A l'occasion du vote par le Sénat d'un texte final concernant les contrats de partenariat, Jean-Pierre Sueur exprime son mécontentement à l'égard du texte.
Etes-vous satisfait de la petite loi ?
Non, je crois que les contrats de partenariat (CP) doivent être un outil réservé à des situations spécifiques. Je suis hostile à la généralisation et à la banalisation de tels contrats.
Lorsque le groupe socialiste avait saisi, en 2003, le Conseil Constitutionnel, celui-ci a considéré que le recours à ces contrats atypiques devait se limiter à des circonstances particulières telles que l'urgence ou la complexité. Cette réponse ne semble pas convenir au gouvernement. Même s'il dit le contraire, ce projet de loi contredit en fait la décision du Conseil Constitutionnel.
La haute juridiction a clairement considéré que : "la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics".
Ce texte est donc contraire à cette décision de 2003 puisqu’en réalité, la future loi fait, du contrat de partenariat, une procédure de droit commun.
Que comptez-vous faire ?
Nous allons saisir le Conseil Constitutionnel aujourd'hui (15 juillet) afin qu'il examine la constitutionnalité des dispositions de ce nouveau texte.
Pour ma part, je considère que l'article 2 contredit directement la décision de 2003. Les méthodes utilisées pour contourner la décision de la haute juridiction sont les suivantes : au-delà de l'urgence ou de la complexité, le gouvernement introduit deux autres possibilités.
La première consiste à considérer qu’on pourra retenir la solution dite "la plus avantageuse". Or, comment juger ?, Qui en jugera? En réalité, il s'agit d'un pari! Il s'agit là d'un critère fuyant, dont on a du mal à cerner les contours.
Deuxième possibilité, comme le Conseil Constitutionnel a parlé d'urgence, les rédacteurs du texte introduisent dans l'article 2 un alinéa disant que jusqu'en 2012 un certain nombre de domaines (une douzaine allant de la sécurité aux universités en passant par l’environnement, les transports et la politique urbaine) seront présumés urgents ! En gros, presque tout se retrouve être urgent jusqu’à 2012!
Quels seront vos arguments devant la haute juridiction ?
La petite loi soulève quatre problématiques : la banalisation du recours aux CP, l'atteinte portée au droit de la concurrence, la difficulté de mise en œuvre de l'évaluation préalable, et enfin, la déconsolidation budgétaire.
Je ne reviens pas sur le premier point.
La généralisation des CP réduit l'accès à la concurrence. Avec les CP, la concurrence se limite aux grands groupes et elle ne porte que sur des marchés globaux. On choisit, en même temps, l’entité qui assurera la conception (l’architecture), la construction, la réalisation (tous corps d'état confondus), le financement, l'exploitation, maintenance et l'entretien. Or toutes ces tâches relèvent de métiers différents. Il y a un sens à choisir d'abord un concepteur (quel est le meilleur projet ? quel est le meilleur architecte?). L'architecture doit être sortie du CP afin d'établir une réelle concurrence entre les architectes car l'enjeu est la qualité architecturale dans notre pays. Il s'agit là d'une mission d'intérêt général. A l'occasion de la construction, les majors décideront – c’est dans la logique des choses – des filiales auxquelles elles feront appel. La capacité pour tous les artisans, PME ou entreprises travaillant dans le second œuvre de postuler et d’être retenus est donc largement compromise. Le CP a pour caractéristique de mettre en concurrence un pack ; or je ne pense pas que cette concurrence globale soit nécessairement plus intéressante qu'une mise en concurrence à chaque étape. La systématisation des CP met vraiment en cause l'égalité devant la commande publique.
Le troisième point délicat concerne l'évaluation préalable. Cette étude préalable est le plus souvent un leurre. On doit comparer avant de choisir un CP ce que donnerait une concession, un PPP ou un marché public. Or, à ce stade, nous ne savons pas qui sera candidat, et dans quelles conditions ni dans l’hypothèse du PPP ni dans celle d’un marché classique. On est donc dans le flou le plus total.
Le dernier point concerne les finances. Philippe Seguin, président de la Cour des Comptes, est clair à ce sujet. "Ces innovations ne visent, en fait, le plus souvent qu'à faire face à l'insuffisance de crédits immédiatement disponibles (…) et se traduisent par des coûts très importants pour l'Etat, qui aura en l'espèce fait preuve d'une myopie coûteuse". Les CP permettent de reporter sur les générations futures le manque actuel de crédits disponibles. Il s'agit de faire un chèque en blanc pour l'avenir. Enfin le CP pose la question de la multiplication des avenants. Il s'agit d'un contrat qui court sur plusieurs décennies, mais qui peut nous dire quels seront les prix de l’énergie, des matières premières, du coût de la construction, ou les taux d'intérêt dans x années…
Que pensez-vous de la jurisprudence sur les contrats de partenariat ?
Il y a actuellement trop peu de jurisprudence pour pouvoir en tirer des conclusions générales.
Propos recueillis par Christian Figali
Lire l'article sur l'adoption du texte sur les contrats de partenariat par le Sénat
Retrouvez le projet de loi relatif aux contrats de partenariat