Interview

Tempête Alex : « Construire des ouvrages qui retrouvent rapidement leur fonctionnalité », Patrice Maurin (Cerema Méditerranée)

Plus d’un mois après le passage de la tempête Alex, la circulation a été rétablie sur les principales routes de deux des trois vallées dévastées par les inondations. Dans les trois vallées, des travaux colossaux de reconstruction de routes, de ponts, de réseaux d'eau et d'électricité sont nécessaires pour un coût d'au moins un milliard d'euros. La situation demeure critique dans la haute-vallée de la Roya avec des villages encore enclavés après la destruction de tronçons entiers et d’une dizaine de ponts sur la RD 6204, principal axe de desserte. Patrice Maurin, directeur du département risques naturels au Cerema Méditerranée, insiste sur la nécessité de la réflexion avant la reconstruction.

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Patrice Maurin, directeur du département risques naturels au Cerema Méditerranée
Patrice Maurin, directeur du département risques naturels au Cerema Méditerranée.

Depuis le passage de la tempête Alex, quel rôle a joué le Cerema ?

Dès les premiers jours, missionnés par l’Etat et les collectivités, nos experts ont été sur le terrain pour faire un pré-diagnostic de la situation. Depuis, en termes d’hydraulique, nous regardons les zones qui ont été inondées. Nous observons et mesurons également les glissements de terrain et les chutes de blocs.

En termes d’hydrologie, nous réalisons une étude des bassins versants du Var et de la Roya en nous appuyant sur notre outil Murex, qui permet de mutualiser des données issues de différentes sources dans le cadre de la gestion des inondations. Nous espérons la terminer à la fin de l’année.

Quel est l’objectif de cette dernière démarche ?

Il s’agit d'établir une documentation fiabilisée sur l'hydrologie de cet événement afin de capitaliser la connaissance. Avec les crues de 1994, il est une des crues de référence du Var avec des périodes de retour vraisemblablement centennales sur la Tinée et la Vésubie.

Compte-tenu des fortes incertitudes qui entourent l'hydrométrie sur ce bassin versant torrentiel, il est important de documenter sérieusement la tempête Alex. L’étude de cet événement récent va servir à évaluer les débits de la crue - notamment pour déterminer si elle est centennale ou millennale -, et les périodes de retour pour la prise en compte future du risque dans la phase de reconstruction. Grâce à des hypothèses plus précises, il sera possible d’améliorer le dimensionnement des ouvrages d’art et des murs de soutènement.

Quels sont les autres apports du Cerema ?

Pour répondre à l’urgence de rétablir au plus vite des moyens de circulation, les experts du Conseil national des ponts de secours, structure bientôt intégrée au Cerema, sont intervenus très vite pour réaliser des diagnostics destinés à voir où installer leurs ouvrages provisoires. Ce ne sera pas possible partout. D’après ce qu’ils nous ont communiqué, les brèches, dont certaines font 80 m de large, sont en effet trop importantes par rapport aux 40 m de portée des ponts de secours. Des études plus poussées sont en cours pour identifier des lieux adaptés.

De la même manière, l’équipe de plongeurs spécialisés du Cerema Méditerranée est allée dans les rivières pour sonder des appuis de brèches, des fondations des murs de soutènement et des ouvrages d’art.

Dans la vallée de la Roya, la situation est particulièrement critique. Quelles sont les pistes ?

La priorité est le désenclavement des villages du haut de la vallée. Cela va passer par la pose de ponts provisoires et la création de passages à gué dans la rivière, ainsi que de pistes. En partenariat avec le département des Alpes-Maritimes, nous avons identifié des premiers passages au niveau des brèches du Caïros et du Ambo. Au niveau des gorges de Paganin, nos plongeurs spécialisés sont, par exemple, intervenus pour savoir s’il est possible de poser dans le lit de la rivière des murs de soutènement avec des enrochements.

Ce sont des exemples de solutions provisoires en attendant leur remplacement, dans un second temps, par des infrastructures et ouvrages reconstruits dans une démarche durable et résiliente. L’idée est de ne pas construire forcément des ouvrages qui résistent à tout mais plutôt des ouvrages qui retrouvent rapidement leur fonctionnalité.

Qu’entendez-vous par là ?

La résilience impose une vision globale. Cela implique d’intégrer le risque dans la conception du tracé d’une route, de penser la façon de la construire ainsi que les moyens disponibles pour la réparer rapidement, c’est-à-dire cibler des zones de fragilité. Cela implique aussi de penser à son entretien en donnant des indicateurs d’intervention parce que c’est là que l’enjeu est le plus fort.

La configuration de vallée de la Roya, étroite et encaissée, est telle qu’il n’y a pas de plan B. Il faudra toutefois se demander s’il est opportun de reconstruire au même emplacement la RD 6204, construit en fond de vallée. Il faudra absolument définir les indicateurs les plus pertinents pour savoir où sont les points faibles où et comment intervenir. Cela peut être une route submersible ou des tronçons submersibles, pensés pour qu’à la décrue et après nettoyage, ils soient rapidement utilisables.

La même réflexion s’impose pour les pistes forestières actuellement utilisées pour amener les vivres et les engins. Avec un entretien régulier, elles pourraient être un point de secours efficace lorsque l’itinéraire principal n’est plus accessible.

La géologie particulière du massif alpin explique-t-elle l’ampleur des dégâts ?

Non. Certes, cette vallée s’inscrit dans le contexte alpin à savoir un massif jeune et friable où l’érosion est encore très active avec une géologie très complexe : calcaire, marne et gypse dans la partie basse, massif cristallin plus haut. Mais c’est la conjonction de trois facteurs qui explique l’ampleur des dégâts : phénomène météorologique exceptionnel, vallée alpine très encaissée, géologie variée et complexe. De plus, dans une vallée étroite et encaissée comme la vallée de la Roya, la dynamique d’une rivière n’est pas continue. Le débit de la rivière accélère dans certaines zones et augmente son pouvoir érosif. Il se ralentit dans d’autres zones où l’eau dépose les matériaux érodés. Associés aux nombreuses coulées de boue issues des versants et des talweg qui plongent dans la Roya, le volume de matériaux érodés est très important et inhabituel.

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