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Pour la Biennale de Venise 2025, le constat d’urgence suscite des convergences

A moins de trois mois de l’ouverture au public de la 19e exposition internationale d’architecture, à Venise (Italie), le 10 mai prochain, le commissaire général de la manifestation, Carlo Ratti, et les concepteurs du pavillon français, Dominique Jakob, Brendan MacFarlane, Martin Duplantier et Eric Daniel-Lacombe, ont, à un jour d’intervalle, rendu public leur projet d’expositions… et partagé de mêmes préoccupations. Alors que la Biennale 2025 entend convoquer l’intelligence, d’où qu’elle vienne, les représentations internationale et française ont engagé des démarches similaires. Pour proposer des pistes de solutions de nature toutefois différentes.

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D’éditions passées de la Biennale d’architecture de Venise, le visiteur a pu revenir parfois interloqué, pour ne pas dire dérouté, tant sur un thème pourtant général mais souvent vague choisi par l’organisation officielle, les participants pouvaient broder un patchwork de propositions sans cohérence. Alors que la 19e édition de la manifestation ouvrira au public le 10 mai prochain, la présentation, en l’espace de 24 heures, de l’exposition générale de la Biennale, puis du pavillon de la France, laisse cette fois entrevoir une véritable convergence et la possibilité d’un véritable partage des intelligences, comme y invitait le slogan de cette édition 2025 : « Intelligens. Natural. Artificial. Collective ».

En travaillant chacun de leur côté, l’architecte italien Carlo Ratti,qui a été désigné en décembre 2023 pour assurer le commissariat général de cette Biennale, et l’équipe formée par sa consœur Dominique Jakob et ses confrères Brendan MacFarlane, Martin Duplantier et Eric Daniel-Lacombe qui, après s’être engagée dans le processus de sélection pour la conception de l’exposition française dès octobre 2023, a été désignée lauréate en mai de l’année suivante, ont dressé le même état du monde. A Venise comme à Paris, les 11 et 12 février, les porteurs des deux projets ont fait défiler des images de Los Angeles ravagé par les flammes ou de villes ukrainiennes qui l’ont été par des bombes. Ils ont égrené une même litanie des drames récents ou en cours que sont la guerre à Gaza, le cyclone Chido à Mayotte ou les crues dans la région de Valence en Espagne.

Une dénonciation du «domicide»

Au sujet des conflits armés, l’Italien Pietrangelo Buttafuoco, président de la Biennale, ne s’est pas embarrassé de diplomatie feutrée. Reprenant les termes employés par l’homme politique Luciano Violante, il a dénoncé le «domicide» ou «domicidio» en italien, soit «le massacre de l’habitat. Car ce qui arrive dans toutes les guerres n’est pas seulement la démolition d’un immeuble ou plus, mais la destruction délibérée et systématique de toutes les maisons, universités, de tous les hôpitaux, pour priver les populations de tout moyen de survie mais aussi de leur identité.» Très engagé auprès des architectes ukrainiens depuis le début de la guerre avec la Russie, le Français Martin Duplantier a déjà eu l’occasion d’exposer des positions similaires.

Faisant un détour par l’histoire, l’architecte et ingénieur Carlo Ratti a lui rappelé que l’architecture, «depuis la hutte primitive», a toujours relevé d’une réponse à l’environnement, pour s’en protéger. «Venise est la parfaite incarnation de cela. Ce lieu n’était pas fait pour la vie humaine mais l’ingéniosité humaine en a fait une des merveilles du monde», a-t-il poursuivi. Lui qui enseigne à la fois au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux Etats-Unis, et à l’Ecole polytechnique de Milan, a souligné le glissement du rôle de l’architecture face au défi climatique : «Elle s’est engagée sur ce sujet depuis longtemps, notamment quand Richard Rogers a écrit "Des villes pour une petite planète", il y a trente ans. Mais à l’époque, il envisageait l’architecture comme un moyen de réduire les émissions. Aujourd’hui, nous voyons qu’il faut passer d’un objectif d’atténuation des effets du changement climatique à la nécessité de nous y adapter. Sur ce point, l’architecture, avec l’ingénierie, est notre seul espoir. Elle doit être au cœur du processus, avec l’aide d’autres disciplines.»

Offrir un abri entre deux tempêtes

Cet indiscutable rôle de l’architecture est une conviction partagée par les architectes de l’exposition française, intitulée «Vivre avec/Living with». «Le monde ne sera plus le même et nous devons nous y adapter. Les choses évoluent si vite qu’une première approche pourrait être de se dire que l’architecture est dépassée, a ainsi remarqué Dominique Jakob. Nous pensons au contraire qu’entre une tempête et la suivante, notre rôle est d’assurer une continuité de l’abri.» Pas vraiment surpris par cette proximité de réflexion avec Carlo Ratti, Brendan MacFarlane a commenté : «C’est le sujet de notre temps et c’est de partager sur cet enjeu qui, justement, est intéressant.»

Pour étayer leur démonstration, les deux équipes ont pris au mot cette invitation de la Biennale à faire montre d’intelligence et notamment d’intelligence collective. Depuis la France et l’Italie, elles ont, chacune, lancé un appel à contributions international et ont l’une comme l’autre reçue une masse de propositions dans laquelle il a bien fallu faire le tri. Les échelles ne sont pas les mêmes : l’exposition générale présentera plus de 680 projets, portés par plus de 750 participants, la France en exposera 50 dont 41 seront issus de la consultation et neuf élaborés par les quatre commissaires eux-mêmes. Mais la richesse des réponses est, dans les deux cas, prometteuses. Avec cet autre point commun bienvenu : les deux expositions seront l’occasion d’un grand melting-pot, avec des porteurs de projets venus d’un peu partout dans le monde et issus d’agences de grande renommée comme de petites structures, voire de start-ups ou encore d’écoles d’architecture.

«La culture de la prudence»

Les commissaires en tireront-ils pour autant les mêmes conclusions ? Du côté de l’équipe française, qui avait pu voir la présentation de Carlo Ratti, la veille en vidéo-conférence, l’architecte et urbaniste Eric Daniel-Lacombe a cependant estimé : «Nous défendons un petit peu plus que lui l’architecture. Carlo Ratti travaille davantage à encoder de la donnée qui, il l’espère, donnera une meilleure connaissance pour pouvoir arbitrer. Tous les quatre, nous pensons que l’architecture permettra au contraire aux gens de fuir ce qu’on appelle une culture du risque, pour passer à une culture de la prudence. Chacun ainsi saura, comme un marin qui ne prendrait la mer un jour de tempête, à quel moment il y a un danger

Un point commun, l’équipe vénitienne et la française en partageront un dernier qui pour être purement matériel, n’en prendra pas moins un vrai sens. Si l’exposition générale se tiendra comme habituellement à l’Arsenal, elle ne pourra pas être aussi présentée dans le grand pavillon officiel des Giardini, en réfectionTout comme l’est le pavillon de la France. Carlo Ratti a donc pris le parti de disséminer des interventions dans Venise et de faire de la ville un grand laboratoire. Les commissaires de l’exposition «Vivre avec» ont, eux, choisi de faire avec et de s’installer autour du bâtiment existant dans une grande structure conçue comme la prolongation de l’échafaudage de chantier. Deux manières d’envisager l’adaptation, donc.

La Biennale d'architecture de Venise se tiendra du 10 mai au 23 novembre 2025. www.labiennale.org

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