«Cette rénovation est un peu spéciale. » En disant cela, un ami des propriétaires se trompait : cette maison construite près de la Porte de Gand, célèbre monument historique du Vieux Lille, est neuve. Pourtant ce commentaire, Patrick Vanderdoodt, architecte de l'opération, l'a pris pour un compliment : « On voit à peine la maison. C'est pour cela qu'elle est réussie. » « On ne sent pas l'effort d'intégration », confirme Pierre Cusenier, architecte des Bâtiments de France qui salue le travail d'insertion urbaine (voir p. 36).
Patrice Ardore et Isabelle Le Cam, maîtres d'ouvrage, sont arrivés à Lille en 1995. D'abord locataires rue des Tours dans le Vieux Lille, ils ont cherché en vain une maison avec jardin dans ce quartier historique plein de charme et très recherché. Patrice Ardore a repéré une parcelle rue de Gand, envahie d'herbes folles, clôturée d'une sinistre palissade et qui semblait appartenir à la maison voisine en chantier depuis des années. Il est allé au cadastre pour identifier le propriétaire. Celui-ci avait obtenu un permis de construire mais ne l'avait pas utilisé dans les délais. A la veille d'une traversée de l'Atlantique à la voile, lui qui n'était a priori pas vendeur, s'est laissé convaincre.
Patrice Ardore et Isabelle Le Cam ont acheté le terrain en 2002 et repris contact avec l'architecte qui avait obtenu le premier permis pour présenter un nouveau projet. « On a conservé la façade extérieure qui était la réplique de la maison de garde voisine », raconte Isabelle Le Cam. Mais le nouveau responsable du Service départemental de l'architecture et du patrimoine du Nord (SDAP), Pierre Cusenier, allergique aux pastiches, a mis son veto (voir p. 36). Les propriétaires se sont alors tournés vers Patrick Vanderdoodt pour concevoir une autre maison et surtout une autre façade. « Il fallait une architecture un peu forte qui respecte les alignements et le gabarit de la rue », explique l'architecte lillois. Les bâtiments ne sont pas homogènes mais leur gabarit moyen s'établit à R 2. « Je connais le site, on perçoit toutes les horizontales marquées par les appuis, les chéneaux et les corniches », ajoute l'architecte qui préside l'ordre dans la région Nord-Pas-de-Calais.
Dernier niveau décalé. « Nous avons eu très vite l'idée de décaler la façade du dernier niveau (R 3) pour respecter les lignes de la rue et laisser émerger le toit de la maison de guet voisine », souligne-t-il. Il a donc opté pour un volume cubique, avec une couverture en zinc en retrait. Au second étage, l'architecte voulait de la pierre de taille. Mais les dimensions des menuiseries étaient limitées du fait des contraintes intérieures de la maison. Il a donc dessiné des ébrasements qui ont donné des ouvertures plus grandes, à l'échelle de celles de la rue : « Le gabarit qu'on lit, c'est la découpe de la pierre et non pas les menuiseries, plus petites », explique l'architecte.
Au premier étage (le « bel étage » avec salon comme pour de nombreuses maisons du Nord), les propriétaires voulaient une grande pièce de vie avec de larges baies vitrées et une ambiance loft. Pour cela, Patrick Vanderdoodt pensait mettre en façade un linteau métallique et deux colonnes. « Pierre Cusenier m'a poussé à aller plus loin et à composer un cadre complet en acier », raconte-t-il. Autre souci : séparer la façade neuve et sa voisine ancienne pour éviter les raccords malvenus d'alignement. La formule choisie a été de faire remonter jusqu'au 2e étage une étroite bande de béton cannelé, le matériau utilisé pour tout le rez-de-chaussée.
Bouclage du budget difficile. Les propriétaires avaient fixé une enveloppe de 150 000 à 160 000 euros HT. Le premier chiffrage a dépassé 200 000 euros (hors peinture). Pour réduire la facture, Isabelle Le Cam et Partice Ardore ont utilisé leur réseau et présenté à leur architecte la société Batista (gros œuvre, couverture, charpente, plâtrerie) et le menuisier Farineaux. Le changement d'entreprises a permis de réduire l'addition à 177 000 euros HT, ce qui intègre les sols en béton ciré mais exclut la peinture et les agencements de salles de bain (réalisés par les deux pères des propriétaires), la cuisine et les placards.
Pour l'architecte, le succès de l'opération n'est pas financier : « Comme j'avais affaire à des artisans, j'ai dû dessiner les plans de réservations ainsi que le calepinage de la façade. » Il été très présent sur le chantier, presque quotidiennement. Pour les propriétaires, l'opération, du fait de la flambée des prix de l'immobilier, a été intéressante : la maison vaut aujourd'hui deux fois plus cher qu'elle ne leur a coûté.






