« Le Code 2006 est carrément catastrophique »
Denis Dessus, président de la commission marchés publics de l’Ordre des architectes
Pas de langue de bois, depuis 2001 les versions successives du Code détériorent les conditions de passation des marchés de maîtrise d’œuvre, avec l’avènement d’une procédure adaptée qui entraîne toutes les dérives. La version 2006 est carrément catastrophique et, sans manichéisme, je ne relèverai que des évolutions négatives. Le problème essentiel vient du rajout dans l’article 74 spécifique à la maîtrise d’œuvre de la phrase indiquant qu’« en procédure adaptée toute remise de prestations donne lieu au versement d’une prime ». Mais il ne peut et ne devrait pas y avoir de remise de prestations hors procédure de concours ! C’est le sens de la directive 2004-18 et c’est aussi celui de la loi MOP, puisqu’on ne peut faire un bout de mission sans la faire en intégralité ; c’est l’intérêt de la maîtrise d’ouvrage qui n’a rien à gagner à choisir sur la base de prestations sans intérêt à ce stade. Ce Code aurait également dû être l’occasion de supprimer l’appel d’offres comme exception possible au concours en cas de réhabilitation d’ouvrages existants. Cette possibilité n’a aucune justification et l’intangibilité de l’offre n’est d’ailleurs pas compatible avec la loi MOP où le prix est conclu de façon provisoire. Il est inique de traiter les prestations intellectuelles comme des fournitures. Ce que subit la maîtrise d’œuvre est également subi par l’ensemble des métiers intellectuels et créatifs. La procédure adaptée a généré de nombreuses dérives aujourd’hui légalisées : la conjonction des articles 28, 49 et 74 oblige le prestataire à produire l’essence même de son travail de concepteur (esquisse, maquette, prototype) avant de savoir s’il obtiendra la commande. Demande-t-on à un entrepreneur de construire trois étages pour savoir si on lui confiera la construction du bâtiment ?
« Enfin un Code qui favorise la qualité des achats »
Florence Trinh, directeur des marchés publics au conseil régional de Bourgogne
Je suis contente ! Nous avons enfin l’outil qui valorise notre fonction d’acheteur public et favorise la qualité des achats. Il a fallu du temps et plusieurs réformes avant d’y parvenir.
Je me réjouis de l’autonomie qui nous est laissée, que ce soit en procédure adaptée ou au-dessus des seuils pour les marchés formalisés. La notion de transparence est également renforcée, avec par exemple l’obligation de motiver systématiquement les rejets ; ce qui nous permet de montrer que nous n’avons rien à cacher… Le revers est que cela suppose la mise en place de procédures encore plus lourdes et complètes. La clé passe pour nous par l’informatisation du travail : il s’agira d’intégrer le Code dans un processus complet de dématérialisation.
Enfin saluons la création des accords-cadres. Nous allons en passer pour les travaux de maintenance des lycées de la région, et partager ainsi un vivier d’entreprises.
Le problème majeur vient du Code général des collectivités territoriales, qui n’a pas évolué en même temps que le Code des marchés publics. Aujourd’hui, nous devons toujours obtenir une délibération donnant délégation au maire ou au président avant de faire publier l’avis pour les consultations formalisées. Or cela est ingérable en termes de délais. De plus le régime applicable aux accords-cadres est flou : faudra-t-il passer une délibération pour le moindre petit achat ? Nous espérons vivement une évolution sur ces points.
Par ailleurs, je suis inquiète pour les petites collectivités : comment parviendront-elles à mettre en œuvre ce Code qui requiert une certaine technicité…
Propos recueillis par Sophie Deluz
« Dans l’air du temps, grâce à la dématérialisation »
Serge Cunin, P-DG de l’entreprise Cunin, climatisation et chauffage, à Contrexéville (Vosges).
Le Code 2006 comporte de nombreuses améliorations, à commencer par l’obligation de révision des prix pour les marchés de travaux d’une durée supérieure à trois mois ; la faculté de poursuivre une procédure malgré la défaillance d’un membre du groupement, ou encore la possibilité offerte aux entreprises de remplacer la retenue de garantie par une garantie bancaire. J’utilise toujours ce système pour éviter les problèmes de trésorerie.
Le Code conforte par ailleurs le recours aux procédures dématérialisées. Nous sommes enfin dans l’air du temps : aujourd’hui, tout le monde travaille sur informatique. Je suis ainsi très favorable à l’envoi d’offres par voie électronique. Les entreprises sont de toute façon tenues de se doter d’une signature électronique pour la TVA ; autant l’utiliser aussi pour les marchés publics. Soulignons enfin que le Code interdit fort heureusement le recours, pour les marchés de travaux, aux enchères électroniques - véritables attrape-nigauds.
Les maîtres d’ouvrage peuvent désormais passer des marchés à bons de commande sans minimum de chiffre d’affaires. C’est économiquement mauvais pour les entreprises, qui s’engagent sur des prix sans garantie en retour.
Autre difficulté liée probablement à une mauvaise rédaction du texte, le Code prévoit que les demandes de paiement direct des sous-traitants devront être libellées au nom du maître d’ouvrage, alors qu’ils ne sont liés contractuellement qu’avec l’entreprise titulaire. Cela ne colle pas.

