« Ce bâtiment est un mélange de Melnikov et de Terragni », résume l'architecte liégeois Pierre Hebbelinck, maître d'œuvre avec l'agence Hart Berteloot AAT de la réhabilitation de l'Espace des arts de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Une imposante salle de spectacles construite en 1971, dont l'architecture signée par le lyonnais André Petit est visiblement inspirée du style de ces deux maîtres d'avant-guerre : le constructiviste russe Constantin Melnikov (1890-1974), pour la volumétrie générale, et le rationaliste italien Giuseppe Terragni (1904-1943), pour la structure poteaux-poutres apparente à l'intérieur. Ces deux emprunts à l'histoire de l'architecture lui ont donné la monumentalité qui sied à une ancienne maison de la culture, conformément à la politique d'André Malraux (1901-1976) qui souhaitait donner à ces équipements le statut de « modernes cathédrales, religion en moins ».
Cinquante ans plus tard, la modernité de cette construction de béton et de verre doublement labellisée (« Patrimoine du XXe siècle » et « scène nationale ») devait être remise au goût du jour. Epaulés par l'architecte et historien Richard Klein, auteur de l'ouvrage « Les Maisons de la culture en France », Pierre Hebbelinck et l'agence Hart Berteloot AAT se sont livrés à un patient travail d'archéologie. Ils ont mis en valeur les qualités intrinsèques de cette architecture brutaliste tout en faisant évoluer le bâtiment pour l'adapter à la ville et aux usages du XXIe siècle.
Offrande. L'époque de construction du bâtiment - celle de la voiture omniprésente et triomphante parmi les modes de transport urbains - explique que le rez-de-chaussée était occupé par un parking, le hall d'accueil étant situé au premier étage. Le premier geste a donc consisté à connecter le bâtiment au parvis en purgeant le socle de l'ancien parking pour y placer le hall d'entrée, et en ouvrant celui-ci sur le parvis. De même pour le volume en excroissance sur la façade principale, nommé « la rotonde », dont la forme évoque le bâtiment du Club des travailleurs conçu à Moscou par Melnikov en 1928. Composé de quatre gigantesques piliers à console, cette sorte de propylée (accès monumental) supporte un volume opaque perché à une dizaine de mètres de hauteur au-dessus du parvis. Tourné vers la ville comme une offrande, il abrite une partie des gradins. Au-dessous, le rez-de-chaussée, jusqu'ici ouvert à tous les vents et aux trafics en tout genre, est désormais aménagé en café. Connecté au parvis et au hall d'accueil, son imposant volume s'offre en transparence à travers la haute façade vitrée. Par endroits, la dalle du premier étage, véritable hub où se connectent les différents éléments du programme, a été abaissée afin de rattraper une différence de niveau qui faisait du patio intérieur un espace résiduel, coupé du foyer.
Massives attaques. Ailleurs, cette dalle a subi les attaques d'immenses scies circulaires qui en ont retiré des parties, à la façon d'un happening de Gordon Matta-Clark (1943-1978), architecte et performer américain, célèbre pour ses interventions dans les immeubles voués à la démolition. Ces découpes, qui conservent les traces du passage de la scie, génèrent des transparences visuelles d'un niveau à l'autre. En se conjuguant avec celles ménagées par les trémies d'escalier, ces trouées mettent en relation l'ensemble des fonctions d'accueil - hall, billetterie, foyer, espace d'exposition, cafétéria, restaurant -, fluidifiant ainsi les parcours à l'intérieur d'un volume unitaire.
La grande salle de spectacles a été réaménagée avec le même objectif de créer un espace continu, dépourvu d'allées intermédiaires, pour que se forme devant la scène une « communauté de spectateurs », selon l'expression de Pierre Hebbelinck. En surélévation au-dessus de la cage de scène, le dernier niveau offre quelques places d'hébergement et une vaste salle de répétition aux artistes en résidence. Les murs-rideaux dévoilent le paysage, depuis la Saône en contrebas jusqu'aux contreforts du massif du Mont-Blanc, visibles par temps clair.
Maîtrise d'ouvrage : communauté d'agglomération Le Grand Chalon.
Maîtrise d'œuvre : Atelier Hebbelinck (architecte mandataire), Hart Berteloot AAT (associés), Richard Klein (historien).
BET : Verdi (structure, fluides), Michel Forgue (économie), Kahle Acoustics (acoustique), Artsceno (scénographie), Spriet et Prévert (signalétique).
Principales entreprises : Eiffage Construction (démolition, gros œuvre), Pateu et Robert (façades, charpente, ossature bois), Six M Energie (chauffage, ventilation, plomberie), Sud Est Acoustique (gradins, scène), AMG-Féchoz (serrurerie, équipements scéniques). Surface : 10 384 m2 Shon.
Dates des travaux : de décembre 2016 à septembre 2018.
Montant : 7,5 M€ HT.







