Travaux publics Comment réduire les fuites des réseaux d’eau potable

Plus de 20 % du volume d’eau potable se perd dans le sous-sol. Pour diminuer les fuites, les professionnels utilisent des moyens de plus en plus sophistiqués pour détecter, gérer et renouveler les réseaux.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - TECH REHAB8.eps

«La fuite est le premier consommateur d’eau potable en France ! », s’exclame Philippe Lagubeau, responsable de l’atelier « réhabilitation » à la FSTT* et chargé du pôle réhabilitation au service « travaux spéciaux » à la Sade. Et pour cause, en 2004 (source Ifen/Scees) près d’1,3 milliard de m3 d’eau – sur les 6 milliards prélevés et traités – n’est pas arrivé à destination, soit plus de 20 % du volume. Outre son impact sur le prix de l’eau, ce gaspillage de la ressource pose un problème de développement durable.

Par le décret 2007-675 du 2 mai 2007, les collectivités locales sont tenues de publier annuellement des indicateurs de performance de leur réseau. Outre la qualité de l’eau, de nombreux indicateurs techniques concernant la perte en eau – dont le rendement du réseau et l’indice linéaire de perte(voir encadré p. 79) – et la politique de gestion patrimoniale permettent d’enrichir l’information sur les réseaux. « Ce décret crée une transparence saine vis-à-vis des citoyens et répond au besoin des collectivités de disposer d’un ensemble complet de critères sur la qualité du service », explique Alain Tiret, délégué général de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E). Des entreprises qui n’ont d’ailleurs attendu « ni le décret ni le Grenelle de l’environnement pour publier, dès 2005, une charte de gestion patrimoniale les engageant vis-à-vis des collectivités », poursuit Alain Tiret.

Les fuites représentent une perte en termes de frais de fonctionnement, mais elles sont très coûteuses à rechercher et à réparer. « D’un point de vue strictement économique, à court terme, une entreprise n’a aucun intérêt à renouveler son réseau, confirme Frédéric Blanchet, directeur technique unité eau de Veolia eau. Mais enchaîner les réparations sur le réseau existant sans le renouveler n’est pas non plus la solution sur le long terme ». Il y a donc un optimum à trouver, permettant de garantir la performance du service à un horizon de vingt ans. Mais comment définir ce taux de renouvellement du réseau ? Les collectivités et les fermiers se dotent d’outils prédictifs de terrain et de logiciels de plus en plus performants, permettant peu à peu de transformer la gestion d’urgence des réseaux en une véritable gestion patrimoniale.

Trois niveaux de détection des fuites

Dans les canalisations, la corrosion combinée avec des mouvements de sols, ou une augmentation de la pression interne (coups de bélier par exemple), peut provoquer la rupture ou l’apparition de fissures, le plus souvent au niveau des joints. Pour prévenir ces aléas, des méthodes de surveillance et de détection s’adaptent aux caractéristiques des réseaux.

Trois niveaux de détection sont généralement retenus : le réseau est d’abord découpé en grands secteurs fonctionnels. Les débits d’eau de nuit (plus homogènes) sont évalués sur ces parties et transmis par GSM, ce qui permet d’actualiser le rendement en temps réel. Si un secteur présente des anomalies de débit, une recherche de la localisation de fuites est déclenchée. Des prélocalisateurs acoustiques sont alors installés en des points stratégiques (vannes ou branchements), permettant de situer une fuite avec une précision de l’ordre de la centaine de mètres (voir encadré p. 80). Enfin, la localisation précise de la fuite nécessite des méthodes fines. L’une d’elles, la corrélation acoustique, permet, connaissant la vitesse de propagation du son dans le métal ou dans l’eau, de localiser la fuite rapidement.

Les petites fuites créant un bruit plus important que les grosses, ces techniques n’ont pas toujours « l’oreille » assez fine pour détecter les fuites importantes. On fait alors appel à la technique traditionnelle : à la manière d’un stéthoscope de médecin, les appareils d’auscultation prennent la forme de tiges d’écoute munies de microphones posés au sol. L’opérateur déplace l’appareil à l’aplomb de la canalisation pour détecter les bruits et vibrations générés par la fuite. « Mais l’interprétation des bruits demande une expérience fine », explique Anne-Claire Cousin, ingénieur chez Veolia Eau. Les « trouveurs de fuite », dont la formation demande de longues années, sont donc une denrée précieuse.

Si sur les canalisations métalliques les méthodes électroacoustiques prédominent, sur des canalisations en polyéthylène ou en PVC, le son se propageant moins facilement, des méthodes alternatives se développent. Ainsi, celle du gaz traceur consiste à injecter un gaz non toxique dans la conduite sous pression, au niveau d’un tronçon où l’on suspecte une fuite. Le gaz va alors s’échapper par le trou, puis remonter à la surface où des détecteurs pourront l’identifier et en déduire la position de la fuite.

Pour les canalisations de grands diamètres, des hydrophones baignant dans l’eau sous pression captent les vibrations de la fuite à travers le fluide. La plupart du temps fixes, ils peuvent aussi être mobiles et se laisser porter par le flux d’eau, parcourant des kilomètres de conduites de gros diamètre, comme la Smartball (Advitam, groupe Vinci), qui prend la forme d’une balle de 10 cm de diamètre.

Des techniques comme la thermographie, détectant les modifications de température du sol en contact avec la fuite, ou le géoradar pour les canalisations métalliques, ne sont encore utilisées qu’exceptionnellement.

Logiciels de gestion patrimoniale des réseaux

Parallèlement à ces méthodes, la connaissance de l’état du réseau permet d’anticiper les casses. Par exemple, la technique innovante Scanner® – développée par Suez Environnement Lyonnaise des Eaux – « permet de connaître l’état de corrosion interne et externe des canalisations métalliques sans interrompre le service », explique Dominique Geoffray, du centre R & D de Suez Environnement. Cette technique, issue du domaine pétrolier et importée d’Angleterre, est non destructive et permet d’inspecter le réseau à cadence élevée et à moindre coût.

A l’issue de ces diagnostics, les résultats sont soit exploités rapidement lorsqu’une urgence est détectée, impliquant des travaux immédiats, soit ajoutés aux données patrimoniales existantes (état mécanique des conduites, historique de pose, de réparations, de renouvellement). Les bases de données ainsi actualisées nourrissent les logiciels de gestion patrimoniale des réseaux. Fondés sur l’analyse de risques, ces derniers sont développés par des organismes publics, par les entreprises de l’eau ou par des bureaux d’études. Outils complets d’aide à la décision, ils permettent à la collectivité de planifier ses interventions – en les hiérarchisant selon une analyse multicritères – et évaluent les besoins de renouvellement annuels tout en limitant les coûts (voir encadré page ci-contre).

Cette hiérarchisation est primordiale, car « les stratégies de renouvellement sont encore trop basées uniquement sur l’âge du réseau », comme le regrette Eddy Renaud, ingénieur au Cemagref. Il n’est pas rare que les collectivités gardent des canalisations datant du milieu du XIXe siècle. « Nous possédons des canalisations de près de 150 ans dans notre réseau », confirme Simon Royer, ingénieur à la Société des eaux du Nord (SEN).

Ainsi, plusieurs facteurs déterminent le vieillissement de la canalisation : les caractéristiques intrinsèques (matériaux, qualité de la pose...), et les conditions liées à l’environnement immédiat du réseau (sous-sol instable, perturbations liées à la mise en place d’un autre réseau à proximité…). « Ces logiciels, en synthétisant des données de réseaux très complexes, permettent au maître d’ouvrage d’exercer pleinement son rôle patrimonial », explique Jean-Christophe de Massiac, responsable du pôle gestion patrimoniale chez G2C environnement. « Mais attention, prévient Eddy Renaud, ces logiciels sont basés sur des probabilités d’apparition de perturbations. Ils ne peuvent donc pas se substituer aux inspections du réseau. »

Une fois l’état du réseau connu, les priorités d’intervention définies, les travaux peuvent commencer. « Nous renouvelons tous les ans 1 % de notre patrimoine, soit environ 40 km sur les 4 000 km que compte notre réseau », explique Cédric Faye, responsable agence renouvellement et grands travaux à la Société des eaux du Nord.

Si les interventions sur les canalisations avec ouverture de tranchées restent majoritaires, les travaux sans tranchées trouvent peu à peu leur place, même « s’ils sont encore moins développés qu’en Allemagne ou qu’en Angleterre », comme le souligne Marc Englender, de la direction technique et du développement d’Axeo. « Pourtant les avantages en milieu urbain sont nombreux, poursuit Marc Englender, avec la diminution des gênes aux riverains (l’accès aux habitations et commerces riverains est maintenu), un gain du temps de mise en œuvre jusqu’à 50 %, et la suppression des déblais/remblais. » Suivant l’espace dont on dispose pour aménager une galerie d’accès, l’état des canalisations et la géologie du site, des dizaines de techniques (tubage simple, extraction, éclatement, forage dirigé, microtunneliers…) sont à la disposition des professionnels.

Technique du « sans tranchée »

Mais le développement du « sans tranchée » dans l’eau potable se heurte à des contraintes. « Les canalisations d’eau sont proches de la surface, à proximité immédiate des autres réseaux », explique Philippe Lagubeau. Contrairement aux réseaux d’assainissement qui sont en profondeur, il est souvent plus pratique d’ouvrir une tranchée dans les réseaux d’adduction d’eau potable, sauf sur de longs linéaires en milieu urbain dense. Quant aux risques d’arrachement des réseaux voisins (notamment le gaz), ils ne sont pas forcément plus élevés que les risques de percement avec des techniques traditionnelles, mais les maîtres d’ouvrage sont souvent réticents à l’idée d’utiliser le « sans tranchée ».

Lorsqu’il s’agit de traverser une infrastructure linéaire telle qu’une autoroute ou une ligne de chemin de fer, l’intervention sans tranchée est en revanche plébiscitée. Interrompre la circulation sur ces ouvrages n’est en effet envisagé qu’en dernier recours. Enfin, les changements de branchements plomb sont, dans la majorité des cas, effectués par des techniques sans tranchée, le plus souvent en arrachant le branchement existant et en en tirant un neuf derrière en PEHD (polyéthylène haute densité).

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires