« Comment donner à voir, comme à la dérobée, la beauté fatale du paysage ? Comment construire dans la pente du terrain un bâtiment qui ouvre des vues sur la mer, mais aussi sur la colline à laquelle il s'accroche ? Comment inscrire une architecture contemporaine dans la séquence d'édifices patrimoniaux qui a donné à la rade son identité depuis le XVIIIe siècle ? » Autant de questions que les architectes de l'agence CAB se sont posées afin d'imaginer cette résidence pour chercheurs en océanologie située à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes).
La cité balnéaire, lovée au creux d'une courbe sur la route de Nice à Monaco, est en effet fréquentée par la communauté scientifique depuis près d'un siècle et demi en raison de la richesse et de l'abondance de sa faune planctonique issue des grands fonds, charriée par le courant ligure. Après un premier laboratoire installé en 1882, un campus dédié aux sciences de la mer s'est peu à peu développé pour devenir l'actuel observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer (OOV). Le nouveau pôle d'hébergement vient s'ajouter aux locaux d'enseignement, de recherche et de médiation répartis dans le bâti historique lui-même composé d'un ancien hôpital des galériens, d'une corderie, d'une caserne, d'un arsenal et d'un bâtiment des années 1950 d'Eugène Beaudouin.
Univers à part. Le nouveau bâtiment abrite 44 chambres, un auditorium, un laboratoire, une bibliothèque, des salles de réunion, etc. Il s'ouvre sur un paysage marin grandiose, offert à perte de vue, dont les pensionnaires doivent pouvoir jouir. Mais aussi se protéger pour profiter d'un univers à part qui favorise la concentration, les rencontres, l'échange des connaissances. « Le projet superpose deux équerres inversées, l'une ancrée au sol, l'autre soulevée. Orientées l'une vers l'autre, elles délimitent un cloître tout en ménageant des vues de tous les côtés grâce à des transparences, des soulèvements de volumes, des différences de gabarits », expliquent les architectes. Ce parti rompt avec la tradition de la Riviera de construire des bâtiments uniquement tournés vers la mer. L'équerre basse accueille les espaces de vie collective de plain-pied sur le patio. Ce dernier compose un vaste séjour à ciel ouvert, entre mer et colline, ventilé naturellement grâce à un bassin ombragé aménagé à rez-de-patio, sous l'aile soulevée. L'air marin qui y pénètre se refroidit au contact de l'eau et traverse le patio en le rafraîchissant.
Le parti architectural rompt ici avec l'habitude locale d'un bâtiment mono-orienté.
L'équerre haute accueille les chambres. Distribuées par des coursives extérieures en balcon sur le patio, elles offrent chacune un seuil en creux dans la façade, qui forme un premier espace d'intimité. La chambre, étroite et longue, constitue un « entre-deux » entre l'univers monacal du cloître et celui, vibrant et ouvert, de la mer. Comme dans des cabines de bateau, les fonctions s'enchaînent le long des deux parois séparatives (cabine de douche, coin lavabo, lit en alcôve, placard, coin bureau). L'espace intérieur se prolonge par une loggia avec balcon sur la rade, protégée par des persiennes métalliques. Formées chacune de deux pans articulés à 90° - création de l'agence CAB -, elles épousent, en position fermée, les angles des loggias pour en faire des pièces extérieures ombragées, closes par un moucharabieh en acier.
« Par la matérialité brute du bâtiment, nous avons cherché à évoquer la puissance de ce paysage de rocaille et de végétation sauvage », poursuivent les architectes. Tout de béton brut, avec des éléments de second œuvre réduits au strict minimum, le bâtiment semble comme extrait de son environnement. Face à la rade, en franchissant 25 mètres sans point d'appui intermédiaire, l'édifice fait écho aux ouvrages d'art qui ponctuent le paysage et enjambent les vallées. Et ce, porté par ses façades et les cloisons intérieures des chambres qui, ensemble, composent des poutres-échelles. La massivité du béton brut, la trame répétitive et la verticalité des ouvertures, l'horizontalité du bâtiment réinterprètent ici le vocabulaire des édifices patrimoniaux en pierre du campus. Mais surtout, en laissant sa place à la lecture de la lumière, de la matière, de la structure, c'est la grande sobriété formelle, poussée ici à son plus haut niveau, qui donne à ce tout jeune édifice une véritable épaisseur historique.
