"Venise" par Jacques-Franck Degioanni

On connaît l'histoire de ce critique littéraire qui préférait ne pas lire les ouvrages dont il devait rendre compte par peur de se laisser influencer par eux... Alors, pour ce qui me concerne, je n'ai pas mis les pieds à la Biennale d'architecture de Venise. Ce qui ne m'empêche pas d'en parler. Et ce que j'en entends dire ici ou là, et même ce que j'en lis dans la presse, ne me fait rien regretter.

"Ville, architecture et société" en était le thème. Mais peut-on imaginer intitulé plus vague ni plus général? La moitié de la population mondiale vit aujourd'hui en zone urbaine et, d'ici 20 ans, cette proportion pourrait atteindre 75% entend-on encore souvent dire. C'est probablement vrai. En tous les cas c'est vraisemblable, ce qui n'est pas toujours la même chose, on le sait. Mais comment "faire la ville" et surtout imaginer - et construire - des villes (enfin) vivables? On peut à loisir rechercher des exemples et des contre-exemples pour tenter d'en extraire ce qu'ils peuvent avoir de meilleur : Shanghai, Bombay, Tôkyô, Mexico, Bogota, Le Caire, Londres, Paris, New York, etc. Architectes et urbanistes s'en chargeront. Et qu'ils soient exhortés à s'en soucier me semble être le minimum qu'ils puissent faire.

Et puis il y a cette part secrète de la ville que semble seule pouvoir capter la littérature : "Le Golem" de Meyrink, "Poétique de la Ville" de Sansot ou "La forme d'une ville" de Gracq, nous en apprennent souvent autant sur Prague, Paris et Nantes que bien des histogrammes et de savantes études. Sans oublier les théories situationnistes propres à "l'urbanisme unitaire" : "dérive", "constructions de situations", "plaques tournantes psycho-géographiques", etc. qui sont loin d'avoir rendu tout leur sel et produit tous leurs effets.

C'est Roland Barthes qui, je crois, faisait remarquer que "texte" et "tissu" procédaient de la même étymologie. C'est bien que le tissu urbain est à lire entre les lignes. Et c'est sans doute à cette approche intime du texte de la ville que la grosse artillerie culturelle de la Biennale échoue à donner sens.

Jacques-Franck Degioanni est Chef de rubrique "architecture" au service "architecture-technique" du Moniteur.

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