Les pelles mécaniques ont pris possession du lieu, mais leurs conducteurs ont appris à ne pas déranger le coq et les poules qui continuent à s’ébattre, entre la datcha du gardien et le château.

Sur les barrières du chantier de réhabilitation, les photos des trésors écologiques de la planète signalent l’esprit d’une opération singulière : « Même si le bâtiment absorbe l’essentiel du budget de 6 millions d’euros d’investissement, le sens du projet et les débats qu’il suscite se focalisent avant tout sur le paysage », explique Thomas Sorrentino, chargé de la rénovation du domaine de Longchamp pour la fondation Good Planet, fondée en 2009 par Yann Arthus-Bertrand.
Transfert de concession
Bénéficiaire, depuis cet été, du transfert de la concession de 40 ans signée en 2005 par la ville de Paris, ce dernier a repris le projet abandonné, faute de moyens financiers, par le fond mondial pour la nature (WWF), toujours partie prenante de l’opération et colocataire du lieu. Pour financer la mission d’intérêt général centrée sur l’éducation à l’environnement et à fraternité humaine, Good Planet s’appuie sur un partenaire commercial : Noctis, spécialiste de l'animation événementielle, exploitera le rez-de-chaussée du château avec ses locataires.
Une charte leur imposera la nourriture bio, l’absence de gaspillage et la promotion des valeurs fondatrices de l’opération. Les deux étages présenteront l’exposition vidéo de Yann Arthus Bertrand, inspirée par son film Human, et des oeuvres d’autres artistes engagés dans le sauvetage de la planète et la promotion du vivre ensemble.
Procédures délicates
Pour l’heure, les premiers travaux appliquent le permis de construire de 2009, pendant que la maîtrise d’œuvre paysagère franchit les obstacles administratifs qui doit conduire, en février prochain, à l’approbation d’un permis modificatif : « Nous avons envoyé 20 dossiers », soupire Isabelle Siegel, coordinatrice du projet chez Coloco, rompue à la médiation entre les administrations de la ville et de l’Etat, les associations écologistes et les militants de l'agriculture urbaine… La magie du lieu et le sens social et écologique du projet lui donnent l’énergie nécessaire, aux côtés de Nicolas Bonnenfant, cogérant associé de Coloco.
Le graal paysager se cache derrière le château : matrice des futurs spectacles et de l’écosystème insulaire, une clairière illumine le sous-bois. Avec ses tiges droites, argentées et lisses qui renvoient la lumière depuis le fond de scène, la poignée d’ailantes mérite son surnom de « bosquet icone ».

Visualiser les musiciens calés sous les arbres ne demande guère d’imagination. Pas non plus besoin de réfléchir pour comprendre le sourire de Nicolas Bonnenfant lorsqu’il résume la mission : « Réenchanter le lieu ».
Invitation à l’oeuvre
Associé depuis plusieurs années aux réflexions sur le site aux côtés du paysagiste Gilles Clément, le maître d’œuvre s’engage autour d’une idée chère à ce dernier : « L’invitation à l’œuvre ». Une intervention minimaliste met en valeur les atouts intrinsèques du lieu, pour inciter les usagers à se l’approprier, à l’entretenir et à l’animer dans la durée. Coloco transmet dans cet esprit ses compétences de jardinage à Rudy Masset, régisseur de la fondation.
Quelques lignes directrices structurent le projet : devant le château où une percée dégage la vue vers l’hippodrome de Longchamp et les coteaux de Seine, le potager en permaculture s’étendra sur 161 m2. Les promeneurs resteront à l’écart de l’Est du bois. Des caillebotis protègeront la clairière contre le piétinement. A l’exception des pompiers et des navettes électriques, l’accès privilégiera les marcheurs et les cyclistes. Quatre arbres disparaîtront, au lieu des 11 désignés par le premier permis de construire. Entre le château et les bureaux de la fondation, l’un des sujets rescapés accueillera les visiteurs, avec un banc en arc de cercle autour de son tronc.
Eloge des prototypes
Au fond du bois, l’idée d’évolutivité se matérialise déjà, en ce début octobre, dans la réouverture piétonne des larges cheminements tracés au XIXème siècle par Jean-Charles Alphand, le paysagiste qui a transfiguré Paris aux côtés du baron Haussmann : tant que les usages ne justifient pas le retour au gabarit initial, le sentier d’1 mètre de large suffit. Devant le château, le « jardin de pavés » développera la même idée : les paysagistes se donnent le temps de l’observation des usages pour faire évoluer la répartition entre pavage et végétation. « L’urbanisme ignore la notion de prototype, ce qui provoque trop souvent des catastrophes », commente Nicolas Bonnenfant.
L’ouverture au public, en juin, lancera la phase de l’élaboration d’un projet pédagogique, auquel devrait s’associer Gilles Clément et l’école Du Breuil, établissement de la ville de Paris spécialisé dans le paysage. Les bénéfices que dégagera l’exploitation conditionneront le calendrier des projets de mise en sécurité et d’aménagement de l’ancien pigeonnier et du canyon rocheux lové au fond du bois. L’aventure ne fait que commencer.