Comment accueillez-vous la décision d'une suppression progressive de l'avantage fiscal lié au gazole non routier (GNR) avec un premier rabotage de 5,99 centimes d'euros au 1ᵉʳ janvier 2024 ?
Nous étions déjà d'accord sur le principe d'échelonner cette démarche sur sept ans, mais la volonté initiale du gouvernement était de mettre un premier coup de rabot de 50 % dès le 1ᵉʳ janvier 2024. Cela se serait traduit par un surcoût immédiat de 500 millions d'euros pour notre secteur, soit la moitié du milliard d'euros brut que nous devrons absorber à terme. C'était évidemment inenvisageable, et le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, l'a bien compris lorsque j'ai eu l'occasion d'échanger avec lui sur ce sujet mi-septembre. Le projet de loi de finances (PLF), tel qu'il a été présenté le 27 septembre dernier, concrétise cet engagement d'une suppression linéaire jusqu'en 2030 qui représentera tout de même un coût pour nos entreprises de 180 à 200 millions d'euros par an.
Cette décision pose la question des énergies alternatives et donc de l'accès aux biocarburants. Qu'attendez-vous du rendez-vous de cette filière dont la tenue reportée sine die ?
Nous étions jusqu'à présent exclus de la filière des biocarburants alors même que ces produits sont les seuls capables de remplacer le GNR dans la grande majorité de nos activités. L'enjeu consiste désormais à garantir une part fixe des volumes de production de ces carburants alternatifs aux travaux publics. Notre priorité est de sécuriser notre accès à cette ressource pour ensuite la répartir équitablement entre nos entreprises, sans distinction de taille.
Le gouvernement s'est engagé à organiser cette conférence dédiée à la structuration d'une filière française de biocarburants professionnels, réunissant les acteurs de l'offre et de la demande afin d'examiner les conditions d'accroissement de la production et d'égal accès pour les entreprises de travaux publics à un prix compétitif.
C'est pour nous un enjeu fondamental qui conditionne le rythme de décarbonation de nos activités.
Revenons au PLF. Êtes-vous satisfait du niveau des dotations que l'État prévoit d'attribuer aux collectivités ?
Les collectivités locales représentent 70 % de l'investissement public. Comme le Président de la République l'a récemment souligné, il n'y aura pas de transition écologique sans le concours des territoires. Le choix du gouvernement de sous-indexer à nouveau les dotations globales de fonctionnement apparaît donc comme un contre-signal, dès lors qu'il ne serait pas prévu de mesures complémentaires pour favoriser l'investissement. De ce point de vue, l'augmentation de l'enveloppe du fonds vert constitue une bonne initiative, mais qui reste nettement insuffisante. Nous aurions souhaité que l'outil du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), à travers son assiette et son taux, soit également mobilisé pour encourager les collectivités territoriales dans leurs investissements, sachant que leur épargne de précaution cumulée atteint aujourd'hui près de 78 milliards d'euros. La transition écologique nécessite des actes de transformation majeure des infrastructures qui ne pourront être menés sans un investissement massif.
« La suppression linéaire du GNR jusqu'en 2030 représentera pour nos entreprises un coût de 180 à 200 millions d'euros par an. »
Le prélèvement d'une taxe sur les autoroutes et aéroports pour financer le développement du rail vous semble-t-il pertinent ?
Le principe de l'affecta
tion, tel qu'il est communément admis, suppose que le prélèvement soit utilisé pour le même objet, par exemple quand l'eau paie l'eau. Plus fondamentalement, je crains que l'État ne veuille reprendre par la taxe ce qu'il n'a pas obtenu par les contrats de concession. C'est donc une atteinte à ces derniers qui prévoient la neutralisation d'un alourdissement de la fiscalité. Nous sommes pour le respect du droit.
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Comment lisez-vous l'augmentation du budget de l'Afit France de 20 %, pour atteindre 4,6 milliards d'euros ?
Cela va évidemment dans le bon sens, même si ce budget est légèrement en-deçà du scénario de planification écologique proposé par le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) que le gouvernement semblait pourtant avoir approuvé en février dernier. Là encore, nous sommes convaincus que le financement de la transition écologique implique d'engager beaucoup plus de moyens. Or le gouvernement annonce, par exemple, moins d'investissements dans les routes alors que l'enjeu est une transformation profonde de ces infrastructures pour les rendre « décarbonantes » au regard de leur usage, notamment à travers leur électrification.
Ces propositions sont-elles néanmoins susceptibles de soutenir le regain d'activité enregistré par le secteur des travaux publics cet été ?
Nous observons effectivement sur cette période une légère croissance de nos activités avec des carnets de commandes plutôt bien orientés, mais pour que cette tendance se consolide, il faut maintenant des signaux forts de l'État.
La confiance est un élément déterminant, en particulier pour le secteur des travaux publics. Elle est absolument nécessaire pour que les collectivités locales puissent réaliser les investissements indispensables qui permettront de relever les immenses défis qui sont devant nous. Malheureusement, le contexte global de l'année 2024, qui restera marqué par la hausse des taux d'intérêt, ne s'y prête pas et laisse craindre des effets sur l'ensemble des agents économiques.
A plus long terme, les grands éléments budgétaires du PLF et les récentes annonces d'Emmanuel Macron sur la planification sont-elles à la hauteur des enjeux de la transition écologique ?
En matière d'infrastructures, plusieurs annonces sont intervenues au cours des derniers mois : rapport du COI, plan eau, volet mobilités des contrats de plan État-région (CPER), plan rail, fonds vert… Il est en vérité très difficile de mesurer, à ce stade, la réalité de l'effort supplémentaire consenti par le gouvernement en matière de financement des infrastructures pour la transition écologique. Le cabinet de conseil Carbone 4 avait calculé fin 2021 qu'il faudrait dégager entre 16 et 30 milliards d'euros supplémentaires par an pour les infrastructures, avec une part de l'État estimée à 8 milliards d'euros jusqu'en 2050. Force est de reconnaître que le compte n'y sera certainement pas. Évitons les effets d'annonce, passons à l'action.