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Le 31 août 2022, après un mois d’effort à maçonner, scier, visser et marteler, le gros œuvre de la « cabane » conçue par l’architecte Jean Bocabeille sur son terrain à Moutiers-Saint-Jean (Côte-d’Or) devrait être achevé. Pour cela, il a reçu l’aide d’une équipe soudée de volontaires comprenant notamment une dizaine d’étudiants de l’Ecole spéciale d’architecture (ESA) à Paris, où il enseigne (voir la liste exhaustive des participants ci-dessous). « Ces jeunes sont très courageux et hyper-motivés d’apprendre », constate le maître d’œuvre et d’ouvrage, qui les loge, nourrit et rémunère à ses frais durant le temps du chantier.
« Ce n’était pas le fort Alamo, compare-t-il, mais Alamano car nous avons tout fait à la main. La preuve que l’auto-construction est accessible à tous. » Walter Froger, diplômé cette année de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais, et ami de l’un de ses trois enfants, confie que « le premier jour, Jean nous a dit ‘Moi, je ne sais pas du tout bricoler’ » - ce qui fait encore rire aujourd’hui ces camarades d’aventure - « mais globalement, nous non plus à ce moment-là ».
Une plateforme à 4 m du sol
Jean Bocabeille est propriétaire depuis 25 ans d’une parcelle en pleine campagne sur laquelle se trouvent les ruines d’une fabrique de tuiles : un four de 10x7 m et une cheminée haute de 15 mètres réalisés en briques. Les années passent et rien ne s’y passe… Jusqu’au jour où il décide de concrétiser ce projet personnel. Son idée consiste d’abord à enlever la végétation qui a poussée sur la voûte du four, puis à consolider les murets situés sur les bas-côtés, afin d’installer par-dessus une nouvelle structure en bois qui servira d’abri.
La plateforme, disposée à 4 m du sol, repose sur 24 points d’appuis dont la surface totalise seulement 42 cm². « On a la sensation de flotter au milieu des arbres », décrit Suphi Zencirkiran, l’un des étudiants à l’ESA. Jean Bocabeille, dont le père avait comme lui le pied marin, file volontiers la métaphore du navire en parlant de « pontons » pour les coursives qui encerclent le futur espace vitré de 35 m². Un petit panneau photovoltaïque et une mini-éolienne disposés au sommet de l’ancienne cheminée pourraient fournir l’électricité nécessaire à la cabane. Le coût total de l’opération est estimé à 40 000 euros.
Des matériaux en circuit court
« L’aspect auto-construction, mais aussi le côté auto-suffisant de ce projet le rendent assez contemporain, estime Sylvain Rodrigues, étudiant à l’ESA. Tout ou presque est issu du circuit court. » En effet, hormis les 500 planches en douglas provenant du Périgord et utilisées pour la charpente, les matériaux se trouvent à quelques kilomètres, voire mètres. Par exemple, les toilettes sèches, appelées familièrement « trône » par l’équipe, sont ainsi enveloppées de briques trouvées sur le site. « Le calepinage a totalement changé par rapport à la maquette faite à Paris, explique Vithushnan Mohanarajah, à la fois élève de Jean Bocabeille et stagiaire au sein de son agence BFV Architectes. A l’atelier, nous avons fabriqué les briques en argile à la taille et au nombre voulus, c’était facile. En revanche sur place, il a fallu faire uniquement avec ce qui existait. »
L’adaptation est l’une des leçons que retiendront les apprentis bâtisseurs. « Recaler un élément au millième de millimètre près sur un logiciel de conception 3D est une chose simple pour un architecte, estime ainsi Lucas Fricheteau. Mais une fois qu’on est dans la position d’un ouvrier sur un chantier, on se rend compte que tout ne peut pas être exactement comme ce qui avait été dessiné. Des ajustements sont possibles lors de la construction. » Sa coéquipière Marie-Alix Martinat apprécie « cette part d’improvisation quand le projet devient concret, sans pour autant dénaturer l’idée de départ ». Comme d’autres, elle dit s’être sentie « libre » d’agir, quitte à se tromper, grâce à la confiance accordée par « le chef d’orchestre » Jean Bocabeille.
La main à la pâte
A quelques jours de la fin de cette aventure, pour laquelle ils réaliseront un rapport de stage commun, les étudiants expriment d’une seule voix la « satisfaction » d’avoir mis la main à la pâte pour bâtir, ensemble, une architecture à l’échelle 1. « On manque de pratique durant nos études, souligne Walter Froger, ça m’a donc beaucoup plu d’enchaîner directement de mon diplôme au chantier. » Ghali Semlali ajoute que, d’ordinaire, « aucun étudiant en architecture n’a l’opportunité d’être constamment avec son professeur, H24, pendant un mois, ni de toucher les matériaux de A à Z. Pouvoir appréhender toutes ces matérialités - pierre, béton, bois, métal - donne des idées pour nos projets futurs. »
Les participants :
Jean Bocabeille, architecte (associé de l’agence BFV Architectes)
Vincent Chevalier, architecte (chef de projet à l’agence BFV Architectes)
Loïc Froger, rédacteur publicitaire indépendant
Walter Froger, diplômé de l’ENSA Paris-Malaquais en 2022
Lucas Fricheteau, Souleymane Khouma, Marie-Alix Martinat, Salvador Mendoza, Vithushnan Mohanarajah, Sylvain Rodrigues, Ghali Semlali, Antoine Solano et Suphi Zencirkiran, étudiants à l’Ecole spéciale d’architecture à Paris