"Vous avez dit Grenelle de l’architecture ? Je dirai un Beaugrenelle de l’architecture!" par Jean-Philippe Hugron, doctorant à l'Institut d'Urbanisme

Denis Dessus, Isabelle Coste, David Orbach posent une question légitime. Pourquoi donc des tours? Valeur d'usage et valeur symbolique se télescopent. Le référent historique, les Etats-Unis, souligne l'échec de l'expérience française. L'argumentaire est recevable, les questions justifiées. Mais le débat n'est pas...n'est plus là. Il ne doit pas être là!

Je m'élève. "Les gens se sentent mal dedans et les trouvent vilaines". Ouvrir une opinion sur une telle affirmation, au passage, fausse et polémique, ne présage pas une bonne réception de l'argumentaire mis en avant. Les vérités se mêlent trop souvent aux clichés. Le débat en est presque discrédité.

Les tours se trouvent au coeur d'une tension entre l'habitant et le "co-habitant". Vivre en hauteur est pour beaucoup un choix de vie, apprécié, comportant toutefois quelques inconvénients. Parmi eux : les charges. Une architecture vieillissante, une réglementation incendie contraignante, obligent des surcoûts indéniables.

En face, ou plutôt, en bas...dans un coin...forcement à l'ombre d'une tour... le "co-habitant". "C'est moche!" s’insurge-t-il. "Les tours c’est de la merde en barre !".

… la faute à qui ? Sûrement à ces architectes sans goût !

L’architecture moderne ou contemporaine n’est de toute façon pas appréciée. En tour, en pyramide, en cube évidé, en tripode, en quadrilobe, en œuf,… c’est "moderne". Ce mot n’a jamais sonné comme un compliment. Je me rappelle aussi une polémique récente visant l’immeuble de logements réalisé par Herzog et de Meuron, rue des Suisses. Depuis mon nid d’aigle je ne peux (heureusement ?) le voir ! 6 étages, de quoi se fondre dans la masse ! Et puis "ce truc vert, on appelle ça de l’architecture ?!". Dixit Nicolas S. Je ne peux pas non plus distinguer le plug-over de Jakob et Mac Farlane à l’horizon... trop bas! Et pourtant…si polémique !

Et puis les tours…expression de la mondialisation… "toutes les mêmes !". Mais qui peu encore sérieusement s’émouvoir de l’absence de spécificité locale dans les objets extraordinaires. Les palais "beaux arts" et autres opéras laissent déjà cette fade sensation d’un "déjà vu". Aussi j’ai vu Vienne à Odessa, et Paris à Rio. L’ancienneté du processus, ne doit certes pas nous affranchir d’une réflexion. Mais épargnons la tour. Ni plus, ni moins que le musée, le showroom, le bureau, la maison… la tour comme l’architecture contemporaine est souvent interchangeable, parachutable.

L’architecture n’est donc pas le problème de la tour. Le problème de la tour c’est l’urbanisme. Aussi le débat ne porte pas sur l’architecture verticale mais sur l’urbanisme vertical. Dès lors la question symbolique s’effacerait. Un urbanisme de tour n’appelle qu’à la banalisation de la hauteur. Qui prête une attention particulière à cet immeuble de 5 étages deux rues à gauche ? La question du symbole n’est posée que parce que nous ne tolérons pas l’émergence du banal à l’horizon dans nos villes où la verticalité n’était que l’apanage de l’exceptionnel. Alors on pose la question du symbole.

Aussi la tour ne doit pas être considérée comme un objet mais comme un parti pris urbain. New York ou Hong Kong sont fascinantes parce qu’elles ont un urbanisme vertical. C’est un appel au canyon. Continuons.

Voyageons debout. Direction Shanghai. Pudong. Une tour, une parcelle. Une tour, une parcelle… une tour…une autre… entre les deux…jardins, accès pompier, rond point, parking… aucune mitoyenneté. L’objet est posé au milieu de sa parcelle. Urbanité zéro. Le sol naturel pourrait être une dalle, et la rue n’est pas une rue… c’est une route…

Alors penser le rapport à la rue. Oui ! Leitmotiv des architectes "pro-tours". Mais au-delà ne faudrait-il pas penser la mitoyenneté, la cohérence et l’harmonie d’un espace. La relation entre objets est primordiale dans l’impression d’urbanité.

Aujourd’hui les tours sont posées et la logique de l’objet célibataire ne va pas dans le sens d’un urbanisme vertical. Aussi Pudong ou La Défense ne sont qu’une collection de bibelots ou de flacons où chaque projet de tour se présente comme autant de prothèses urbaines palliant les maux de la ville contemporaine… La tour à en croire politiques, urbanistes et architectes aurait une vocation médicinale et des vertus curatives. Matin, midi et soir. Des ateliers de réflexions sur la hauteur sont nés…des pansements aux portes de Paris...

Isolées (le pluriel de cet adjectif sera toujours amusant), on leur cherche une valeur allusive. L’idée d’un urbanisme vertical n’affleure jamais. Et c’est in fine l’interrogation du sens qui revient. Ces tours, ces événements constructifs au détour d’un plat de nouilles consacreront à terme une surabondance événementielle…et toute portée symbolique disparaîtra. Et de nous plaindre encore de l’insignifiance de l’architecture. Une solution ? Plus de formes ! Soyez donc plus rondes ! Plus hanchues ! Exhibez vos bourrelets ! (Mesdames, je ne le dirai pas deux fois !) Vous ferez sens ! Et la logique de l’objet revient…encore et toujours… Un cubocube cubique à base carrée servira de Signal à la Défense.

Mais après tout…peut-on aussi présager du sens et de la symbolique d’un édifice ? Notre désenchantement fait peut-être lui-même sens mais ne dois pas dicter cette attitude mythomane et cette quête de signification dans le moindre marc de café. Laissons les générations futures interpréter nos actes et nos vénus de Willendorf.

Occupons-nous effectivement de nos vies et de nos villes et intéressons-nous à la "tour dans la ville". Rejetons la logique de l’objet qui nie celle de l’ensemble. La verticalité n’est pas une question d’objet ou de symbolique, ni même de "contexte" ou de spécificité. Et même plus qu’une question d’urbanisme, elle est une question d’urbanité.

Jean-Philippe Hugron est doctorant à l'Institut d'Urbanisme et travaille sur "la tour dans la vie".

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