Une architecture post-catastrophe pour que la vie reprenne

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Survenant avec violence sous toutes les latitudes, les catastrophes urbaines relèvent de plusieurs types. Elles peuvent être d’origine naturelle (glissement de terrain, séisme, inondation, incendie, tsunami…), industrielle ou nucléaire (explosion, pollution chimique), technique (rupture d’un barrage, crash d’avion) ou encore d’ordre politique et militaire (révolutions, guerres…). Mais quelle que soit leur cause, elles montrent à quel point la ville est un organisme complexe et fragile qui articule toute une série d’échelles. Au cœur de la ville touchée et dans son environnement immédiat, la catastrophe donne à voir une géographie urbaine interconnectée à des écosystèmes de tailles et de natures variables.

New York (3 000 morts en septembre 2001), Port-au-Prince (100 000 morts en janvier 2010), les côtes de l’océan Indien (200 000 morts en décembre 2004), Fukushima (27 000 morts, 100 000 sinistrés en mars 2011). On peut s’interroger sur cette hécatombe et se demander si elle risque de se poursuivre, voire s’accélérer ? Ces villes que l’on souhaite durables ne sont-elles pas devenues paradoxalement plusfragiles ? À l’instar de Bangkok et de la Nouvelle-Orléans, d’autres villes portuaires pourraient-elles être submergées par les eaux ? Que deviendrait Shanghai, si le barrage des Trois-Gorges venait à céder ? Jacques de Courson, urbaniste, fondateur de l’ONG Urbanistes du monde, constate que « La catastrophe est révélatrice de villes reposant sur des fonctionnements de plus en plus complexes et interdépendants qu’il faut apprendre à prévoir, gérer et assumer, et commencer par regarder en face à l’aune de leur vulnérabilité et des risques encourus. La prospective des catastrophes est encore à inventer. »(1)

Hébergement temporaire ou durable

Cependant, lorsque la catastrophe survient dans toute sa brutalité, la réaction est immédiate. Les secours s’affairent, on sauve des vies, puis le calme revient et il faut alors envisager pour les rescapés un avenir dans un champ de ruines. Après les premières mesures d’urgence, vient le coûteux et difficile nettoyage des décombres et l’élimination des déchets de toutes sortes. On a estimé à 14 millions de tonnes ceux résultants du séisme de Kobé au Japon en 1995, à 75 millions de m3 ceux issus de l’ouragan Katrina aux États-Unis en 2005, et à 25 millions de tonnes après le tsunami de mars 2011 à Fukushima. Simultanément, il s’agit d’héberger rapidement les sinistrés. Ces campements temporaires posent de manière aiguë la question du mode de relogement des populations. Les camps de toile pour réfugiés fournis par les ONG ne répondent à aucune forme d’urbanisme, ce sont des alignements d’abris et des sanitaires de fortune. Or on le sait, nul ne peut reconstruire sa vie, surtout quand il a tout perdu, sans un semblant de vie communautaire, d’organisation sociale. Sur quel modèle faut-il donc reconstruire ? Quels scénarios développer pour prendre en compte les ressources locales, les risques, l’identité des communautés ? Les questions à poser portent simultanément sur le site, le projet, la forme. Et les architectes s’interrogent sur leur rôle.

En Haïti, il ne s’agit pas de reconstruire des bidonvilles qui se sont édifiés sur des emprises illégales. On a néanmoins observé que l’absence de base foncière constituait l’un des principaux vecteurs de la reconstruction rapide à partir de déchets et gravats. En effet, les bidonvilles les plus pauvres, les plus légers, les plus insalubres, qui ont paradoxalement le mieux « résisté », se sont autoreconstruits très vite. La situation reste très préoccupante et la question politique liée à la toute-puissance des ONG internationales, présentes sur l’île depuis des décennies, ne favorise pas la reprise en main du pays par les Haïtiens. C’est dans ce contexte que Patrick Coulombel, cofondateur d’Architectes de l’urgence, a lancé un cri d’alarme dans un texte manifeste publié au printemps dernier (voir p. 90).

Au Japon où près de 500 kilomètres de côtes ont été ravagés par le tsunami suite au tremblement de terre du Tohoku, des agglomérations et des villages entiers ont disparu. Les maisons temporaires sont en principe prévues pour deux ans, mais on a observé qu’à Kobé les logements provisoires avaient été utilisés pendant cinq voire dix ans. C’est pourquoi, selon Riken Yamamoto, aux victimes du séisme se sont ajoutées celles de cet hébergement standard qui, déracinées et isolées, ont péri d’ennui. Suite au tsunami de mars 2011, nombre d’architectes japonais se sont réunis, ont mené des enquêtes de terrain et des workshops pour imaginer des réponses adaptées au mode de vie japonais. Ils en ont déduit que l’organisation des espaces au sein de la maison et les relations entre les maisons doivent être revues pour préserver les relations familiales et sociales qui ne doivent pas être standardisées. De plus, les règles d’urbanisme ayant été modifiées, les habitations doivent être reconstruites à un niveau plus élevé au-dessus de la mer ; donc dans des sites collinaires ou montagneux, qui ne sont pas faciles à relier à ce qui subsiste des infrastructures anciennes. Là aussi, il faut éviter les ruptures. Des scénarios sont étudiés qui prennent en compte les caractéristiques spatiales des quartiers, les ressources locales, la pêche, l’agriculture. Des relevés précis de la diversité du paysage, même gravement endommagé par le tsunami, sont effectués.

Le cas de la reconstruction précipitée et sans concertation de L’Aquila en Italie (2) donne à réfléchir. Le séisme du 6 avril 2009 a fait 30 000 sinistrés. 15 000 personnes environ ont été relogées à l’écart du centre-ville en ruines – désormais interdit d’accès – dans 19 cités dortoirs en dur. Ces cités, greffées sur des villages, sont dépourvues d’équipements scolaires, communautaires, de commerces, d’infrastructures de liaison avec la ville. Comment ces dispositifs orphelins pourraient-ils être réintégrés dans une dynamique urbaine et sociale ?

En revanche, à la Nouvelle-Orléans, la fondation Make it right initiée par l’acteur Brad Pitt s’est donné pour objectif de reconstruire le quartier du Lower 9th Ward. Une centaine de maisons destinées aux classes moyennes ont été livrées ou sont en fin de chantier. Elles répondent à des préoccupations environnementales (certification Leed Platinum), aux nouvelles normes de résistance aux ouragans et inondations,tout en respectant le parcellaire traditionnel et l’esprit de l’architecture vernaculaire.

Ces différentes situations et expériences confirment que la reconstruction post-catastrophe ne peut s’exonérer d’une réflexion initiale approfondie sur l’urbanisme ni être réduite au simple relogement. La reconstruction rapide d’équipements joue un rôle capital dans la reprise des activités quotidiennes mais aussi sociales, commerciales, industrielles.

Une stratégie urbaine

Au Japon, les opérations lancées après le tsunami ont fait ressurgir de multiples questions sur l’habitat, le dépeuplement, le déclin des industries, la place des communautés locales et des associations. En mars dernier, un colloque a été organisé par l’école d’architecture de Paris-Malaquais et la Fondation du Japon en France sur le thème « Ville et architecture après le 11 mars. Comment les architectes régénèrent-ils le local ? » Des architectes japonais sont venus présenter leurs travaux sur l’Est du Japon après le séisme. Hitoshi Abe, cofondateur d’Archi Aid a ainsi expliqué sa démarche : « Reconstruire c’est d’abord rétablir la confiance entre les gens et les lieux ; viennent seulement après les notions de pays natal ou de régions ; enfin, la politique. Il faut prendre garde à ne pas détruire, au nom de la reconstruction, les liens ténus mais fondamentaux que les gens ont tissés avec des lieux et qui ont été mis en évidence par le séisme. » De leur côté, cinq architectes japonais – Toyo Ito, Riken Yamamoto, Hiroshi Naito, Kengo Kuma et Kazuo Sejima – se sont interrogés au lendemain du tsunami sur leur rôle. Ils ont formé l’association Kysin-no-kai, au sein de laquelle a été lancé le projet Home-for-All qui porte sur la création de lieux communautaires, où les habitants sinistrés peuvent trouver abri et apaisement par la communication, le partage, le confort. Cette initiative est présentée par Toyo Ito au pavillon japonais de la Biennale de Venise 2012 (cf. p. 18), en collaboration avec Fou Sugimoto, Kumiko Inui et Akihisa Hirata dans l’exposition « Architecture. Possible here ? Home-for-All ». La conception de la maison Home-for-All a fait l’objet de workshops produisant de multiples maquettes. Plusieurs de ces structures ont été livrées et fonctionnent, permettant à des habitants de reprendre pied progressivement.

La place de l’architecte

La reconstruction post-catastrophe dépend d’un immense système lié à la politique, l’économie, l’industrie, l’environnement, la protection des biens, le territoire, etc. Les acteurs de la construction interviennent pour analyser les risques techniques, expertiser les bâtiments restants, sécuriser les lieux, protéger le patrimoine, puis reconstruire alors même que les institutions administratives et politiques peuvent être désorganisées, que les populations sont en détresse, que la région, voire le pays sont en plein chaos. Ceci dans des sites où les réseaux, les voies de circulation peuvent être partiellement ou complètement détruits. C’est pourquoi Patrick Coulombel a créé en partenariat avec l’ENSTP un mastère d’urgentiste du bâtiment et des infrastructures (3) pour former les professionnels à ces situations de crise.

Souvent, la rapidité d’exécution et le nombre de logements priment sur tout, alors que l’environnement et la sauvegarde de la culture locale sont relégués au second plan. Pourtant la qualité de l’environnement, sur laquelle reposeront les activités des populations locales, impacte profondément la qualité de vie car celle-ci ne reprend certes que lentement mais pour longtemps. Malgré l’urgence, ou plutôt parce qu’il s’agit d’urgence, il est important que les architectes puissent participer aux projets de reconstruction post-catastrophe en apportant leurs compétences, dans le respect de l’identité territoriale, des ressources locales, des moyens disponibles, au plus près des besoins des populations traumatisées.

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