L’article L.111-5 du Code de l’urbanisme, issu de la loi SRU du 13 décembre 2000, a pour but de faire obstacle à la théorie de la « contractualisation fortuite » des règles d’urbanisme dans les lotissements. Cette théorie consiste à reconnaître une valeur contractuelle à des dispositions d’urbanisme, issues d’un document d’urbanisme tel qu’un POS/PLU ou d’un règlement de lotissement, dès lors qu’elles sont reproduites ou mentionnées dans le cahier des charges ou les actes de vente.
L’application de la contractualisation fortuite des règlements d’urbanisme contrariait en partie la portée de l’article L.315-2-1 du Code de l’urbanisme, issu de la . Celui-ci prévoit que, lorsqu’il existe un plan d’occupation des sols (aujourd’hui un plan local d’urbanisme), les règles d’urbanisme contenues dans les documents des lotissements cessent de s’appliquer au terme d’un délai de dix ans à compter de la délivrance de l’autorisation de lotir, sauf lorsqu’une majorité qualifiée de colotis s’y oppose.
Articulation avec les documents d’urbanisme
Avec l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme, la volonté du législateur est claire : il s’agit d’éviter que l’application de réglementations anciennes ne rende inconstructibles les terrains lotis, lorsque les règles du lotissement sont en contradiction avec les dispositions issues du POS ou du PLU. La jurisprudence de la Cour de cassation avait ouvert la voie.
Dans un premier temps, la 3e chambre civile avait estimé (1) que les règles devenues caduques selon l’article L.315-2-1 du Code de l’urbanisme demeuraient opposables aux colotis, dès lors qu’elles étaient mentionnées dans les actes de vente. L’application de ce critère, strictement formel, a abouti à un paradoxe : l’administration pouvait délivrer un permis de construire susceptible de méconnaître un cahier des charges. Or, dans la mesure où un permis de construire est délivré sous réserve des « droits des tiers », la construction, bien qu’autorisée, pouvait être paralysée par un coloti agissant devant le juge judiciaire.
Dans un second temps, la Cour de cassation (2) a considéré qu’il appartenait aux juges du fond de vérifier si les auteurs avaient entendu, par la reproduction d’un document d’urbanisme dans les actes de vente ou les cahiers des charges, conférer à ces documents un caractère contractuel. La Cour posait ainsi le principe selon lequel la contractualisation des règles d’urbanisme n’est pas présumée mais doit se prouver.
La nouvelle rédaction de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme, issue de la loi SRU, confirme et précise cette évolution jurisprudentielle : les colotis peuvent s’imposer mutuellement, de manière contractuelle, des restrictions de droits de propriété résultant de règles d’urbanisme spécifiques. Mais celles-ci doivent faire l’objet de dispositions explicites du contrat et ne peuvent avoir un caractère implicite.
Toutefois, l’art. L.111-5 du Code de l’urbanisme, en posant une sorte de présomption légale du caractère informatif de la reproduction ou de la mention du document d’urbanisme ou du règlement du lotissement dans un cahier des charges, un acte ou une promesse de vente, est loin de régler tous les problèmes. Qu’en est-il notamment de la preuve de l’intention des parties ? Les premières décisions prises sur le fondement de l’art. L.111-5 du Code de l’urbanisme étaient donc très attendues.
Une jurisprudence littérale
Deux arrêts de la 3e chambre civile de la Cour de cassation du 7 décembre 2005 (nos 03-18845 et 03-14684), d’importance inégale, donnent une première indication sur la lecture faite par le juge du nouvel article L.111-5 du Code de l’urbanisme.
Subdivision de lots
Dans la première espèce, des co-lotis avaient divisé leur lot pour en donner la moitié à leur fils. Celui-ci y a édifié une maison alors que le règlement du lotissement, interdisant la subdivision, avait été reproduit dans le cahier des charges adopté en 1978 (donc avant l’entrée en vigueur de l’art. L.111-5).
La cour d’appel de Paris a considéré que le règlement du lotissement n’ayant pas été contractualisé, la règle prohibant la subdivision des lots était devenue caduque. En confirmant cet arrêt, la Cour de cassation reconnaît le pouvoir souverain des juges du fond qui peuvent écarter la valeur contractuelle d’un règlement inséré dans le cahier des charges d’un lotissement.
La Cour de cassation rappelle que la rédaction de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme n’interdit pas la contractualisation du règlement du lotissement, à condition que les parties ne se contentent pas de reproduire le règlement, mais affirment au contraire clairement leur volonté de contractualiser ces règles. La solution de cette première décision n’est donc pas surprenante au vu de la lettre de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme.
Construction en zone non aedificandi
La portée du second arrêt de la Cour de Cassation est plus importante. Dans cette espèce, le propriétaire d’un lot situé dans un lotissement approuvé par arrêté préfectoral avait édifié une construction hors de la zone bâtissable de son lot, telle qu’elle était délimitée par les prescriptions du cahier des charges et du plan du lotissement annexé.
La Cour de cassation a raisonné en deux temps : pour que l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme puisse s’appliquer, il fallait démontrer, d’une part, l’existence d’un règlement ou d’un plan d’urbanisme préexistant et, d’autre part, la mention ou la reproduction de ces documents dans le règlement du lotissement.
Une fois ces deux conditions réunies, il était possible d’écarter la valeur contractuelle du document reproduit ou mentionné dans le document contractuel.
La Cour de cassation a exclu qu’un cahier des charges approuvé en 1954 puisse être qualifié de règlement caduc au seul motif de son approbation par l’administration à un moment où la notion actuelle de lotissement n’existait pas encore. Elle a jugé que « ni les dispositions de l’article 8 du cahier des charges, ni le plan annexé du lotissement auquel cet article se réfère, ne constituant en eux-mêmes un règlement du lotissement ou un document d’urbanisme préexistant susceptible d’être reproduit dans un cahier des charges, l’article L. 111-5 du Code de l’urbanisme n’est pas applicable ».
Cette position, qui respecte la lettre de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme, doit être approuvée d’un strict point de vue juridique. Toutefois, comme le relève Patrick Cornille (3), cet arrêt est critiquable car, avant 1976, les cahiers des charges et les plans des lotissements étaient approuvés par les services préfectoraux. Ils représentaient, en eux-mêmes, le « règlement » et le plan d’urbanisme du lotissement qu’ils régissaient : ainsi préfiguraient-ils les POS. La Cour a fait fi de ces considérations et a appliqué strictement les dispositions de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme.
Conséquences de l’ordonnance du 8 décembre 2005
L’ordonnance du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme modifie t-elle le principe posé par l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme ?
Nouvelle définition du lotissement
Ce texte substitue à l’autorisation de lotir un permis d’aménager et définit le lotissement comme « l’opération d’aménagement qui a pour objet ou qui, sur une période de moins de dix ans, a pour effet la division, qu’elle soit en propriété ou en jouissance, qu’elle résulte de mutations à titre gratuit ou onéreux, de partage ou de locations, d’une ou de plusieurs propriétés foncières en vue de l’implantation de bâtiments ».
Cette définition est sensiblement différente de la précédente, malgré le rapport au président de la République qui proposait de ne pas la modifier. Si le but de la division foncière (l’implantation de bâtiments), le délai de la division (période de moins de dix ans) et ses modalités (division en propriété ou en jouissance, résultant de mutations à titre gratuit ou onéreux, de partage ou de locations) demeurent inchangés, deux modifications importantes méritent d’être soulignées : le support de la division et le nombre de terrains issus de la division.
La définition du lotissement posée par le nouvel article L.442-1 diffère de la précédente définition du lotissement en visant la division « d’une ou plusieurs propriétés foncières ». Ainsi, il sera possible de réaliser un lotissement sur la base d’une procédure unique lorsque plusieurs propriétés foncières distinctes sont concernées.
Avec l’actuelle définition du lotissement, il est nécessaire d’obtenir autant d’autorisations de lotir qu’il y a de propriétés foncières distinctes à diviser, même appartenant à un même propriétaire, si elles ne forment pas un tènement unique (ensemble de terres d’un seul tenant, par opposition à des parcelles uniques) parce que non contiguë.
Principe inchangé
Si la définition du lotissement est modifiée, les règles du lotissement fixées par l’article L.111-5 et les articles L.315-2-1 et suivants du Code de l’urbanisme (repris par les articles L.442-9 du même Code issus de l’ordonnance du 8 décembre 2005) ne sont pas pour autant bouleversées.
En effet, l’article L.442-9 confirme l’article L.315-2-1 quant à la caducité des règles d’urbanisme contenues dans les documents approuvés d’un lotissement lorsque ce dernier est couvert par un PLU ou un document d’urbanisme en tenant lieu.
Une majorité qualifiée de colotis peut néanmoins en demander le maintien et contraindre ainsi l’autorité compétente à ne pouvoir passer outre cette opposition qu’après enquête publique.
L’ordonnance du 8 décembre 2005 ne modifie pas les dispositions de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme. Toutefois, dans la mesure où cet article est consacré uniquement au lotissement, sa place à la suite des articles L.442-9 et suivants du Code de l’Urbanisme aurait sans doute été préférable.