part en passant par la loi MOP classique. Autre garantie d’une place de choix réservée à l’architecte dans le cas d’un MGP, l’obligation écrite dans le code de la commande publique de le faire participer - à côté des entreprises - au groupement chargé de réaliser le projet.
A la critique que ces contrats seraient « taillés pour les majors », EGF répond que la procédure « exige que les entreprises se portent garantes des performances à atteindre par l’ouvrage construit. Un tel engagement est plus naturellement pris par des entreprises qui ont la capacité de les prendre ». Mais d’après les chiffres du syndicat professionnel, sur le nombre des entreprises qui ont pratiqué en France les marchés globaux, on retrouve les trois majors, une quinzaine d’ETI et autant de PME régionales.
PME-TPE
Face à la crainte de voir les TPE-PME exclues des MGP, Philippe Mazet rétorque qu’en France, « plus de 50 % de la construction est réalisée par des partenaires sous-traitants. Pour plus de 75 % d’entre eux, ils sont locaux, issus du département ». En Paca, par exemple, EGF a observé que 42 % du chiffre d’affaires (780 millions d’euros de travaux annuels), réalisé par les entreprises générales, est sous-traité à des TPE-PME, dont 88 % sont locales. « D’ailleurs, si, dans le plan de relance, le gouvernement est favorable aux marchés globaux pour les projets qui le justifient, c’est bien parce qu’ils permettent de donner plus rapidement de l’activité et de l’emploi, et notamment aux PME locales ».
Va dans ce sens, la loi Asap qui a introduit l’obligation de prévoir un critère de sélection des offres en lien avec la part réservée aux PME-TPE dans l’exécution du contrat.
Maître d’ouvrage fort
Si la polémique enfle à Marseille, la question du recours au MGP et de la place de l’architecte dans ce type de contrat se pose bien au-delà du vieux port.
Lors de la présentation du chantier de construction du centre gérontologique de l’hôpital de Cannes (Alpes-Maritimes) réalisé via un marché de conception-réalisation, l’architecte Hubert Maes associé à GCC, déclarait que « la procédure, très décriée par les architectes, s’avère dans le cas présent performante. Et cela parce que nous avons comme interlocuteur un maître d’ouvrage fort, qui a demandé à ce que l’architecte soit au centre du jeu, et un assistant à maîtrise d’ouvrage Itaq qui a géré le projet de A à Z ».
La Ville de Marseille saura-t-elle se poser en maître d’ouvrage fort, capable de garantir la qualité des travaux ainsi que le respect des règles du jeu ?