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«Il ne suffit pas de construire un bâtiment, l’essentiel est de renforcer les structures sociales.» Cette phrase donne le ton - engagé - du livre d’Anna Heringer, lauréate de nombreux prix dont l’Aga Kahn (2007), le Global Award (2011) ou l’Obel Award (2020). Avec Dominique Gauzin-Müller, co-autrice et traductrice en français de l’ouvrage, spécialiste de l’architecture écologique et pilier de l’association «La Frugalité heureuse» ; l’architecte allemande de 46 ans n’hésite pas à s’aventurer dans l’analyse de ses sentiments, livrant des anecdotes familiales mais aussi des réflexions plus philosophiques ou politiques.
A l’âge de 19 ans, lors de son service civique à Rudrapur (Bangladesh) avec une ONG investie dans le développement rural du pays, elle découvre les constructions en terre crue. La participation à un atelier de Martin Rauch, spécialiste du pisé dans le Vorarlberg, achève de la mettre sur la voie de ce matériau. Son projet de diplôme, l’école METI à Rudrapur, élevée en terre et en bambou avec des saris colorés en guise de portes et de plafond, la fait (re)connaître dans le monde entier. Suivent un centre de formation avec des brise-soleil en cannage de bambou, des maisons pour des familles de paysans, un centre pour handicapés. L’histoire de ces chantiers, menés avec les habitants, apporte un éclairage d’autant plus intéressant qu’elle se joue aujourd’hui au Bangladesh.
Vision holistique
«L’approche actuelle, dominée par les hommes, ne nous a pas seulement conduits à la surexploitation des ressources et à l’urgence climatique, mais aussi à l’injustice sociale, en raison du manque d’empathie et de l’accent mis sur les résultats plutôt que sur le processus», résume Anna Heringer. Que ce soit au Zimbabwe, au Ghana, en Chine ou en Allemagne, celle-ci préfère miser sur l’action collective, la valorisation des matériaux locaux et des savoir-faire artisanaux, et s’inspirer de l’architecture vernaculaire. Au Bangladesh, où la terre ne contient pas de cailloux, l’architecte opte pour la technique de la bauge à partir de boules d’argile et de paille mises en œuvre sans coffrage, ce qui facilite la réalisation de formes courbes. Dans le Vorarlberg, la forte teneur en pierres et graviers de la terre la rend davantage propice au pisé qui nécessite des banches et engendre plutôt des lignes droites. En Allemagne, Anna Heringer a mené plusieurs projets avec Martin Rauch dont une maison d’hôtes pour un centre de soins ayurvédiques à Rosenheim (2019) associant une structure en bois, des murs en pisé et une façade tressée en tiges de saule.
A la cathédrale Saint-Pierre de Worms, le duo a fourni aux membres de la communauté les outils pour réaliser eux-mêmes le nouvel autel à partir de la terre locale. Face à l’absurdité de certaines normes, Anna Heringer défend une conception holistique. Alors qu’en Europe construire en terre ou avec d’autres matériaux écologiques coûte plus cher qu’en béton ou en acier, elle préconise la réduction du volume bâti. L’architecte énumère sans fard les obstacles auxquels elle est confrontée, les compromis qu’elle est obligée d’accepter, mais aussi ses propres erreurs. Une belle leçon pour les nouvelles générations.
«Form Follows Love, une intuition construite. Du Bangladesh à l’Europe et au-delà» par Anna Heringer et Dominique Gauzin-Müller, 17x24 cm, 61 ill. 160 p, 38 euros. Editions Birkhäuser, Bâle.
