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«Le cinéma appartient à la ville et pas plus qu’il ne l’a précédée, il ne lui survivra : plus qu’une solidarité un destin commun» écrivait le critique et théoricien en la matière, Serge Daney (1944-1992). Et à Paris, quel endroit peut exprimer le mieux cet indéfectible lien entre espace urbain et art cinématographique sinon les Grands Boulevards, univers emblématique de la grande ville du XIXe siècle, où tout se télescope, voire se «cinéscope», et territoire qui a vu naître la première «salle de cinéma» en 1895 : un espace improvisé dans les sous-sols du Grand Café pour la toute première séance de cinéma publique et payante du monde avec au programme «La sortie des usines Lumière». Près de 35 ans plus tard, en 1932, le Grand Rex prenait place sur le même axe haussmannien, en bordure du boulevard Poissonnière.
Le Grand Rex a été créé par le producteur et distributeur de films Jacques Haïk, alors que la Grande Dépression provoquait un fort besoin de divertissement des foules, d’autant plus attirées par le 7e art que les films étaient devenus parlants.
Ainsi est née une génération de cinémas conçus comme des palais urbains, dont le Grand Rex signalé par sa tourelle d’inspiration mauresque qui s’élève jusqu’à 36 mètres de hauteur. Il a été conçu dans le style Art Déco par le duo d'architectes Auguste Bluysen (1868-1952), notamment maître d’œuvre du cinéma Paramount-Opéra voisin, et John Eberson (1875-1954), inventeur de la salle dite «atmosphérique» où décoration, lumière, ventilation doivent donner la sensation au public d’un projection en extérieur. Et ici sous une voûte étoilée, dans une ville chimérique faite de fragments d’architectures diverses (palais vénitiens, églises baroques, haciendas, minarets, etc.), composant un gigantesque caprice architectural.
En 2020, lorsque la ville s’est soudainement figée sous l’effet de la pandémie de Covid-19, la direction du Grand Rex décidait de mettre à profit ce temps suspendu pour lancer le chantier de rénovation de l’enveloppe, inscrite depuis 1981 à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques avec, à la manœuvre, les architectes Grichka Martinetti (agence png) et Stéphane Thomasson, qui ont mené une enquête comme deux détectives opérant par suite de déductions.
Ce qui devait être au départ uniquement un ravalement est devenu un retour aux origines par lequel le bâtiment retrouve son allure de 1932, comme s'il venait de naître... 90 ans après son inauguration.
Le visage du Grand Rex avait subi des transformations ponctuelles dues aux changements de modes et d’usages qui lui donnaient malgré tout une profondeur temporelle. La marquise historique en tôle noire que les architectes ont trouvée sur le chantier a été replacée, restaurée et réadaptée pour alimenter les panneaux numériques. La seconde, ajoutée lors de la transformation en multiplex, a été supprimée. Les architectes ont aussi remis de l’ordre dans l’affichage et la signalétique : repositionnement d’écrans de part et d’autre de la tourelle, créant une axe de symétrie qui renforce le lien entre le boulevard et le bâtiment ; d’autres ont été regroupés, formant un bandeau lumineux sous la marquise. La maçonnerie a été rénovée avec un enduit minéral mat et calepinage de pierres en trompe l’œil. Des sondages stratigraphiques, quelques petits fragments de vestiges, des photos datant de l’Occupation ont finalement révélé que le rouge, couleur associée à l’univers du spectacle, avait recouvert la teinte dorée originelle de plusieurs éléments de modénature et des trois lettres sacrées : REX.
En couronnement de la tourelle, les différences de traitement de ces lettres observées sur les photographies anciennes (police de caractère, positionnement, finition recto-verso pour être vue de tous côtés) ont convaincu les architectes que le dispositif était à l’origine rotatif, les trois lettres éclairées d’une multitude de petites ampoules tournant comme sur un manège au-dessus de la canopée haussmannienne. Touche essentielle, Charles Vicarini a remis tout le bâtiment en lumière, matière première du cinéma et de la ville-lumière.
Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : Le Grand Rex.
Maîtrise d’œuvre : PNG ; Stéphane Thomasson, architectes associés ; Charles Vicarini, concepteur lumière. BET : Maya (fluides), ECMH (stratigraphie).
Entreprises : Orbis (gros œuvre), MGN (serrurerie), Loiseau (couverture), MCE (étanchéité), RITS (staff décoratif), Actif Signal (enseignes), Eiffage (mise en lumière), Beatvisual (écrans numériques).
Montant des travaux : 3,20 M€ HT