Une tourbière du Cotentin relève le défi postindustriel

L’arrêt de l’activité de la plus grande carrière de tourbe de France lance le programme national Erable, dans le Cotentin. Parmi 20 territoires choisis pour une mise en récit de la biodiversité jusqu’à la fin 2026, l’Etat a choisi le site de la Manche, confronté au défi de la montée des eaux, de la séquestration du carbone et de la reconversion économique.

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Tourbière de Sèves
La tourbière de Sèves (Manche) fait partie des 20 territoires élus au programme Erablle piloté par le gourpement d'intérêt public l'Europe des projets architecturaux et urbains.

Le projet ArtSèves a franchi sa première étape : l’Agence nationale pour la cohésion des territoires a désigné à la fin 2024 le tandem chargé d’étudier un projet de territoire piloté par Parc naturel régional (PNR) des marais du Cotentin et du Bessin. La Boîte Rouge Vif, mandataire et spécialiste de la médiation culturelle, s’est associée dans ce but avec l’agence de paysage Georgettes.

Remise en eau en 2026

Programmée pour 2026, la fermeture de la plus importante carrière de tourbe de France a servi de déclic. Depuis 1947 dans les sept villages impactés, l’exploitation industrielle suppose le pompage des eaux qui entourent le site entouré d’un lac de 400 hectares. Utilisée d’abord comme gélifiant, puis comme combustible et enfin comme composante de substrats horticoles, la tourbière de Sèves achève son histoire industrielle avec le plan social en cours dans l’entreprise La Florentaise.

La remise en eau d’un millier d’hectares empêchera plus de 50 agriculteurs de poursuivre leur activité sur ce site. Ce volet agricole du projet passe par la médiation de la société d’aménagement foncier et d’équipement rural de la Manche, qui a engagé la prospection de terrains de substitution.

Captage en péril

L’immersion induit les dimensions écologiques et scientifiques d’ArtSèves, sur un site promis par l’Etat à un avenir de réserve naturelle d’intérêt national. Dans une région menacée par la montée des océans, la protection du plus important captage du Cotentin constitue le premier motif de cette décision, argumentée en 2021 dans un rapport commandé par le préfet de la Manche au conseil général de l’environnement et du développement durable et au conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux.

« Les scientifiques ont prouvé le lien entre les nappes des tourbières et les aquifères profonds », rappelle Denis Letan, directeur du PNR. Cet aspect de la transformation promise renvoie à un autre programme de prospective scientifique en cours sous le nom de Rivages normands 2100, sous la houlette de l’Observatoire des sciences de l’Université de Rennes.

Carbone en stock

Avec son retour en eau, la tourbière retrouvera toute sa place, dans l’écosystème des marais du Cotentin. Les 2117 ha du territoire d’étude accueillent déjà 50 espèces d’oiseaux nicheuses, dont 33 typiques des milieux aquatiques, et 15 espèces végétales patrimoniales.

Mais le site intéresse aussi les spécialistes de la séquestration du carbone : sur 150 Mt stockés dans des sols tourbeux en France, le Cotentin en compte 21,5, dont 4,4 dans la tourbière de Sèves. Jointe aux aménagements conservatoires, la fin de l’exploitation industrielle va réactiver cette fonction de stockage, malmenée par la minéralisation.

Triple peine pour les communes

« Autour des enjeux agricoles, écologiques, scientifiques et sociaux, tous les acteurs agréent le rôle du parc comme pilote d’un projet de territoire », se réjouit Denis Letan. Mais la renaissance ne pourra pas s’opérer sans douleur, face à la triple peine que vont affronter les collectivités : « Perte de taxe, de baux de location du site industriel et de baux ruraux », énumère le directeur du PNR.

Le tourisme vert figure parmi les pistes pressenties par les sept communes, riches de leur patrimoine naturel et industriel. La préservation d’une partie de l’infrastructure ferroviaire de la carrière pourrait figurer parmi les constructions à valoriser. « La stratégie consiste à drainer vers l’intérieur des terres les visiteurs des plages du débarquement », poursuit Denis Letan.

20 sites en cours de sélection

L’addition des enjeux justifie l’inscription du projet dans le programme Erable, confié au Groupement d’intérêt public l’Europe des projets architecturaux et urbains (Gip Epau) par la direction de l’Eau et de la biodiversité du ministère de la Transition écologique. Fin 2024, ce dernier a déjà sélectionné sept territoires bénéficiaires, parmi lesquels les sept communes riveraines de la tourbière de Sèves.

« Une seconde session aboutira en mars à la désignation de 13 autres sites », annonce Hélène Colas, directrice d’Erable. Toutes les régions et territoires d’outremer figureront parmi les 20 bénéficiaires. Chacun d’eux disposera de 150 000 € sur deux ans pour élaborer leur projet de « mise en récit de la biodiversité », selon l’expression de la directrice de programme.

La mutualisation commence

La méthodologie repose sur un trio d’acteurs : collectivités, scientifiques et artistes (voir en encadré la composition du collectif ArtSèves). Du théâtre à l’économie de l’environnement et de la biologie à la musique, le Gip-Epau mise sur le brassage pluridisciplinaire pour inspirer les 20 projets.

L’effet de mutualisation alimente déjà des espoirs : « Caractérisé par la menace des biseaux salés sur la ressource en eau potable, le projet « Camargue, le procès du sel » traite d’enjeux proches du nôtre », remarque Denis Latan.

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