Impossible de faire la différence. Sur le chantier de l'écoquartier de la Maillerie (90 000 m² SP), à cheval entre Villeneuve-d'Ascq et Croix (Nord), les voiles de béton coulés à un rythme soutenu n'ont pas de signes distinctifs. Seule une petite affiche scotchée sur certains murs précise qu'ils ont été fabriqués à partir de granulats recyclés.
Et, petit miracle, ces granulats proviennent de la déconstruction des 60 000 m² de bâtiments existants jusqu'en 2017 sur cet ancien site logistique de 10,5 ha des 3 Suisses. « Nous les intégrons à hauteur de 30 % des granulats, seuil maximum autorisé par la réglementation », explique Alexandre Bouvry, directeur des grands projets urbains de Bouygues Bâtiment Nord-Est (BBNE). Il estime qu'environ 5 000 m3 de béton fabriqués avec des granulats issus des anciens bâtiments seront ainsi employés par BBNE sur le site d'ici à la fin 2022. Ce qui en fait le plus important chantier de la région à utiliser des granulats recyclés dans du béton de structure. Ce dernier n'est cependant mis en œuvre que pour les voiles intérieurs et bardés. « Nous assurons une traçabilité totale en enregistrant le devenir de chaque toupie et nous allons suivre de près l'évolution des murs », ajoute-t-il.

Etude de caractérisation fine. Dès 2016, un inventaire précis des matériaux en place a été réalisé. « Nous l'avons complété en 2017 par une étude de caractérisation fine des granulats réutilisables dans nos bétons, soit environ 30 000 m3 . Ce travail a permis, avant même de commencer la démolition, de négocier avec Eqiom le prix du futur béton et de bien spécifier dans le cahier des charges du démolisseur les caractéristiques des granulats attendues », relate Alexandre Garcin, chef de service innovation et partenariats chez BBNE.
Au total, la récupération a concerné 5 500 t de granulats d'une taille comprise entre 6 et 20 mm (utilisables en béton de structure), dont 3 500 t de type 1 (avec très peu d'impuretés), et 2 000 t de type 2 (utilisables à hauteur de 15 %). Par ailleurs, plus de 10 000 t de granulats de moins de 6 mm ont aussi été collectés, dont 4 000 tonnes serviront à réaliser du carrelage qui sera posé sur site, grâce à un partenariat avec la jeune société lilloise Etnisi. Enfin, les 15 000 t de plus de 20 mm serviront en sous-voirie et en gabion.
Avant de démolir, la maîtrise d'ouvrage s'est efforcée de conserver le maximum de bâtiments existants. Si la plupart ont dû être déconstruits, « un a été transformé en parking silo de 21 000 m2 et un autre d'environ 2 700 m2, à l'entrée du site, sert à la fois de maison du projet, de base vie confortable, de micro-musée des 3 Suisses, de brasserie… », souligne Alexandre Garcin.
Réemploi poussé. Le chef de service ajoute que, avant le recyclage, le réemploi des matériaux présents dans les entrepôts a aussi été poussé à son maximum : 10 000 m2 de parquet de chêne massif, 4 500 luminaires, 364 aérothermes, 2 560 m de convoyeur et plusieurs kilomètres de rayonnage… « Lors de cette étape, nous avons travaillé avec de nombreuses associations. Des conventions ont été signées afin d'œuvrer dans un cadre juridique sécurisé », souligne Alexandre Garcin. Par exemple, le collectif roubaisien d'architectes Zerm a emporté des poutres, des luminaires industriels et des racks de stockage pour constituer les premiers stocks du Parpaing, leur ressourcerie de matériaux de récupération. L'association Fibr' & Co a, elle, récolté bois et métal pour fabriquer du mobilier.

« Cette démarche industrielle d'économie circulaire a généré des centaines de microprojets. » Benoît Gérardin, directeur régional chez Linkcity
Pour que les 10 000 m² de parquet puissent être récupérés, le démolisseur a effectué une dépose très soignée, lame par lame. Le projet de réemploi de ce matériau a été un déclic pour le spécialiste du revêtement de sol Tarkett. « Ce gisement nous a confirmé la faisabilité technique et économique de réutilisation de parquet. Nous avons transformé notre échantillon de 1 000 m² en 500 m² de parquet multicouche. L'engouement pour ces produits dans les pays nordiques est tel que, depuis ce premier test, nous avons mis en place une collecte des parquets usagés pour alimenter une gamme recyclée baptisée Fenix », se félicite Elodie Jupin, responsable économie circulaire chez Tarkett pour l 'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique.

« Cette démarche industrielle d'économie circulaire a généré des centaines de microprojets qui se traduisent aujourd'hui en un écosystème social très dense », se félicite Benoît Gérardin, directeur régional aménagement et grands projets chez Linkcity aménageur de la Maillerie aux côtés de Nodi. Selon lui, cet écosystème et la conservation d'un ancien bâtiment capable d'accueillir du public ont donné naissance à un « urbanisme de préfiguration » à l'origine de nombreuses initiatives et services sur place. « Cette dynamique nous a un peu dépassés mais elle est extrêmement positive pour l'image du nouveau quartier », estime-t-il.
Attirée par la renommée du site en matière d'économie circulaire, une ressourcerie de 600 m² va s'y installer. Elle permettra aux futurs habitants de cet écoquartier, où murs et carrelages ont une histoire, de continuer à boucler la boucle.