Le courant passe. « Peu de sujets réunissent autant que les transports », se réjouit Jean-Marc Zulesi, rapporteur Renaissance de la proposition de loi sur les Services express métropolitains (Serm), approuvée cet été en première lecture à l’Assemblée nationale. Le 16 octobre au Sénat, son intervention a symbolisé le passage de relais entre les deux chambres, unies autour de l’idée d’accélérer le déploiement des services express régionaux métropolitains (Serm).
Des Ecologistes aux Républicains
Rapporteur du budget des transports à la chambre haute, Philippe Tabarot (Les Républicains) énumère les fondements de l’élan rassembleur suscité par ce texte : « Désenclavement des bassins de population ; décongestion de la ville dense ; mobilité décarbonée ; pouvoir d’achat ; santé publique… ».
La symbolique de l’unité a traversé tout le colloque du 16 octobre, impulsé par le sénateur écologiste du Bas-Rhin Jacques Fernique, avec la contribution de l’association Objectif RER métropolitain : entre régions et métropoles, entre villes et campagne, entre vélos et trains, entre usagers et exploitants, entre société du grand Paris et SNCF, et dans un éventail de sensibilités qui s’étend des écologistes aux Républicains…
De la SNCF à la SGP
Appelée à se transformer en Société des grands projets si les sénateurs le confirment, la Société du Grand Paris répond présent : « Il ne s’agit pas de reproduire le Grand Paris Express. Mais notre expérience constitue un bien public à la disposition des territoires », proclame Anne-Céline Imbaud de Trogoff, directrice exécutive du développement des transports territoriaux de l’Etablissement public, déjà associé aux études en vue du montage des RER des Hauts-de-France et du Grand Est.
Malgré le démarrage chaotique du Réseau express métropolitain et européen (Reme) de Strasbourg, SNCF Réseaux s'engage : « Avant l’infrastructure, la robustesse de l’exploitation constitue notre priorité », affirme Thomas Allary, directeur du programme Serm.
Du train au vélo
Le service prime sur le mode. Même si le ferroviaire y joue les premiers rôles, le Serm intègre le vélo, les cars routiers et le covoiturage : ces principes énoncés par la proposition de loi rassemblent les parties prenantes. Au-delà commence le génie propre à chaque territoire, ce qui justifie l’enthousiasme exprimé par David Valence, président de la commission d’orientation des investissements : « Les Serm peuvent nous sortir du XIXe siècle, quand l’intensité ferroviaire s’est concentrée sur Paris. La démographie tirée par les métropoles régionales a besoin d’une traduction dans la carte du rail ».
L’appétence dépasse les 13 territoires annoncés le 25 septembre par le président de la République. Carte à l’appui, le président d’Objectif RER métropolitains Jean-Claude Degand le montre : près de 30 bassins de mobilité se mettent aujourd’hui en ordre de bataille. « N’écartons aucun projet d’emblée », demande le porte-parole de l’association.
Des métropoles aux agglomérations moyennes
Trait marquant des débats du 16 octobre, l’entrée en scène des agglomérations moyennes a déclenché ce cri du cœur de Michel Caniaux, vice-président de l’association Altro qui porte le projet centré sur La Rochelle : « Je craignais un domaine réservé aux plus grandes métropoles. Vous m’avez rassuré ».
L’expérience de la métropole bordelaise stimule les parties prenantes des Serm : « L’intensification des circulations s’est déjà traduite par 136 trains supplémentaires par semaine à Bordeaux, depuis 2021. Sous la pression de la demande, nous en rajouterons 46 l’an prochain », annonce Claude Mellier, vice-présidente de Bordeaux métropole en charge des infrastructures de transport routières et ferroviaires.
Attention au fret
La capitale de la Nouvelle-Aquitaine suit le scénario optimal recommandé par Objectif RER métropolitains : commencer par un saut d’offre avec le réseau existant, tout en lançant les études de nouvelles infrastructures qui donneront corps au service. « Un millier de contributions au débat public a stimulé l’élan des usagers et orienté la physionomie du projet, en particulier l’emplacement des arrêts », témoigne Claude Mellier.
Ce déploiement progressif met la capitale de la Nouvelle-Aquitaine en face d’un des obstacles majeurs, également ressenti dans la métropole lilloise par Franck Dhersin, ancien vice-président des Hauts-de-France chargé de la mobilité : « Très vite, on n’arrivera plus à concilier fret et voyageurs ».
Dimensionner pour le moyen terme
Partie prenante de l’élan d’enthousiasme, la fédération nationale des usagers du transport (Fnaut) identifie plusieurs points de vigilance : « A quoi le statut légal de Serm donnera-t-il droit ? », s’inquiète Alain Roux, référent de l’organisation sur ces projets.
Nourri par le cisaillement des voies aux extrémités de la ligne Libourne-Arcachon, le dimensionnement des investissements préoccupe également le porte-parole des usagers : « Les travaux d’aujourd’hui sont-ils compatibles avec la fréquence du quart d’heure espérée à l’issue du projet » ? Alain Roux alerte également les urbanistes, face à la tentation de l’étalement urbain qui découlerait du raccourcissement des temps de trajet entre les villes centre et leur arrière-pays.
Mur budgétaire
Face à la barrière de l’Article 40 de la constitution qui interdit à la future loi de programmer de nouvelles dépenses budgétaires sans contrepartie, la principale source d’inquiétude concerne les contributions de l’Etat : « Rien dans le projet de loi de finances pour 2024, et 765 M€ sur cinq ans, dans le cadre des contrats de plan en cours de négociation », tacle la députée écologiste Christine Arrighi…
« Il manque un zéro », abonde le sénateur centriste du nord Franck Dhersin. Ancien directeur des relations institutionnelles du groupe Vinci, ce parlementaire n’hésite pas à lorgner sur les poches des concessionnaires autoroutiers. De son côté, Philippe Tabarot plaide pour un rééquilibrage de l’affectation des 60 Mds€ prélevés par l’Etat sur les mobilités.
Plaidoyer pour le versement mobilité
Vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg chargé des mobilités, Alain Jund supplie les parlementaires : « Contrairement à l’Ile-de-France, nous ne disposons pas de l’arme fatale des Jeux olympiques pour obtenir un déplafonnement du versement mobilité. Je vous invite à avancer sur ce point », plaide l’élu écologiste.
Faute de traçabilité, les 100 Mds€ promis au ferroviaire par le gouvernement ne rassurent guère. « La règle d’or du désendettement de SNCF Réseaux tue les possibilités d’investissement. Nous sommes tous d’accord : les Serm font rêver, mais saurons-nous mener 10 projets d’un coup ? Attention à la déception », prévient le sénateur socialiste de Meurthe-et-Moselle Olivier Jacquin.
Optimisme de la volonté
L’expérience cuisante des tram-train abandonnés au début des années 2000 alimente la conscience du risque, y compris dans l’association Objectif RER métropolitains : son président Jean-Claude Degand a vécu cet épisode de l’intérieur, comme directeur du périurbain à la SNCF.
Sa lucidité donne d’autant plus de poids à sa conviction d’unir deux générations dans une cause : « Sujet clé pour la jeunesse qui aspire à la planification écologique, les Serm créent une occasion unique de poser la clé de voûte de leur grand œuvre, pour ceux qui ont porté la décentralisation, voici un demi-siècle ». Gramsci n’aurait pas renié cette alliance du « pessimisme de l’intelligence et de l’optimisme de la volonté ».