Interview

Thierry Coulomb : « Notre modèle d’indépendants démontre sa performance économique »

Suite à l’annonce, le 1er août, du rachat du site Bricoprivé par les Mousquetaires, Thierry Coulomb, président des enseignes d’équipement de la maison du groupement, répond aux questions de Négoce sur sa situation, ses projets et ses ambitions.

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Thierry Coulomb, président d'Intermarché Equipement de la maison
Thierry Coulomb, président d'Intermarché Equipement de la maison

Négoce – Comment vos enseignes de bricolage se portent-elles, après deux mois de confinement et dans le contexte de crise sanitaire et économique ?

Thierry Coulomb – ITM Équi­pement de la Maison se porte très bien. Les Français continuent de bricoler, et la période de crise renforce l’esprit de

cocooning, l’envie d’être bien chez soi. Nos compatriotes n’ont pas pu dépenser autant qu’ils l’auraient voulu dans leurs loisirs, et ont investi dans leur habitat. Cette tendance est flagrante dans nos résultats, puisque, depuis le début d’année, nous avons gagné 200 M€ de chiffre d’affaires supplémentaire. Depuis le 11 mai [NDLR : fin du confinement], nous en-registrons une croissance à deux chiffres. De même, notre part de marché a beaucoup progressé (+ 1,5 point, soit 16,22 % du marché).

La crise économique qui vient pourrait inverser cette tendance, mais les chefs d’entreprise d’ITM Équipement de la Maison restent confiants dans l’avenir, d’autant que cette croissance, qui a pu démarrer plus tôt dans certaines régions, est homogène aujourd’hui, et nous gagnons autant en nombre de clients qu’en panier moyen.

Quels sont les facteurs de votre succès ?

Notre atout est de proposer des moyennes surfaces, misant sur l’accueil et le conseil pour accompagner nos clients dans la réalisation de leur projet. Notre structuration d’indépendants nous a conduits à anticiper davantage que les magasins intégrés au moment du confinement, et après une phase de fermeture d’une dizaine de jours, nous avons pu rouvrir partiellement, avec des ventes au comptoir et une offre de service adaptée pour livrer rapi-dement nos clients. Ceux-ci ont redécouvert nos moyennes surfaces de proximité, où ils trouvent toute l’offre nécessaire. Et l’e-commerce a bien sûr accompagné notre croissance durant cette période, et jusqu’à aujourd’hui.

Comment cet essor du e-commerce se traduit-il ?

Les visites sur nos sites Internet sont passées de 1 million en février à 4,37 millions en avril. Nos clients ont utilisé la recher­che organique pour regarder ce que nos magasins proposaient en termes de produits et de stocks, avant de se déplacer en point de vente. Ce renseignement préalable a beaucoup progressé. En digital, 80 % du chiffre d’affaires sont fléchés vers du click & collect, et 20 % vers la livraison à domicile. L’omnicanalité est devenue majeure sur le marché du bricolage.

Est-ce le sens de l’annonce, cet été, de votre prise de participation majoritaire dans Bricoprivé ?

Selon nos estimations, le e-commerce représentera 15 % de notre activité en 2024, donc que son développement sera beaucoup plus rapide que celui des ventes physiques. Or, notre performance en e-commerce en 2019 est relativement faible, c’est un terrain que nous devons absolument défricher et sur lequel nous comptons bien accélérer. Bricoprivé va nous accompagner dans cet apprentissage, et, tout en conservant sa pleine autonomie, nous apportera de l’expertise et de la technologie pour développer les ventes sur nos propres sites marchands. Mais Bricoprivé n’intégrera pas l’omnicanalité de nos ensei­gnes : il restera un acteur pleinement autonome dans l’écosystème du groupement.

Achèterez-vous en commun avec Bricoprivé, notamment via la centrale européenne Alliance Arena (1) ?

Bricoprivé n’intégrera pas en tant que tel notre alliance européenne, mais nous achèterons en commun selon l’intérêt que Bricoprivé y trouvera.

Bricoprivé possède également RaceTools, un site plus orienté vers les professionnels. Quelle est votre stratégie vis-à-vis des artisans ?

Brico Cash joue sur les volumes et les prix autour d’une offre plus restreinte, et de nombreux artisans et professionnels s’approvisionnent auprès de cette enseigne. Côté Bricomarché, 150 magasins disposent d’un drive bâti, s’approchant de la cour des matériaux d’un négoce, et proposent de la livraison sur chantier. Ils ont donc l’expertise pour travailler avec certains professionnels lorsque ceux-ci nous choisissent.

Mais nous n’avons pas vocation à concurrencer le négoce, et Bricomarché comme Bricorama sont avant tout des enseignes grand public. C’est d’autant plus vrai que, même si la porosité s’accroît, le marché français reste très segmenté. D’ailleurs, de nombreux fournisseurs, particulièrement en gros œuvre, n’ont pas la même offre dans les grandes surfaces de bricolage (GSB) et dans les négoces. Et nous ne travaillons pas la remise comme sait le faire le négoce, qui s’attache ainsi la fidélité de ses clients artisans.

Notre volonté se situe plutôt dans le développement de partenariats locaux avec des artisans pour réaliser les travaux nécessaires au bon déroulement des projets de nos clients particuliers. Nous proposons déjà une solution avec la plate-forme d’artisans Youpijob sur notre site d’e-commerce. La relation locale avec les pros est donc d’abord de leur apporter des clients.

Qu’en est-il de l’intégration de Bricorama ?

La volonté de notre groupement est que la totalité de nos points de vente soient exploités par des chefs d’entreprise indépendants. Nous serons dans notre feuille de route fin 2020, avec 50 % des magasins cédés à des adhérents, et la totalité du parc le sera à l’horizon 2022.

Quel est le positionnement différencié entre Bricorama et Bricomarché ?

Bricomarché accompagne l’ensemble des travaux de la maison et d’aménagements extérieurs, un segment où l’enseigne est très forte. Bricorama est davantage présent en zones urbaines et périurbaines, pour les projets d’amélioration de l’habitat intérieur. Mais les deux demeurent des enseignes généralistes.

Quelle est votre ambition sur le marché du bricolage ?

Soyons réalistes, notre ambition n’est pas de détrôner les deux grands groupes intégrés aujourd’hui n° 1 et n° 2 du marché en France. Notre différence tient à la performance économique de notre modèle d’indépendants, au sein d’un groupement générant un chiffre d’affaires de 45 Md€. Pour Les Mousquetaires, et pour la plupart de nos magasins, notre force est d’avoir trouvé le modèle économique qui permet à des surfaces à taille humaine, dans des agglomérations petites ou moyennes, de faire vivre les chefs d’entreprise indépendants que nous sommes.

Nous avons un rôle complémentaire à jouer sur le marché du bricolage, où nous avons d’ailleurs recruté plus de 100 nouveaux entrepreneurs depuis deux ans. Nous avons l’organisation pour les recevoir, les former et les accompagner. Ce statut pousse aussi sans cesse à investir dans l’évolution de nos systèmes d’information et de nos concepts. Nous repensons l’offre en plaçant l’omnicanalité au cœur. Notre investissement dans Bricoprivé illustre parfaitement mon propos : aucun autre intervenant sur le marché ne se développe ainsi, alors que nous sommes en période de crise.

Vous parliez des concepts. Sont-ils amenés à évoluer ?

Nous travaillons actuellement à la redéfinition de nos trois types de magasins : le grand format, le cœur de parc en moyenne surface et la petite surface urbaine. Cela passe par une refonte de notre offre et du parcours client.  Le format moyen de GSB est performant et bien installé, mais nous devons y apporter de la nouveauté, notamment en termes d’omnicanalité et de digitalisation de nos points de vente. Les performances sont plus faibles au m² pour nos plus grandes surfaces – entre 4 000 et 10 000 m² couverts chauffés. à la mi-2021, nous présenterons des évolutions importantes.

Votre maillage est-il satisfaisant ?

Notre maillage dense fait notre force, mais il y a encore des zones où nous sommes trop peu présents, et où des intervenants du marché pourraient nous rejoindre. Par ailleurs, nous avons la volonté de continuer le développement de Brico Cash. L’enseigne ne compte qu’une quarantaine de points de vente, elle doit atteindre les 100 pour disposer d’une représentativité au niveau national.

Les fournisseurs de GSB ont pu dénoncer certaines pratiques de grandes enseignes dernièrement. Doivent-ils s’inquiéter de votre renforcement, sachant qu’Intermarché a développé une forte culture de production, y compris dans le non-alimentaire ?

Pour la partie grandes surfaces de bricolage, nous avons une usine en Normandie, près de Nogent-le-Rotrou, mais qui ne fait que du conditionnement, notamment en chevillerie, visserie, clouterie. Elle emploie d’ailleurs des personnes en situation de handicap. De-puis huit ans, nous sommes dans une démarche de partenariat fort avec nos fournisseurs, Imagine (lire encadré ci-contre), pour développer des démarches à moyen et long terme. Nous privilégions les acteurs français et européens dans la mesure du possible, et cherchons à ce que nos fournisseurs inscrits dans ce partenariat puissent trouver leur place dans l’ensemble de nos points de vente. 35 à 40 % de nos gammes s’inscrivent dans cette volonté de longue durée. C’est peut-être aussi ce qui nous distingue d’autres acteurs qui cherchent à imposer une offre standardisée. •

Photo : Stéphanie Têtu

1. L’Alliance Arena, centrale d’achats européenne créée en 2000 à l’initiative des Mousquetaires (ITM), regroupe 8 groupes spécialisés dans le bricolage et l’équipement de la maison : ITM, Maxeda, Hagebau, Jumbo, Bricofer, Baucenter, Dedman, Pevec. Elle rassemble 25 enseignes dans 16 pays, pour un chiffre d’affaires cumulé de près de 12 Md€.

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