«Niemeyer entretenait un rapport amoureux avec la France. C’était un choix et un désir de s’y installer : la vie parisienne le charmait au plus haut point», raconte l’historien Benoît Pouvreau. Le livre qu’il signe avec sa consœur Vanessa Grossman aux éditions du Patrimoine (25 euros), «Oscar Niemeyer en France. Un exil créatif», se lit comme un polar. Entre réseaux politiques et amicaux, le parcours du Brésilien dans l’Hexagone, qui compte le plus grand nombre d’œuvres en dehors de son pays d’origine, est ponctué de maints rebondissements.
Auréolé par l’incroyable aventure de Brasilia - mais sans jamais se départir de sa modestie naturelle - Oscar Niemeyer (1907-2012) est accueilli à bras ouverts à Paris après le coup d’Etat militaire de 1964. L’exposition qui lui est consacrée au musée des Arts décoratifs en 1965 lui apporte ses premiers projets : la ZUP de Grasse (Alpes-Maritimes) ou le centre spirituel de la Sainte-Baume (Var), qui ne verront cependant pas le jour. En coulisse, un personnage-clé, Jean Nicolas, membre de la commission architecture et urbanisme du Comité central du Parti communiste français (PCF), manœuvre pour fournir des commandes à Niemeyer, à commencer par le siège du parti, place du Colonel-Fabien, à Paris XIXe. Dès 1967, un décret présidentiel permet à l’architecte d’ouvrir une agence sur le territoire national.

En 1971, au moment de l’inauguration de la première tranche de son siège, le PCF se sent redevable à l’égard de Niemeyer, car le Brésilien a offert ses honoraires et le chantier est bloqué faute d’argent. Le Parti lance alors un appel à tout le réseau de la France communiste. De là, naîtront la Maison de la culture du Havre (1971-1982), en Seine-Maritime, et la Bourse du travail de Bobigny (1967-1978), en Seine-Saint-Denis, ou les projets non réalisés des ZAC de Dieppe (Seine-Maritime) et de Villejuif (Val-de-Marne) et d’une tour de bureaux à La Défense (Hauts-de-Seine) pour la Fédération mondiale des villes jumelées.

Dès le départ, le duo d’historiens a fait le choix de briser le mythe de l’architecte démiurge, qui compose seul, pour développer une galerie de portraits de ceux qui prenaient concrètement le relais. Ils se sont attachés à identifier les collaborateurs, indispensables à un architecte étranger. «Niemeyer était souvent en retard, il courait entre l’Algérie, l’Italie, le Portugal et la France. Comme il ne prenait pas l’avion, il donnait rendez-vous en juin mais il arrivait en juillet!» rapporte Benoît Pouvreau. Parmi ces précieux alliés, Jean-Maur Lyonnet, architecte d’opération de la seconde tranche du siège du PCF, de Bobigny et du Havre, qui parvient même à construire le siège du journal « l’Humanité » (1987-1989) à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) sans que le Brésilien n’y mette une seule fois les pieds.

Fourmillant de détails, l’ouvrage révèle aussi les contradictions politiques de Niemeyer qui n’hésite pas à imaginer le siège de la régie Renault à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Sur la presqu’île de Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes), il construit une villa pour les éditeurs italiens Nara et Giorgio Mondadori (1968-1972), face à la Méditerranée. Dans la foulée, à quelques mètres de là, il élève les huit duplex de la luxueuse et méconnue résidence Saint-Hospice. Richement illustré, le livre donne aussi l’occasion d’admirer les dessins si simples et évocateurs du maître ainsi que des photographies d’époque, notamment celles prises par Michel Moch que Niemeyer a rencontré à Paris et emmené dans le monde entier.
