A Paris-Charles-de-Gaulle (CDG), vous avez réservé une trentaine d'hectares pour pouvoir alimenter à l'avenir les appareils en hydrogène. Or, Airbus a récemment annoncé un report du lancement de son appareil à hydrogène. Croyez-vous encore en cette technologie ?
Il existe aujourd'hui deux start-up qui préparent des avions à hydrogène de petite taille pour 30 ou 60 passagers et qui devraient être certifiés en 2027 ou 2028. Donc oui, nous croyons bien entendu à cette technologie et nous nous préparons à l'accueillir le jour venu, avec notamment cette réserve foncière. Nous avons une stratégie globale de préparation aux nouvelles énergies : l'hydrogène, mais aussi l'électrique ou les carburants durables, qui demeurent aujourd'hui la solution la plus immédiatement applicable.
Au-delà des avions, quel sera le modèle énergétique de vos aéroports ?
Nous nous préparons à produire nous-même de l'électricité.
Nous avons d'ores et déjà contractualisé avec des fermes solaires, situées en dehors de nos plateformes. D'ici quelques années, elles devraient couvrir 8 ou 10 % de nos besoins électriques. Ensuite, la solarisation de nos aéroports, en commençant par les parkings, va nous permettre de mettre l'accent sur la production de ce type d'énergie.
Nous visons une forme d'autonomie énergétique.
D'ici trois à cinq ans, les opérations au sol seront totalement électrifiées sur nos plateformes ainsi que, plus largement, le fonctionnement de leurs bâtiments. Grâce à la géothermie, à Orly, nous avons une stratégie assez ancienne sur la production de chaud et de froid. Et aujourd'hui à CDG se construit également une nouvelle infrastructure de géothermie.
Votre projet d'aménagement de CDG prévoit des salles d'embarquement construites au fur et à mesure de la croissance de vos besoins. Pourquoi cette prudence ?
Le secteur aérien se trouve face au défi majeur de la décarbonation. Pour y parvenir, il nous faut trouver d'autres solutions que de construire de gigantesques aéroports.
A Paris-Charles-de-Gaulle, nous avons retenu une conception basée sur des infrastructures de plus petite taille. Ce sont plusieurs salles d'embarquement, de taille humaine, et non un nouveau terminal comme l'était conçu le projet de terminal 4 [abandonné en février 2021, NDLR]. Cette manière de concevoir, plus agile, plus flexible, plus modulaire, va accompagner au fur et à mesure la croissance du transport aérien.
L'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle est déjà connecté au TGV, au RER, mais on y attend aussi le TER Roissy-Picardie en 2026, le CDG Express en 2027, la ligne 17 du Grand Paris Express en 2030. L'aéroport de demain est-il aussi nécessairement une gare ?
L'aérien est notre métier mais le ferré est notre allié.
C'est bien autour de cette gare, pour les passagers, les salariés et les riverains, que nous concevons le futur de l'aéroport.
La gare de Paris-Charles-de-Gaulle aujourd'hui peut doubler son trafic sans nécessairement avoir à réaliser de nouvelles infrastructures pour atteindre presque 45 millions de passagers d'ici quinze ans. Donc oui, l'aéroport est une future gare intermodale qui va venir en soutien au transport aérien. Et ce dernier est bien le complément du transport ferré. Cela exige une planification urbaine globale, pour les mobilités mais aussi pour l'énergie, les services. L'aéroport de demain n'est pas une forteresse, mais une infrastructure au service de ses territoires et de ses riverains. Et cette gare en est le symbole.
Avec un an de recul, quel bilan tirez-vous de la connexion d'Orly avec la ligne 14 du réseau de métro parisien ?
L'aéroport d'Orly a toujours été l'aéroport le plus proche du centre de Paris mais, paradoxalement, il était celui dont l'accès par la voie ferrée était le moins pratique. Grâce à la ligne 14, les passagers ont vraiment accès au cœur de la ville.
Très concrètement, cela représente 30 000 voitures en moins chaque jour sur les routes. C'est donc une opération gagnante pour les salariés, les passagers et les riverains.
Vous gérez 26 plateformes dans le monde. En quoi leurs projets peuvent-ils nourrir ceux de France ?
Les équipes de nos actifs à l'international, en Turquie ou en Inde, peuvent nous transmettre leur savoir-faire qui consiste par exemple à paralléliser un certain nombre de travaux, à ne plus raisonner en séquentiel pour aller plus vite. Cet objectif d'accélération mobilise aujourd'hui toutes les équipes du groupe ADP, en France comme à l'étranger.
« L'excellence du BTP français nous permet de mener plusieurs chantiers de front au sein de nos infrastructures. »
Jugez-vous les entreprises de travaux françaises au niveau de votre exigence sur des projets extrêmement techniques ?
Des acteurs comme Vinci, Bouygues Construction, Eiffage ou Colas disposent d'un véritable savoir-faire.
Cette excellence française nous permet de mener plusieurs chantiers de front au sein de nos infrastructures. Refaire une piste de presque 4 km de long et 60 m de large suppose d'anticiper plusieurs mois - voire plusieurs années à l'avance -et de mobiliser, pour quelques semaines d'intervention et de manière totalement hors normes, des outils, des engins et du matériel. Cette capacité, très française, permet de mettre en œuvre de manière puissante un outil industriel, avec des technologies innovantes de décarbonation, et de recyclage des matériaux sur place pour éviter le ballet des camions.
Quel espoir placez-vous dans la modélisation numérique pour l'exploitation d'une infrastructure aussi complexe qu'un aéroport ?
Nous avons lancé depuis déjà un certain temps les travaux de mise en place d'un jumeau numérique. Ils supposent de collecter beaucoup de données qu'on agglomère au fur et à mesure. Lors des Jeux olympiques, nous avons créé une application, dédiée à la gestion des cars qui arrivaient du village olympique. Mais le potentiel de la modélisation est extrêmement important sur les bâtiments eux-mêmes, leur maintenance et leur exploitation. Cela représente un gisement d'amélioration de l'expérience des passagers, de la qualité de service et de la modernisation des lieux.
Quel avantage tirez-vous de l'internalisation des savoir-faire d'ingénierie ?
A Paris, les 6 000 collaborateurs du groupe se répartissent en près de 250 métiers. Exploiter un aéroport exige de combiner ces différentes activités. L'une des grandes fiertés du groupe ADP est de disposer d'une ingénierie intégrée de telle manière que cette combinaison d'activités soit dans son ADN. Comment voulez-vous étendre des aéroports existants sous exploitation sans en connaître le fonctionnement ? Cette caractéristique d'ingénierie intégrée se traduit chez nous par un département dédié constitué d'ingénieurs, de designers et d'architectes de grande qualité, mais également dans les équipes des plateformes aéroportuaires. Cela nous permet à la fois de concevoir de nouvelles infrastructures, mais aussi de tirer toutes les leçons de l'exploitation des infrastructures existantes.
L'image de l'avion pollueur joue-t-elle en votre défaveur au moment de recruter des talents ?
Le secteur aérien conserve toujours une part de rêve.
L'aéronautique se compose de métiers d'optimistes, des métiers d'ingénieurs, des métiers où on croit dans le progrès. Et donc oui, le groupe ADP continue à attirer. Nous avons, ces deux dernières années, recruté plus de 1 000 collaborateurs. Ce sont 1 000 passionnés. C'est bien cette foi dans l'avenir, dans cette aventure aérienne qui est au cœur de notre ADN.