Armés de patience et de détermination, quelque 300 acteurs du programme « saumon Rhin 2020 », réunis du 2 au 4 novembre à Bonn (Allemagne), ont analysé les obstacles qui restent à franchir pour permettre aux poissons migrateurs de se réimplanter durablement dans le fleuve emblématique de l’Europe.
Ecluses et passes. « Il faudra encore 20 ans de travail pour consolider les premiers résultats du processus engagé, il y a 20 ans, après l’accident de l’usine Sandoz à Bâle », déclare Fritz Holzwarth, président de la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR), organisatrice de la rencontre de Bonn sur les « migrations piscicoles ».
Aiguillonnés par la directive cadre sur l’eau, adoptée en 2000 en vue d’une restauration du « bon état écologique » des cours d’eau européens en 2015, les usagers du fleuve et les neuf Etats qui se partagent le bassin-versant du Rhin intensifient leurs efforts.
La Hollande annonce pour 2008 la réouverture partielle des écluses de Haringvliet : le projet implique l’engagement de 150 millions d’euros, répartis entre le déplacement d’infrastructures – en particulier des prises d’eau douce – et le remboursement de manques à gagner pour les activités implantées aux abords de l’ouvrage.
A l’autre extrémité du fleuve, les producteurs hydroélectriques suisses programment une série de passes à poisson.
En chantier à Rheinfelden (amont de Bâle), le projet, conçu par le bureau d’études allemand Rolf-Jürgen Gebler, inclut une rivière artificielle, longue de 1 km, large de 40 à 50 m, avec une pente de 1 % et un débit de 10 à 35 m3/s.
A partir de mars 2006 sur la frontière franco-allemande, Gambsheim (Bas-Rhin) partagera avec Iffezheim (Bade-Wurtemberg) le record de la plus grande passe à poisson d’Europe. Comme ce dernier ouvrage inauguré en 2000, date du retour du saumon en Alsace, le chantier de Gambsheim mobilise 10 millions d’euros.
Faudra-t-il poursuivre ce programme entre Strasbourg et Bâle, et dans quel délai ? Attendue pour la fin de l’année, l’étude commandée à l’allemand Stucki laisse prévoir un investissement minimal de 50 millions pour atteindre ce but.
Aux difficultés de financement, s’ajoutent les incertitudes techniques sur la dévalaison, qui continue à entraîner des hécatombes d’anguilles, déchiquetées par les turbines. La CIPR annonce le démarrage d’un programme de recherche sur cette question. « Nulle part dans le monde, il n’existe des retours d’expériences probants sur des fleuves de la dimension du Rhin », indique François Travade, ingénieur senior au laboratoire national hydraulique et environnement d’EDF.
Habitats et affluentsà reconquérir.A court terme, l’électricien français et les protecteurs de l’environnement engagent un bras de fer au sujet du débit réservé au Vieux Rhin, parallèle au grand canal d’Alsace en aval de la centrale hydroélectrique de Kembs, dont la concession de 75 ans expire en 2007 : EDF propose un débit plancher de 45 m3/s, face aux associations des deux côtés du Rhin, qui en demandent 100. « Comme président de la CIPR, j’ai écrit aux ministres français concernés que le niveau souhaitable se situe à 80 m3, en fonction des nécessités écologiques et ichtyologiques », révèle Fritz Holzwarth. Les nouveaux équipements programmés après 2007 à Kembs – sur la centrale existante et sur le Vieux Rhin – tiendront compte du bilan d’Iffezheim : meilleure rugosité du fond et moindre hauteur de chutes entre les bassins de la passe.
Au-delà du lit mineur du fleuve, le succès du programme « saumon Rhin » repose sur la reconstitution de frayères et sur l’accessibilité des petits affluents.
La question de l’accessibilité des petites rivières renvoie à un conflit entre la politique de l’eau et celle des énergies renouvelables : « La réduction des gaz à effet de serre passe par l’hydroélectricité », plaide Hugues Albanel, vice-président du groupement des producteurs autonomes d’électricité. « Où est l’intérêt public de microcentrales dont la production négligeable entrave 95 % du réseau hydrographique français ? », interroge Jean Wencker, vice-président d’Alsace Nature ?
Aussi âpre en France qu’en Allemagne, ce débat témoigne de la vitalité de la démocratie européenne de l’eau, dans laquelle la CIPR joue le rôle de poisson pilote.