Villes et ports, l'histoire d'une cohabitation

L'équilibre entre le développement harmonieux de nouveaux quartiers et le maintien d'activités navales reste délicat.

 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
A Marseille, la ville ne cesse d’avancer ses pions vers le port, comme les tours CMA-CGM de Zaha Hadid (au centre, au 2e plan) ou La Marseillaise de Jean Nouvel (au 1er plan).

Les arguments des promoteurs sont affûtés comme l'étrave d'un paquebot sorti des chantiers navals de Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique : « Vue imprenable sur la mer, logements nouvelle génération… » Que l'on soit à Marseille, au Havre (lire p. 70) ou à Hambourg (Allemagne), le futur de la cité s'inscrit sur les traces du passé portuaire.

L'opportunité est grande d'investir ces espaces idéalement situés en cœur de ville, à proximité immédiate du fleuve ou de la mer. Aux Etats-Unis, Boston et Baltimore ont ouvert la voie à la reconquête des friches, inaugurant dès les années 1950 le modèle du waterfront, qui a ensuite inspiré les villes britanniques de Londres ou de Liverpool pendant la décennie 1980. Puis ce fut au tour de Barcelone, en Espagne, et de Gênes, en Italie, une décennie plus tard, de montrer que des projets d'envergure - le Port Vell d'Oriol Bohigas et le Porto Antico de Renzo Piano - pouvaient changer la physionomie d'une ville.

Friches explorées sous toutes les latitudes. La « conteneurisation » de l'économie mondiale a accéléré l'éloignement des ports, à la recherche d'espace pour accueillir des géants des mers comme le Saint-Exupéry, le plus grand porte- conteneurs battant pavillon français avec ses 400 m de long. Dans les centres urbains, les friches libérées sont désormais explorées sous toutes les latitudes. « On a longtemps fait la ville à la place du port, plutôt que la ville avec le port, regrette Olivier Lemaire, directeur général de l'Association internationale des villes portuaires (AIVP) qui œuvre pour un dialogue constructif entre les différents acteurs (élus, administrations, entreprises… ). De nouveaux équipements culturels, sportifs ou touristiques ont orienté ces zones urbaines vers d'autres logiques de développement. Pour autant, certaines fonctions portuaires réussissent à se maintenir à proximité des quartiers créés. La difficulté est alors de rendre tolérables les nuisances. Depuis quelques mois, ce sont les paquebots de croisière qui sont entrés dans la ligne de mire ! » Ces navires fonctionnent au fioul lourd, issu des déchets de la distillation du pétrole. Leurs émissions d'oxyde de soufre, de dioxyde d'azote et de particules fines sont hautement nocives pour la santé. Même à quai, leurs moteurs tournent pour continuer d'alimenter les services à bord. Les habitants des quartiers voisins commencent donc à faire entendre leur voix. « Le meilleur endroit pour attraper le cancer », a-t-on pu lire sur un graffiti barrant une affiche qui vantait la qualité de vie dans les nouveaux appartements du quartier marseillais de La Joliette.

Mises sous pression, les autorités locales réagissent. Le terminal des ferries va ainsi être repoussé plus au nord de la cité phocéenne, et la compagnie La Méridionale investit pour que ses navires puissent être reliés à l'électricité à quai.

Le partage du territoire est facilité par le dialogue établi entre les autorités urbaine et portuaire.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 19224_1171153_k3_k1_2751161.jpg PHOTO - 19224_1171153_k3_k1_2751161.jpg

Mais le paradoxe demeure : n'est-il pas étrange de concevoir des quartiers vertueux, comme l'îlot démonstrateur d'Eiffage Smartseille, à quelques encablures de villes flottantes consommant 60 tonnes de fioul par jour ?

Cette difficile cohabitation montre les limites d'un développement urbain apaisé à proximité d'activités productives. Sur ce front mouvant d'une ville qui avance et d'un port qui recule, nombreuses sont pourtant les cités qui tentent de dépasser la création de marinas privées pour promouvoir une mixité fonctionnelle préservant emplois et mémoire du lieu. Car les atouts d'un port urbain sont nombreux. Le transport de pondéreux et de marchandises par voie d'eau économise ainsi le va-et-vient de nombreux camions. C'est le choix de villes fluviales comme Paris, Strasbourg (lirep. 72 ) ou Bruxelles (Belgique). La réduction de l'impact devient alors une priorité, et une collaboration entre autorités portuaire et urbaine facilite le partage du territoire.

Besoins des habitants. Ces échanges gagnant-gagnant sont la règle à Saint-Nazaire, où le récent dévoiement du boulevard des Apprentis libère de l'espace pour le montage des paquebots, crée un itinéraire adapté aux flux logistiques et répond aux besoins des habitants limitrophes. « Nous allons profiter de cet aménagement pour créer un parc en frange des chantiers navals et du quartier de Méan-Penhoët, explique Léa Hommage, paysagiste associée, cogérante de l'agence nantaise La Forme et l'Usage, alias Lalu (lauréate des Albums des jeunes architectes et paysagistes en 2018). Un belvédère offrira des vues spectaculaires sur le montage des navires et le grand portique rouge. Nous souhaitons concevoir un lieu vivant que pourront partager habitants, salariés du chantier et visiteurs. » Toujours à Saint-Nazaire, place nette a été faite dans le quartier du Petit Maroc. La destruction de bâtiments vétustes dégage de nouvelles perspectives sur l'estuaire de la Loire. Une réflexion est en cours pour faire de cet endroit un lieu festif.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 19224_1171153_k4_k1_2751164.jpg PHOTO - 19224_1171153_k4_k1_2751164.jpg

Cette mixité d'usages a toutefois du mal à s'exprimer à grande échelle, restant souvent un élément de langage. On conserve ici la toponymie qui fait chic tels ces « Docks » transformés à toutes les sauces, du Havre à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Ailleurs, c'est la préservation d'éléments d'architecture qui sert d'alibi pour revendiquer l'identité portuaire de projets 100 % urbains. A Marseille, la rénovation prochaine du hangar J1, vestige du passé industrialo-portuaire de la ville, en temple du commerce et des loisirs, par l'agence Reichen & Robert, illustre cette tendance. Tout près de là, Les Terrasses du Port représentent pourtant un exemple de mixité d'usages, combinant parking pour les usagers des ferries, centre commercial et bel espace de vie sur le rooftop. Depuis le toit, le panorama s'affranchit visuellement de la barrière sécurisée, quasi infranchissable, que constituent les installations portuaires le long du littoral nord marseillais. La conquête urbaine de Marseille sur les friches se poursuit justement dans ce sens, dans le cadre de l'opération Euroméditerranée 2.

Chargée de l'étude urbaine et paysagère de ce territoire de 170 ha, l'équipe de maîtrise d'œuvre, pilotée par l'architecte-urbaniste François Leclercq, a notamment imaginé la création d'un futur parc inondable des Aygalades et la possibilité d'une promenade en corniche avec panorama sur la rade.

Toit-paysage. A Stockholm et Istanbul, des infrastructures portuaires nouvelle génération participent même à créer des espaces de vie. Dédié aux liaisons vers la Finlande et les pays baltes, le Varta Terminal, conçu dans la capitale suédoise par C. F. Møller Architects, est doté d'un toit conçu comme un paysage. Escaliers, niches et recoins invitent passagers et habitants à la flânerie en profitant de la vue sur l'archipel de Stockholm. En Turquie, le projet du terminal de Galataport innove, quant à lui, avec d'astucieuses passerelles hydrauliques amovibles escamotables dans le sol. Entre chaque escale, l'espace ainsi libéré profite aux habitants.

Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !