La Biennale de Venise expose l’architecture africaine dans toute sa diversité
De l’Afrique du Sud à la Tunisie, de la période coloniale à aujourd’hui, la 18e Mostra internationale d’architecture à Venise (Italie) fait pour la première fois place au continent africain et à sa diaspora, jusqu’au 26 novembre prochain, dans ses sites des Giardini et de l’Arsenale.
Biennale d'architecture de Venise 2023 : le Lion d'or pour Demas Nwoko
Né en 1935 au Nigéria, Demas Nwoko a reçu le Lion d’or de la Biennale de Venise 2023 pour l’ensemble de sa carrière. « A la fois architecte, sculpteur, designer, écrivain, scénographe et historien, il a été l’un des premiers créateurs d’espaces et de formes à critiquer la dépendance du Nigéria envers l’Occident pour l’importation de matériaux, de biens, mais aussi d’idées, indique Lesley Lokko, commissaire générale de l’exposition. Bien que peu nombreux, ses bâtiments ont été les précurseurs des formes d’expression durables, respectueuses des ressources et culturellement authentiques qui déferlent aujourd’hui sur le continent africain et sur le monde. »
Biennale d'architecture de Venise 2023 : Francis Kéré
Né en 1965, Francis Kéré, fondateur de l’agence Kéré Architecture, vit et travaille à Berlin (Allemagne) et Ouagadougou (Burkina Faso). Lauréat du Pritzker Prize en 2022, il expose à Venise plusieurs séries de photographies et de croquis qui illustrent les modes de construction traditionnels en Afrique et représentent un laboratoire pour le futur, thème de la Biennale cette année. Interrogé par « Le Moniteur », il exprime « la chance et le plaisir d’aller puiser dans l’histoire de l’architecture africaine et s’en abreuver pour bâtir notre avenir. »
Biennale d'architecture de Venise 2023 : Sammy Baloji
Sammy Baloji, cofondateur avec Rosa Spaliviero du Twenty Nine Studio, est lauréat d’une mention spéciale du jury lors de la Biennale internationale d’architecture de Venise 2023. Né en 1978, cet artiste visuel et photographe vit et travaille à Bruxelles (Belgique) et Lubumbashi (République démocratique du Congo/RDC). Ses recherches portent sur les effets de la colonisation belge au Congo. Dans les anciennes corderies de l’Arsenale vénitien, il projette un film documentaire réalisé au centre agricole de Yangambi (RDC). Les images d’archives, en noir et blanc, et celles actuelles, en couleurs, illustrent le contraste entre un passé prospère et un présent de quasi abandon. Sammy Baloji expose aussi le projet - non réalisé - de l’architecte Henry Lacoste (1885-1968) pour le pavillon belge de l’Exposition universelle de 1935, dont il a reconstitué la maquette en cuivre et laiton. Ce pavillon avait pour ambition de refléter le pouvoir et le progrès de l’entreprise coloniale au Congo.
Biennale d'architecture de Venise 2023 : Germane Barnes
Né en 1985, Germane Barnes (Studio Barnes) est diplômé en architecture. Il vit et travaille à Miami (Etats-Unis). Pour la Biennale de Venise, il a imaginé une installation intitulée « Griot », qui a pour objet principal une colonne dite de l’identité. Celle-ci, taillée dans un unique bloc de marbre noir, se veut une matérialisation de la culture de la diaspora africaine qui, comme le représente Germane Barnes dans ses collages, pourrait avoir sa place au Panthéon à Rome (Italie). Dans un autre dessin, il envisage de remplacer les colonnes à chapiteaux corinthiens d’un des bâtiments de la Howard University à Washington, l’une des plus anciennes universités noires aux Etats-Unis, par ses colonnes de l’identité. Avec cette perspective alternative, il souhaite que les fondamentaux de l’architecture soient revus à l’avenir, en reconnaissant la force de l’Afrique et de ses descendants.
Biennale d'architecture de Venise 2023 : David Adjaye
Né en 1966, David Adjaye est le fondateur de l’agence d’architecture Adjaye Associates. Il vit et travaille à Accra (Ghana), Londres (Royaume-Uni) et New York (Etats-Unis). A l’Arsenale de Venise, il a construit une structure ajourée en bois noir, en forme de prisme, dans laquelle méditer, mais aussi assister à une conférence, une lecture ou un récital durant la Mostra. Le nom de cette œuvre, « Kwaeɛ », signifie forêt en twi, une langue parlée au Ghana.
Biennale d'architecture de Venise 2023 : Modernisme tropical
A l’intérieur de la Mostra, la Biennale de Venise et le Victoria & Albert Museum de Londres présentent « Modernisme tropical : architecture et pouvoir dans l’Afrique occidentale ». Cette exposition retrace, photographies et film documentaire à l’appui, l’histoire de l’Architectural Association qui avait ouvert en 1954, à Londres (Royaume-Uni), un Département d’architecture tropicale. Dirigé par l’architecte Maxwell Fry, il y a d’abord été question d’enseigner aux Européens comment construire dans les colonies britanniques sous un climat chaud et humide. Puis le Département a été invité à former les Ghanéens après l’indépendance de leur pays en 1957, grâce à un partenariat noué avec la Kwame Nkrumah University of Science and Technology (KNUST) à Kumasi.
Biennale d'architecture de Venise 2023 : Mariam Issoufou Kamara
Née en 1979 à Saint-Etienne (Loire), l’architecte Mariam Issoufou Kamara, fondatrice de l’Atelier Masōmī, vit et travaille à Niamey (Niger) et Washington (Etats-Unis). Elle a créé pour la Biennale de Venise une installation appelée « Process » qui réunit vidéos, maquettes et dessins. Ces derniers ont été réalisés à la craie sur les murs, en hommage aux gravures néolithiques qu’elle a pu voir dans les montagnes et les grottes du désert du Sahara. Ce mode de représentation symbolise aussi sa démarche architecturale qui veut être la plus légère possible sur Terre. « Process, explique-t-elle, est une collision entre le passé et le futur, à la recherche d’approches architecturales innovantes qui soient pertinentes face aux défis d’aujourd’hui : contexte de pénurie, climat extrême et vulnérabilité économique. »
Biennale d'architecture de Venise 2023 : Meriem Chabani
Meriem Chabani, née en 1989 et John Edom, né en 1983, codirigent l’agence d’architecture, d’urbanisme et d’anthropologie New South, implantée à Paris et Bruxelles. A Venise, ils exposent « Queendom », une tapisserie figurant le royaume féminin auquel appartient Meriem Chabani. Celui-ci, peuplé par elle, sa mère, ses deux grands-mères et ses sept tantes, s’étend sur les deux rives de la Méditerranée, de l’Algérie - son pays de naissance - à la France - où elle vit. Les résidences représentées sur cet ouvrage sont celles de ses aïeules en Algérie, lieux de rassemblements familiaux lors des vacances, ainsi que la sienne à Vitry (Val-de-Marne). L’ensemble synthétise l’histoire, la géographie et les relations humaines dans sa famille.
Biennale d'architecture de Venise 2023 : Thandi Loewenson
Née en 1989, Thandi Loewenson vit et travaille à Londres (Royaume-Uni), Lusaka (Zambie) et Harare (Zimbabwe). Cette architecte, designer et chercheuse a reçu une mention spéciale du jury lors de la Biennale internationale d’architecture de Venise 2023 pour son travail militant autour de l’exploitation industrielle des terres africaines, qu’elle représente sur des panneaux en graphite. Cette matière est généralement utilisée dans la production de batteries lithium-ion pour fabriquer des appareils électroniques portables ou des voitures électriques. Thandi Loewenson rappelle à sa manière que la transition énergétique des pays du Nord entraîne l’expropriation de terres dans les pays du Sud. Selon elle, « la justice climatique devrait être égale pour tous, sur le continent africain et ailleurs dans le monde ».
D’ordinaire, maquettes, plans et prototypes à échelle 1/1 inondent les deux sites de la Biennale d’architecture de Venise - Arsenale et Giardini - comme l’acqua alta un jour de marée haute dans la cité lagunaire. Cette année, presque rien de tout cela. «Nous avons demandé aux participants d’envisager la représentation de leurs travaux d’une manière légèrement différente, en pensant à ce qu’ils souhaitaient que le public ressente», explique Lesley Lokko, commissaire générale de cette 18e Mostra, ouverte du 20 mai au 26 novembre 2023.
Résultat : tissus, tressages, imprimés et collages s’entremêlent aux sons et aux images de films documentaires et de vidéos artistiques.
Née en 1964 de parents ghanéen et écossais, Lesley Lokko est architecte, enseignante et romancière. Pour la Biennale de Venise 2023, elle a choisi comme intitulé « Le laboratoire du futur » et, par conséquent, invité les 89 personnalités et les 64 nations participantes à présenter leurs expérimentations relatives à l’architecture de demain. Au final, il s’agit bien d’un laboratoire. Mais celui-ci va bien au-delà du seul domaine de la construction puisque les champs d’études les plus variés s’appliquent ici : histoire, géographie, économie, politique, langue, sociologie, agronomie, etc.
Terrain d’expérimentation
«Lesley Lokko fait de l’architecture l’un des plus importants sujets de recherche pour répondre aux besoins de l’humanité, indique Roberto Cicutto, président de la Biennale de Venise. Et avec son laboratoire du futur, elle prend l’Afrique comme terrain d’expérimentation pour vérifier des hypothèses et les exposer au reste du monde. Pendant très longtemps, ce continent n’était pas invité à la table des discussions internationales. Cette Mostra est donc une occasion à ne pas manquer pour entendre ses voix.»
Roberto Cicutto a par ailleurs déploré que «la fête soit gâchée» par l’absence de trois collaborateurs ghanéens de l’équipe de la commissaire générale de l’exposition, qui n’ont pas réussi à obtenir de visa pour entrer sur le territoire italien. Le président de la Biennale voit dans ce regrettable épisode «une contradiction avec le message que la manifestation veut faire passer, celle d’une collaboration entre le Nord, l’Occident et l’Afrique».
Lors de la conférence de presse organisée le 18 mai dernier à l’Arsenale, Lesley Lokko a comparé ce refus de visa à «une politique de l’ombre». Elle a ajouté : «Je n’ai cessé de le répéter depuis le début de ce projet extraordinaire, l’intention de cette exposition n’est pas de remplacer, mais d’augmenter, de s’étendre, et non de se contracter, d’ajouter, et non de soustraire.»
Découvrez le témoignage de Sandrine Porterie qui nous partage son parcours au sein du Groupe et nous plonge au cœur de l’agence d’Aix-en-Provence qu’elle dirige aujourd’hui.