En Meurthe-et-Moselle, le tabouret de la flèche de Notre-Dame prêt à rejoindre Paris
Après une opération de montage à blanc achevée le 17 mars à Val-de-Briey, la base de l’émergence emblématique de la cathédrale prendra la route pour rallier le chantier sur l’île de la Cité. Cette première pièce de charpente, réalisée par le groupement de quatre entreprises désignées pour restituer la flèche de Viollet-le-Duc, aura place au-dessus de la croisée du transept d’ici la mi-avril. Soit quatre ans après l'incendie qui a ravagé le monument, le 15 avril 2019.
Marie-Douce Albert
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Quatre entreprises, une seule équipe
Si le travail de taille des pièces de bois se fait dans un grand atelier de Le Bras Frères, à Val-de-Briey (Meurthe-et-Moselle), tout, jusqu’aux tenues des charpentiers, rappelle que la restitution de la flèche est une œuvre collective. Pour réussir ce pari, quatre entreprises habituellement concurrentes se sont en effet constituées en groupement : Le Bras (mandataire), Asselin, Cruard Charpente et (absente sur ce logo), Métiers du bois (MDB).
L’armée des charpentiers
César Sandrin, 23 ans (à gauche) et Hubert Philippon, 19 ans (à droite) sont apprentis. Avec Idriss Sedini, 32 ans, et Calvin Bouttier, 30 ans (au centre), ils sont de l’équipe de charpentiers qui œuvrent à la reconstruction de la flèche de Notre-Dame. Avec la fierté de ceux qui savent qu’ils participent à un chantier hors du commun. «Dans nos métiers, on a plus l’habitude de restaurer. Pouvoir refaire à neuf, c’est rare. Et si nous le faisons avec les techniques anciennes, ce n’est pas pour le folklore mais parce que ça fonctionne. C’est efficace», témoignent-ils.
Echelle 1/2
Pour candidater à l’appel d’offres lancé à l’automne 2021 par l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, le groupement d’entreprises avait dû prouver ses capacités en réalisant une maquette à l’échelle 1/2 d’une pièce du tabouret de la flèche. «Dès cette étape, j’ai voulu que les équipes travaillent ensemble. Pour que la sauce prenne dès le départ entre nous tous», explique Patrick Jouenne, le «gâcheur», comme on appelle traditionnellement le chef de ce chantier.
Géométrie complexe
Poutres diagonales, croix à dévers, goussets, semelles… S’il sera, à terme, dissimulé dans la toiture de Notre-Dame, le tabouret de la flèche (ici en vue 3D) est un assemblage complexe qui permet d’asseoir l’ouvrage au-dessus de la croisée du transept de la cathédrale.
Croix à dévers
Cette structure constituée de poutres à section pentagonale est une des quatre fermes périphériques du tabouret. Elles viennent encadrer les deux grandes diagonales qui, dans le tabouret, forment le support central de la flèche. «Toutes les pièces de ces croix sont différentes car elles doivent permettre de rattraper la géométrie irrégulière des maçonneries sur lesquelles repose le tabouret», explique l’ACMH Rémi Fromont. Dans l'équipe de maîtrise d'œuvre, il en charge de la restitution des charpentes tandis que son confrère Pascal Prunet s'occupe de toutes les parties maçonnées. Responsable du monument, l'architecte Philippe Villeneuve coordonne l'ensemble.
Le charpentier, l'architecte et le général
«Où est Villeneuve ?» A l’appel du général d’armée Jean-Louis Georgelin, l’architecte en chef des monuments historiques Philippe Villeneuve répond : «C’est pour quoi ?». «C'est pour la France !» rétorque l’ancien Chef d’état-major. Mais, ce 16 mars 2023, c’est aussi pour la photo. De gauche à droite : Julien Le Bras, P-DG de Le Bras Frères ; Philippe Jost, directeur général délégué de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris ; Philippe Villeneuve, ACMH en charge de la cathédrale et le général Jean-Louis Georgelin, président de Rebâtir Notre-Dame de Paris.
«Nous avons pris un peu de retard…» La clameur qui jaillit aussitôt vient rappeler à Patrick Jouenne qu’il a prononcé un mot interdit quand on parle du chantier de reconstruction de Notre-Dame de Paris. Mais celui qu’on appelle le «gâcheur», c'est-à-dire le charpentier chef du chantier de restitution de la flèche de la cathédrale, reprend : «… Mais nous allons rattraper ça. Le tabouret que vous voyez aura été monté sur le monument le 15 avril !»
Ce tabouret dont il parle est une pièce monumentale – 15 m de longueur, 13 m de largeur, 6 m de hauteur – qui s’élève sur le terre-plein attenant au grand atelier de l’entreprise Le Bras Frères à Val-de-Briey, en Meurthe-et-Moselle. Cet ensemble de grandes poutres qui se chevauchent, se doublent et se soutiennent porte bien son nom : la partie émergente de la flèche viendra s’asseoir sur cet assemblage complexe pour culminer à nouveau à 96 m dans le ciel de Paris.
Date anniversaire
L’effondrement de cet ouvrage haut, à lui seul, de 66 m, et que l’architecte Viollet-le-Duc avait fiché au-dessus de la croisée du transept au XIXe siècle, avait suscité l’effroi du monde entier alors que l’incendie faisait rage dans la cathédrale, au soir du 15 avril 2019. La date anniversaire, quatre ans après le sinistre, est donc visée pour achever la première étape de la restitution de cette création néo-gothique.
Ce jeudi 16 mars, les charpentiers des quatre entreprises engagées dans la réalisation de la nouvelle flèche - Le Bas Frères donc, mais aussi Cruard Charpente, Asselin et Métiers du bois (MDB) - en sont au montage à blanc. Maintenant que toutes les pièces ont été taillées, il s’agit de vérifier que tout s’emboîte parfaitement. «Nous aurons terminé demain et lundi, on commencera à redémonter», poursuit Patrick Jouenne. Ensuite, poutres, fermes et goussets seront embarqués sur des camions, direction Paris. Il faudra alors répéter les mêmes gestes, opérer les mêmes manœuvres mais cette fois à 30 mètres au-dessus du sol.
Le moment est si symbolique que les responsables de la maîtrise d’ouvrage, l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, et la maîtrise d’œuvre, des élus et le préfet de Meurthe-et-Moselle, Arnaud Cochet, ont fait le déplacement à Val-de-Briey. Sans oublier une foule de journalistes. Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques en charge de Notre-Dame et ce faisant, de son chantier de reconstruction, a un peu la voix qui tremble devant la première preuve de renaissance de la flèche détruite : «Je suis l’ACMH qui a été le plus malheureux du monde quand l’incendie est survenu. Aujourd’hui, je suis le plus heureux du monde. Nous allons rendre au monde cette cathédrale.»
«Gagner ce pari»
Avec la voix forte qui sied à un ancien Chef d’état-major, le général d’armée Jean-Louis Georgelin, président de Rebâtir Notre-Dame de Paris déclarait quelques minutes auparavant : «Nous sommes en train de réaliser quelque chose d’extraordinaire pour la France. Le président de la République a voulu qu’une organisation particulière soit mise en place pour que la cathédrale rouvre en 2024. Tout est fait pour gagner ce pari. L’affaire n’est pas gagnée mais nous y arriverons grâce à votre ténacité !»
Un message d’encouragement adressé aux charpentiers engagés dans le chantier de la flèche et probablement, à travers eux, aux quelque 1000 personnes qui, à travers tout le pays, ont œuvré ou œuvrent encore à la reconstruction du monument. Mais aussi un rappel. Le mort «retard», donc, est interdit.
Découvrez le témoignage de Sandrine Porterie qui nous partage son parcours au sein du Groupe et nous plonge au cœur de l’agence d’Aix-en-Provence qu’elle dirige aujourd’hui.